« Femmes à Boches ». Occupation du corps féminin, dans la France et la Belgique de la Grande Guerre

NOS EXPERTS EN PARLENT...
Le Carnet et les Instants

Se revendiquant à la fois de l’histoire du genre et de celle de la guerre, l’ouvrage « Femmes à Boches », d’Emmanuel Debruyne, professeur d’histoire contemporaine à l’UCL, examine une question audacieuse, dans sa formulation même : l’« occupation du corps féminin », en France et en Belgique, durant la Guerre 14-18. Quel est le contexte ? « Pendant quatre ans, la quasi-entièreté de la Belgique et de larges pans de dix départements français sont occupés par l’armée allemande » : ces territoires, découpés par l’ennemi en plusieurs zones disposant de leur administration, forment un large périmètre regroupant une dizaine de millions d’habitant-e-s.L’occupation…


AVIS D'UTILISATEURS

FIRST:ennemi occupation femme - "« Femmes à Boches ». Occupation du corps féminin, dans la France et la Belgique de la Grande Guerre"
stdClass Object ( [audiences] => [domains] => Array ( [0] => 9174 ) )

Ceci pourrait également vous intéresser...

La Langue dans la cité : Vivre et penser l’équité culturelle

Ils sont légion, les « – isme » malmenés par Jean-Marie Klinkenberg dans un essai qui a tout d’une somme et vient couronner un brillant parcours de passeur de savoir et d’agitateur d’idées. « Purisme », « centralisme », « essentialisme », « conservatisme », « communautarisme »… Les voici pointés et dénoncés, les mots / maux qui sclérosent notre rapport à la langue, et plus particulièrement au français. Car si Klinkenberg plaide pour la mise en œuvre globale de politiques linguistiques efficaces, assumées par les États, l’ère culturelle qu’il problématise est bien celle de la francophonie, avec son tropisme hexagonal (sinon parisien), ses périphéries, ses dominions d’Empire et ses reliquats d’Ancien Régime. Engoncée dans un carcan de préjugés et de préventions frileuses, la réflexion sur la langue est un enjeu majeur pour la compréhension du monde contemporain. Parler, écrire, s’exprimer, bref communiquer, n’est en rien une fonction accessoire de notre intellect, mais bien un instrument de (sur)vie. Voilà pourquoi Klinkenberg refuse de voir en la langue « un bibelot précieux, un jouet compliqué, ou une pure affaire de désaccords de participes passés. […] Elle est un milieu de vie ; elle véhicule de puissantes imageries ; elle joue un rôle capital dans la constitution même du lien social. »Or, qui dit « lien social » ne peut faire l’impasse sur le vivre ensemble. Une valeur qui, parce qu’elle relève de droits fondamentaux dans une société prétendument libre, a besoin d’être sous-tendue par un projet politique ambitieux. C’est là que le bât blesse : dès qu’il s’agit pour les pouvoirs publics de toucher à la langue, le tollé est quasi unanime. En témoignent ce que l’auteur baptise avec humour les récentes « guerre du nénufar » (autour de la réforme de l’orthographe) et « guerre de la cafetière » (à propos de la féminisation des noms de métiers et de fonctions).C’est sans doute d’avoir fait sa carrière à l’Université de Liège (dont il est aujourd’hui Professeur émérite) qui a rompu Klinkenberg à l’exercice d’empoigner le taureau par les cornes. Et pour le coup, il est servi : l’arène est vaste. Premier monstre à se présenter : « le français » comme idiome unitaire, cohérent, pur sang ; mais il est vite terrassé, puisqu’il n’existe pas. Il y a par contre « des français », dont la diversité, la richesse, l’inventivité, les rendent immédiatement plus conviviaux. Deuxième adversaire : le Francophone. Bel animal, défini comme « un mammifère affecté d’une hypertrophie de la glande grammaticale ». L’excroissance est de taille, et lui sert autant de massue que de bouclier. L’usager du français n’est en effet aussi rigide en ses vues que parce qu’il se carapace de l’usage, de la norme, de la règle, et sur cet exosquelette rebondissent toutes les remises en question, si intelligentes et fondées soient-elles.Sans son blindage, le Francophone se révèle pourtant timoré, mais uniquement parce qu’on l’a éduqué ainsi. Dans sa famille, à l’école, au travail, l’on n’a cessé de lui assener qu’il ne parlait pas « correct ». Sa culpabilité individuelle (fondée sur l’idée qu’il trahit sa langue dès qu’il ouvre la bouche ou prend la plume) s’amplifie en culpabilité collective, tout un chacun se sentant l’acteur de la pseudo-dégradation du « niveau de maîtrise » de la langue. Conséquence ultime : le silence se fait, « ennemi de toute démocratie » et le sentiment d’insécurité linguistique règne en maître. C’est le plus imposant adversaire que doit affronter notre Manolete wallon, qui fourbit ses banderilles rhétoriques et parvient à les planter au bon endroit, grâce à une conclusion où à la revendication de liberté succède la nécessaire affirmation de l’équité des locuteurs citoyens.Cet essai, engagé et engageant, déplaira à ceux qui, pensant se délecter d’un ouvrage d’érudition linguistique, se verront en prise à des considérations politiques et économiques, une approche pragmatique des questions soulevées, des réflexions sur les nouvelles technologies, des stratégies et des futuribles en veux-tu. Mais quelle que soit sa position initiale, gardien de la tradition ou esprit ouvert, le lecteur sera amené à repenser de fond en comble son rapport à la langue, partant à sa langue. Expérience dont il sortira ébranlé, certes, mais aussi réconcilié avec cette part intime de lui-même, et…

