L’être et la création furent deux sujets majeurs dans la pensée et l’œuvre du poète François Jacqmin. Inédits ou tirés de catalogues, les nombreux textes ici rassemblés pour la première fois témoignent des lignes de force de cette réflexion constante, de sa sensibilité toujours critique à l’égard des arts plastiques et des amitiés qui ont pu le lier aux artistes. Les écrits sur l’art et les artistes de Jacqmin sont, au même titre que ses poèmes, « l’œuvre d’un regard ».
Auteur de Écrits sur l’art et les artistes (1954-1991)
Sur la couverture, un aphorisme peint, lettres noires sur fond rouge, de et par François Jacqmin : « Pourvu qu’il n’arrive Rien ». Ce grand Rien, que pouvait-il représenter pour le poète des Saisons et du Domino gris ? On songe à « la Catastrophe », qui hantait les pages du seul roman de Christian Dotremont, La pierre et l’oreiller. Mais chez Jacqmin, qui n’a cessé de creuser par l’écriture ce puits sans fond qu’est la notion même d’exister, ce grand Rien reste un mystère. Les écrits publiés, inédits ou ébauchés de Jacqmin, déposés et inventoriés aux Archives et Musée de la Littérature (AML), font désormais l’objet d’une volonté de publication intégrale. C’est ainsi qu’après un premier…
Artiste de la scène, australien-sri-lankais-tamoul-flamand-nouveau Belge
Comment dépasser les stéréotypes? par Ahilan Ratnamohan, artiste de la scène J'écris le présent article en français. C’est un choix conscient. Il est vrai que l’anglais serait l'option la plus pertinente pour exprimer mes pensées. Et le néerlandais serait sans doute la langue la plus appropriée pour aborder les thèmes qui m'occupent aujourd'hui, puisque je les ai surtout expérimentés en tant que résident en Flandre. Toutefois, j'ai l'impression qu'il serait presque malhonnête d'écrire cet article en anglais, ou même en néerlandais, car en quelque sorte cela ferait de moi un expert en anthropologie, un expert que je ne suis pas. Écrire en français me semble être le plus logique, en dépit de l’effort que cela me demande. Quand j’écris en français, je dois écrire des phrases très simples. Des phrases qui reflètent peut-être la naïveté de cet article. Ma compréhension de la complexité de la Belgique sera toujours naïve et simpliste, je ne comprendrai jamais tous les tenants et aboutissants. Vous, lecteur belge francophone ou peut-être même néerlandophone, vous allez sans doute vous irriter en découvrant le degré de simplification de l’analyse, tout comme vous allez vous irriter en lisant mon français de pauvre qualité. Parce que vous n'êtes pas habitué à écouter le point de vue d’un migrant sur la Belgique, tout comme vous n'êtes habitué à lire des articles que dans un français parfait. En fait, quand j’ai proposé d'écrire ce texte directement en français au lieu de le faire traduire, Hans, le secrétaire de rédaction, n'était pas convaincu que ce soit une bonne idée. Les lecteurs trouveraient peut-être cela étrange, m’a-t-il écrit. C’est un point de vue auquel je n’avais jamais été confronté dans les cercles flamands. * Les premiers pas en Wallonie Soit. Hans m'a proposé d'écrire un article sur la manière dont, selon moi, la Flandre et la Wallonie interagissent et devraient interagir. En fait, je m’étais déjà posé cette question en 2018, il y a six ans. C’est à ce moment-là, cinq ans après mon arrivée en Belgique, que je me suis rendu compte que je n'étais jamais allé en Wallonie, sauf pour une escapade avec des Flamands dans les Ardennes. J’avais pourtant déjà franchi la frontière des Pays-Bas un nombre incalculable de fois (de même que la frontière allemande) pour y jouer des spectacles, mais pas une seule fois je ne m’étais aventuré en Wallonie. À cette époque, mon interaction avec la Belgique francophone était inexistante. Les seules choses que je savais sur les Wallons m'avaient été confiées par des gens de Flandre ou par les médias. J’avais donc hérité d'une série d’idées stéréotypées et parfois sensationnalistes, très difficiles à transcender. Et particulièrement cantonnées à Anvers. Ce sont précisément les stéréotypes qui m'ont poussé à entreprendre des recherches plus sérieuses. À essayer de dépasser les frontières mentales et physiques que je m’étais construites. Je m'étais convaincu que je pouvais tenter d'échapper à mon identité de vervlaamste [flamandisé] Australien-Sri-Lankais-Tamoul. Ou, plus honorablement encore, tenter de devenir un meilleur Belge. Néanmoins, je suis bien contraint de l’avouer, aujourd’hui je me demande si ma démarche n’était pas