En mars 2015, Maxime Hanchir a rencontré à plusieurs reprises l’auteur guatémaltèque Eduardo Halfón (prix Roger Caillois 2015) dans le cadre du festival de littérature Passa Porta. Au cours de ces entretiens, l’auteur a accepté d’expliciter certains aspects de son parcours et de son œuvre.
En mars 2015, Maxime Hanchir a rencontré à plusieurs reprises l’auteur guatémaltèque Eduardo Halfón (prix Roger Caillois 2015) dans le cadre du festival de littérature Passa Porta. Au cours de ces entretiens, l’auteur a accepté d’expliciter certains aspects de son parcours et de son œuvre.
À propos d’identité, un fait intéressant : dans tes livres, le narrateur s’appelle presque toujours Eduardo Halfón, comme toi !
Toujours. Il a beaucoup de surnoms : Dudu, Edu, mais il s’appelle comme moi, oui. Et c’est une décision intentionnelle, de lui donner, non seulement mon nom, mais aussi mon identité, ma biographie.
Parce qu’en fait, ce qu’il vit, c’est ce que tu as vécu.
Il me ressemble beaucoup.
Même dans les faits, il a une sœur, comme toi, par exemple...
Oui, une sœur, il est né au Guatemala, c’est un ingénieur qui devient un écrivain, il me ressemble physiquement. Mais sa personnalité est un peu différente de la mienne : je suis plus timide, moins intrépide que lui ! Lui, il part, il voyage, il vit des aventures, moi pas, je suis plus casanier. Mais c’est une décision intentionnelle. Ça reste de la fiction, mais c’est important pour moi.
Mais c’est un peu troublant pour le lecteur...
Oui. Parce qu’il ne sait pas si c’est vrai ou pas, si c’est testimonial ou pas. Il y a deux raisons pour lesquelles je fais ça. La première, c’est que c’est pratique. Quand je commence à écrire quelque chose, je commence toujours avec quelque chose de très intime : une image de mon enfance, la relation avec mon frère... C’est toujours un élément très personnel, très intime, comme le mariage de ma sœur, par exemple. Je commence avec ça, mais ce n’est jamais suffisant : il faut que je trouve, ou que j’utilise la fiction pour « voler ». La réalité ne suffit jamais. Ça ne m’intéresse pas, la réalité. Ce qui m’intéresse, c’est la vérité. C’est différent. La réalité et la vérité sont deux choses différentes. La vérité, ce n’est pas palpable, ce n’est pas une chose tangible. La réalité, c’est tangible, ça ne marche pas pour la littérature. La littérature « habite » dans la vérité. Pas dans la réalité. Et la deuxième raison, c’est que la seule chose que je désire quand j’écris, c’est créer (ou recréer) une réaction émotionnelle chez le lecteur. Pas une idée, pas une réflexion. Ma littérature est plus émotionnelle que rationnelle. Je veux une réaction de la part du lecteur. Et un petit artifice pour y arriver, c’est d’effacer la frontière entre Eduardo Halfón et Eduardo Halfón. Le lecteur croit qu’Eduardo Halfón, le narrateur, est Eduardo Halfón, l’écrivain. Pour lui, c’est la même personne. Le lecteur lit l’histoire comme le ferait un enfant, comme une histoire vraie. Sans douter, sans questionner. Il ne se pose pas la question de savoir si c’est vrai ou pas. Et la réaction émotionnelle est plus forte, c’est du moins ce que je crois. C’est une idée, c’est possible en tout cas.
C’est vrai que tu aurais pu utiliser un pseudonyme, comme certains l’ont fait, tout en laissant savoir qu’ils parlent d’eux-mêmes.
Oui, mais dans mon cas, le voile qui me sépare de mon narrateur est ôté. Il y a des écrivains qui ont un voile transparent, comme Bolaño avec Belano : c’est « presque » Bolaño, n’est-ce pas ? Et des écrivains qui ont un voile plus épais, comme Flaubert : « Madame Bovary, c’est moi. » C’est une femme, ils ne se ressemblent pas du tout – ne serait-ce que physiquement (rires) – mais c’est lui !
Tu laisses malgré tout un léger voile entre les deux Eduardo Halfón, parce que ton personnage principal, Eduardo Halfón, ne se comporte pas exactement comme tu le ferais, tu l’as dit plus tôt. Ce n’est donc pas exactement toi ?
Non. Et les histoires qu’il vit ce ne sont pas les miennes. C’est une projection de choses que je voudrais faire, de voyages, d’aventures que je voudrais vivre, des idées que je n’ai pas le courage d’exprimer. Comme le conflit arabo-israélien dans Monastère : j’ai des idées, mais c’est compliqué pour un juif de parler de ça. Au fond, c’est comme une marionnette : tout le personnage d’Eduardo Halfón est une marionnette. Eduardo Halfón, le narrateur, c’est ma marionnette. Mais je suis aussi sa marionnette, car il joue avec moi.
Dans les histoires ou dans la réalité ?
Dans les histoires. Il me dit ce que je dois écrire.
Et dans la réalité est-ce que l’Eduardo Halfón des livres influence l’Eduardo Halfón de la réalité ?
Oui, de temps en temps je fume (rires.) Je ne fumerais pas, sinon. Il m’oblige à prendre une cigarette.
C’est ton double, en fait.
Oui, il y des entretiens lors desquels j’adopte sa voix. Ce n’est pas la mienne, elle est différente de la mienne.
La marionnette qui manipule le marionnettiste.
Et vice-versa. Le narrateur est la marionnette de l’écrivain et l’écrivain est la marionnette du narrateur.
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