« Femmes à Boches ». Occupation du corps féminin, dans la France et la Belgique de la Grande Guerre

Se revendiquant à la fois de l’histoire du genre et de celle de la guerre, l’ouvrage «  Femmes à Boches » , d’Emmanuel Debruyne, professeur d’histoire contemporaine à l’UCL, examine une question audacieuse, dans sa formulation même : l’«  occupation du corps féminin  », en France et en Belgique, durant la Guerre 14-18. Quel est le contexte ? «  Pendant quatre ans, la quasi-entièreté de la Belgique et de larges pans de dix départements français sont occupés par l’armée allemande  » : ces territoires, découpés par l’ennemi en plusieurs zones disposant de leur administration, forment un large périmètre regroupant une dizaine de millions d’habitant-e-s. L’occupation est à double détente : à l’envahissement du territoire par son armée (deux millions de soldats), l’ennemi superpose sa domination sur le corps des femmes qui constituent la majorité de la population des territoires occupés, compte tenu du départ massif des hommes sous les drapeaux et de l’exode d’un million de citoyens ayant quitté le pays pour échapper à la guerre. «  A vrai dire, observe Emmanuel Debruyne, une majorité des occupés sont des occupées  ».Sur le plan des sources, à défaut de témoignages oraux directs, «  Les journaux intimes, édités ou non, volumineux ou succincts, se sont avérés des sources d’une grande richesse  ». C’est sur le dépouillement minutieux d’une centaine d’entre eux que se fonde principalement le livre.L’ouvrage décrit les différents types de relations que les militaires allemands et les femmes des régions conquises vont entretenir. Dans les trois premiers chapitres, l’auteur aborde d’abord les viols constatés durant la brève période de l’invasion, sans négliger l’autre forme de violence sexuelle que constitue la mise en œuvre par l’ennemi d’inspections sanitaires vis-à-vis de la population féminine. Ensuite, l’enquête se penche sur la période d’occupation, en observant le développement de la prostitution (Bruxelles devient la ville-phare des amours tarifées) et les relations librement consenties.Les trois chapitres suivants décrivent les conséquences de ces phénomènes : stigmatisation sociale des femmes concernées, développement des maladies vénériennes, tentatives de la part de l’occupant de réglementer la prostitution, accroissement de la natalité hors mariage. Un dernier chapitre envisage les phénomènes d’exclusion de l’après-guerre envers les femmes qui ont trahi, mais aussi envers leurs enfants.Lors de la mobilisation du début 1914, période apparaissant comme un moment «  carnavalesque  », c’est-à-dire d’estompement des normes sociales, une «  fièvre  » sexuelle s’empare des populations et se traduit par un pic de naissances au printemps de l’année suivante. Par contre, pendant l’invasion allemande, à la fin de l’été, les nombreux viols commis par l’ennemi en même temps que des exactions envers les civils, se concrétiseront par une vague de naissances «  de père inconnu  » en mai et juin 1915. En dépit du manque de données chiffrées, Emmanuel Debruyne évalue entre 15 et 25000 le nombre de viols commis durant l’invasion.Pour tenter de limiter la propagation des maladies vénériennes au sein de son armée, l’ennemi installera un important système de contrôle prophylactique des prostituées. La cohabitation avec l’armée d’occupation amènera également des relations à se nouer entre les occupées et les soldats allemands. Celles-ci sont mal perçues par les autorités allemandes, qui s’opposent fermement aux mariages entre les occupées et les occupants.Les autochtones eux-mêmes condamnent ces idylles, la population bienpensante (catholique) prétendant qu’elles sont surtout le fait de femmes appartenant aux «  basses classes  » et qu’elles relèvent du domaine de la prostitution. Ces accusations referont surface lors des procès d’après-guerre.Cette enquête magistrale menée par Emmanuel Debruyne sur les relations des femmes belges et françaises avec l’occupant durant la Grande Guerre démontre que l’occupation militaire s’est doublée d’un puissant phénomène de domination masculine. Celui-ci s’illustre à travers le développement de la prostitution, les viols et les naissances de père inconnu, mais aussi les liaisons sentimentales et les mariages. Cette description très fouillée d’un aspect…