plutôt née d’une réalité économique. Je crois que j’étais surtout gêné par le fait de ne pas pouvoir profiter de toutes les possibilités de jouer ou de créer des spectacles dans le pays entier. En fait, cela est assez ironique. Je découvrirais que cette impulsion économique était le résultat d’une ignorance coupant court aux stéréotypes. Au moment où j’ai mis les pieds dans un centre artistique francophone pour la première fois, j’ai vite été étonné. L'accueil y était si sympathique, si chaleureux. De surcroît, dans les lieux culturels francophones que j’ai fréquentés, il y a même un poste spécifique dédié à l'accueil des artistes. Or, je me rappelle encore bien la première fois où j'ai été invité à jouer en Flandre, dans un festival assez important. Entrant dans les bureaux pour me présenter, je m'attendais à un accueil spécial tel que: Zo fijn dat je deel uitmaakt van ons festival! [Nous sommes ravis de vous compter parmi les participants à notre festival!] Mais j'ai été reçu par des gens derrière leur ordinateur. Certains ont levé les yeux, mais personne ne m'a adressé la parole. Il faut bien le reconnaître, les processus et les habitudes sont si différents dans les théâtres francophones et néerlandophones qu’il est parfois facile de comprendre pourquoi les collaborations sont rares [v. note 1 ]. Cette observation me permet d'exprimer ma critique peut-être la plus forte à l’égard du secteur du spectacle en Belgique. La scène artistique veut toujours être progressiste, nous nous vantons de construire le changement pour une société meilleure. Toutefois, lorsqu'il s'agit de coopérer au-delà de la frontière linguistique, la scène artistique contribue peu à faire avancer les choses. Malgré l’importance accordée à l’accueil des artistes en Wallonie, faire ses premiers pas de l'autre côté reste très difficile pour les artistes flamands. Je n’en connais aucun qui présente ses spectacles sur les scènes wallonnes. Pour réussir à faire tourner un «spectacle flamand» en Wallonie (puisque je suis devenu flamand) il me faudrait appliquer une autre méthodologie, que je n’ai pas encore trouvée. En dépit de ce décalage, j'ai eu la chance de collaborer avec quelques théâtres francophones. * L’expérience des migrants Pendant un certain temps, l’apprentissage du français et la découverte de tous ces sons et registres différents continuaient à me confronter à moi-même. Mes recherches sur les relations entre Francophones et Néerlandophones ne pouvaient pas vraiment dépasser les stéréotypes. Suite à un accueil fantastique au Théâtre de Liège, j'ai commencé à m'intéresser à une nouvelle question liée à ce thème: l'expérience des «nouveaux Belges» en Belgique francophone. Si l’on s’arrête dans la rue du Moulin à Liège, on peut être tenté de penser que l'expérience est exactement la même en Wallonie et en Flandre. Je me rappelle, quand j'entrais dans ces magasins, je me sentais comme chez moi. Parce que les magasins de la diaspora y sont organisés exactement comme les magasins de mon quartier à Anvers. C'était un sentiment très étrange: tous les produits, toute l'organisation, toutes les odeurs et les lumières y sont identiques… mais dans un contexte francophone. On porte rarement le regard sur les nouveaux Belges, alors que ce sont eux, ou nous, qui, en grande partie, semblent tisser le lien de ce pays. Je croise régulièrement des Marocains et des Turcs qui traversent fréquemment, plus que les Belges eux-mêmes, la frontière entre la Wallonie et la Flandre, car ils ont de la famille des deux côtés. L'expérience des migrants dans leur pays d’accueil peut montrer quelque chose de plus profond d’une culture. Leur histoire a la possibilité d'échapper au discours bien-pensant et leur regard sur l’espace qui les accueille peut bien dire davantage sur la culture locale... Avec cette pensée en tête, j’ai commencé à lire des auteurs francophones belges d’origine étrangère. Cette étape m’a interloqué, car parmi mes amis et mes collègues aucun ne pouvait me faire de recommandations 2 . Or, pendant mes séjours en Flandre, aux Pays-Bas et en Allemagne, j’ai toujours trouvé sans difficulté le nom de jeunes écrivains issus de l’immigration. En somme, le plus stupéfiant était de voir mes interlocuteurs désemparés lorsqu’ils saisissaient le problème fondamental lié à ma question. J’ai toujours plaint les gens issus de l’immigration en Flandre, où les différences de salaires sont palpables et où la ségrégation commence déjà à l’école. Né en Australie, où les plafonds de verre…
L’artisanat du roman : Initiation à l’écriture créative
Destiné à ceux et celles qui écrivent ou que l’écriture de fiction tenterait, cet essai est nourri de la demande faite un jour à Thomas Lavachery d’animer un séminaire autour des « Pratique de l’écriture pour la jeunesse » dans le cadre d’un master consacré aux métiers du livre jeunesse créé par l’Université Charles de Gaulle, Lille 3 . Auteur jeunesse prolixe et reconnu, notamment pour sa saga Bjorn le Morphir parue à L’école des loisirs où l’essentiel de son œuvre est publié, Thomas Lavachery s’appuie sur son expérience, et il n’hésite pas à l’écrire, sur certaines de ses erreurs pour prodiguer ses conseils aux candidatꞏeꞏs écrivainꞏeꞏs, et on sait qu’ils et elles sont nombreuxꞏes tant la littérature fait (encore) rêver certainꞏeꞏs.S’il s’est appuyé sur son propre travail pour écrire cet essai de creative writing comme on dit du côté anglo-saxon où les formations sont nettement plus répandues qu’en littérature francophone, Thomas Lavachery cite aussi de multiples confrères et consœurs, parfois en comparant leurs pratiques. Citons Tolkien, J.K. Rowling, Simenon, Marguerite Yourcenar, Paul Auster, George Orwell, Elena Ferrante, Stendhal, Proust, Flaubert, Dostoïevski, mais surtout Jules Verne et Alexandre Dumas, le plus cité dans le livre. Notons que Thomas Lavachery rend une autre forme d’hommage à ces aînéꞏeꞏs en les portraiturant lui-même dans cet essai. Il ne manque pas de faire référence à Stephen King pour son livre Écriture, mémoires d’un métier , ou Robert-Louis Stevenson pour ses Essais sur l’art de la fiction , mais également La dramaturgie, les mécanismes du récit , d’Yves Lavandier et Le roman d’aventures de Jean-Yves Tadié. Thomas Lavachery propose d’ailleurs en fin de volume la bibliographie du parfait apprenti écrivain.Sur ces bases pratiques et théoriques, il passe en revue divers éléments de l’écriture créative comme le plan de départ, le synopsis, l’intrigue, le schéma narratif, l’ironie dramatique, la crédibilité, les personnages, les descriptions et les dialogues qui sont d’authentiques créations, le temps romanesque avec ses rythmes et ses ellipses, pour n’en citer que quelques-uns. Précisons que chaque chapitre se termine par des exercices pratiques d’écriture pour ceux et celles qui voudraient passer à l’action sur écran ou sur papier. Là aussi les pratiques varient.Si Thomas Lavachery aborde les genres littéraires comme le roman d’aventure et le roman historique auxquels on le sent attaché, tout comme la littérature jeunesse avec un chapitre consacré aux illustrations et aux interactions avec le texte, il passe sous silence d’autres approches scripturaires comme celles du Nouveau Roman.Écrire est une chose, éditer en est une autre. L’ouvrage se termine sur cette autre réalité en évoquant les liens particuliers qui se nouent entre les auteurs et autrices avec leurs éditeurs ou éditrices, lecteurs et lectrices, correcteurs ou correctrices, voire les sensitivity readers , apparus dans le sillage du politiquement correct et du wokisme pour veiller à ne choquer aucune sensibilité au risque d’édulcorer les textes.Si vous souhaitez deux conseils d’écriture pour terminer, nous avons épinglé ceux-ci cités dans L’artisanat du roman : « Il n’y a qu’un seul art : l’art d’omettre ! », de Stevenson et « La bonne prose est comme une vitre transparente », d’Orwell. Il n’y a plus qu’à… Michel Torrekens Plus d’information Les académies existent pour la peinture, la sculpture, la musique… S’agissant du roman, l’inspiration serait seule à l’oeuvre. Tout viendrait des Muses et rien de la technique. C’est du moins l’idée qui a longtemps prévalu dans les milieux littéraires francophones. Une évolution se dessine cependant, et les cours d’écriture créative, ateliers et autres workshops commencent à fleurir en France et en Belgique. Thomas Lavachery, romancier, chargé d’un cours de pratique de l’écriture pour la jeunesse à l’Université de Lille, livre ici ses idées sur l’art de la fiction. Ses réflexions sur les grands ressorts du roman – l’intrigue, les personnages, les descriptions, les dialogues… – sont illustrées de maints exemples et prolongées par des exercices d’écriture. L’Artisanat du roman propose une initiation personnelle et passionnée à ce métier si beau : romancier. « Écrire n’est pas différent des autres activités humaines, assure l’auteur. La maîtrise technique est source…