Nouvelle histoire de Bruxelles. Des origines à aujourd’hui

Comment naît une ville ? Comment croît-elle, évolue-t-elle au fil des siècles ? Comment se bâtit-elle sociologiquement, politiquement, économiquement, culturellement ? Dans son essai Nouvelle histoire de Bruxelles , le philosophe et historien Arnaud de la Croix retrace l’épopée de Bruxelles. Si les physiciens ne peuvent remonter en deçà du Big Bang, franchir le mur de Planck, les historiens, les archéologues sont soumis à semblable contrainte : seules des hypothèses relatives aux traces pré-urbaines des cités peuvent être avancées. L’approche innovante et la méthode qu’adopte Arnaud de la Croix donnent tout leur prix à cet ouvrage qui, étayé par une documentation solide, s’appuyant sur les travaux des historiens, se singularise par deux traits : primo, la convocation de l’histoire sociale, intellectuelle, culturelle, ésotérique de Bruxelles de ses origines à nos jours, secundo, par la mise en récit d’événements négligés, d’épisodes passés sous silence dans les livres d’histoire. On aura compris que, dressant la biographie d’une cité, Arnaud de la Croix ne se range pas sous la bannière de l’histoire officielle. C’est ainsi qu’il exhume et interroge des faits embarrassants, entachant la mémoire collective, forclos de l’histoire dominante (les poussées antisémites au 14e siècle notamment, la « dictature protestante » instaurée à la fin du 16e siècle). Le mouvement de pensée est tout à la fois rétrospectif, comme l’exige la discipline historique, mais aussi prospectif. Quel(s) avenir(s), le passé et le présent de Bruxelles lui dessinent-ils ? Aux affirmations tranchées qui ferment les questionnements et donnent lieu à des vulgates, Arnaud de la Croix préfère la réouverture de controverses. Des controverses qui ont trait à la date de la naissance de Bruxelles, aux circonstances qui ont présidé à son avènement, à l’étymologie de Bruxelles. De la construction, au Moyen Âge, de la première et de la deuxième enceinte fortifiée au développement des artisans, des corporations, de l’évocation de personnalités marginales, controversées (la mystique la Bloemardinne) à celle d’Erasme résidant à Anderlecht en 1521 ou de Bernard van Orley, Breugel, de l’histoire des occupations étrangères à la Révolution belge, de la bataille de Waterloo à Bruxelles capitale de l’Europe, Arnaud de la Croix varie son zoom, entretissant l’histoire des rois et celle du peuple qu’il ressuscite, campant Charles Quint, les Habsbourg, les monarques belges, la décapitation des comtes d’Egmont et de Hornes, la colonisation du Congo d’un côté, les récits autour de Manneken-Pis (leur possible interprétation alchimique), les séjours à Bruxelles de Baudelaire, de Hugo, Verlaine, Rimbaud, le creusement de la Jonction Nord-Midi, la naissance de l’Art nouveau de l’autre. Montrant qu’il n’est pas de « grande » Histoire sans des micro-histoires, Nouvelle histoire de Bruxelles rouvre des pans de ce que Walter Benjamin appelle l’histoire des vaincus.   Éclairant la genèse de Bruxelles, ses mutations, les métamorphoses de ses visages architecturaux, urbanistiques, politiques, religieux, linguistiques, l’essai d’Arnaud de la Croix révèle les strates, les mille et une formes d’une ville perçue comme un organisme vivant, soumis à la croissance, au déclin, à la renaissance. De nous faire découvrir la richesse de Bruxelles, ses affluents linguistiques, ses guerres, ses invasions, de dévoiler des sédiments invisibles sous le visible, nous percevons autrement la ville actuelle dans laquelle certains d’entre nous…