La collection d’essais tirés des conférences prononcées lors de ces rencontres privilégiées que sont les Midis de la poésie comptait déjà, parmi les grands noms qui l’émaillent, Pasolini, Brecht, Bauchau, Duras, Aragon… Grâce à l’étude que livre Gérald Purnelle, professeur à l’Université de Liège, deux Liégeois viennent rejoindre cette cohorte d’éminences : Jacques Izoard et François Jacqmin. Comparer deux poètes, ou plutôt deux voix poétiques, est un exercice plus complexe qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas de superposer des citations ni de computer des corrélations lexicales ; encore faut-il sonder au cœur et aux reins leur œuvre respective, via les récurrences thématiques, les fantasmes, le ton, la vision dont elle est porteuse. Une naissance et une mort en région liégeoise augmentées d’une contemporanéité d’écriture ne suffisent en effet pas à fonder une connivence entre poètes, même si elles permettent d’entrevoir quelques traits de parenté.Gérald Purnelle a très bien mis en exergue les différences de tempérament des deux hommes, et ce sans entrer dans le détail de leur intimité vécue, mais en se plaçant d’emblée sur le terrain de leur ethos social comme littéraire.Quelles silhouettes, et quelles carrures que celles de ces frères séparés. D’un côté, Jacques Delmotte au pseudonyme de col alpin, « militant » de la cause poétique, qui s’y dépense sans compter, s’y brûlera ; homme de réseaux (il n’a jamais cessé de publier concomitamment aux plus grandes enseignes et dans des revues éphémères, confidentielles) et de rencontres (pas un seul « écrivant » à Liège pour ignorer le passeur magnifique qu’il fut) ; professeur, qui savait susciter l’éveil à la fécondité de la langue française parmi ses classes de techniques / professionnelles, par exemple en leur livrant en pâture un « poème du jour » à discuter, dépecer, noter sur dix ; diseur enfin à la sensualité directe, poète tactile, rebelle jusqu’au bout au(x) cloisonnement(s). De l’autre, François Jacqmin, homme d’un seul nom de famille, avouant volontiers que la découverte de la poésie marqua une « fracture » dans son existence, manifestée par un « manque d’adhésion généralisé », ce qui n’est pas sans évoquer un certain Henri Michaux ; compagnon de route – y avait-il une autre manière d’en être ? – du surréalisme d’après-guerre, s’auto-désignant comme « le membre le plus tranquille de la Belgique sauvage » ; homme du retrait, du confinement de sa parole, de la divulgation au compte-goutte, qui publie son premier recueil d’importance, Les Saisons , à l’orée de la cinquantaine en se tenant loin des coteries, des logiques de conquête du champ. Jacqmin, silentiaire d’un empire intérieur à dimension de jardin.Gérald Purnelle a parfaitement saisi à quel point « l’écriture poétique d’Izoard et de Jacqmin se fonde également sur une permanente perception du monde comme origine et, comme enjeu, sur l’inscription du sujet dans ce monde et dans le langage ». Ce postulat explique la réticence – le refus ? – manifestée par Izoard à intellectualiser le réel, et à l’inverse les ressorts émotionnels, frisant l’extase, qui sont présents dans l’expression de Jacqmin ? Et là où Izoard entre en contact avec des matières, des étoffes, usant sans vergogne de l’œil, du doigt, de la langue, du sexe, Jacqmin approche par cercles concentriques, franchissant par paliers les couches invisibles qui ceignent l’essence des choses. Une essence qui, évidemment, se révèle évanescence.Le verbe est alors ressenti tout différemment de part et d’autre. Pour Jacqmin, il y a une inaptitude à exprimer les profondeurs du sensible : ainsi explique-t-il dans un entretien accordé à Revue et corrigée au mitan des années 80 : Je considère que c’est une injure vis-à-vis du monde que de le désigner, que de lui coller un verbe sur le dos et de dire à cet objet « voilà ce que tu es ». Et je ne fais pas plus confiance à ma pensée qu’au langage, ce qui veut dire que la situation est tout à fait bloquée. On retrouve la contradiction dans le fait que je continue d’écrire. Pour Izoard, par contre, qui exerce son écriture comme un décloisonnement, le langage est vecteur de projection vers l’autre. Ne pas se retrancher derrière les vocables, mais faire en sorte qu’ils soient le salutaire fil conducteur allant de l’un à l’autre. Briser ainsi le halo de vide autour des êtres, les aimer. ( extrait de Ce manteau de pauvreté , 1962 )Le mérite d’une telle étude, au-delà de l’outil d’analyse qu’elle fournit, est de constituer un irrésistible incitant à se ressourcer, d’un mouvement parallèle, chez Jacqmin et Izoard, recto…