L’être et la création furent deux sujets majeurs dans la pensée et l’œuvre du poète François Jacqmin. Inédits ou tirés de catalogues, les nombreux textes ici rassemblés pour la première fois témoignent des lignes de force de cette réflexion constante, de sa sensibilité toujours critique à l’égard des arts plastiques et des amitiés qui ont pu le lier aux artistes. Les écrits sur l’art et les artistes de Jacqmin sont, au même titre que ses poèmes, « l’œuvre d’un regard ».
Auteur de Écrits sur l’art et les artistes (1954-1991)
Sur la couverture, un aphorisme peint, lettres noires sur fond rouge, de et par François Jacqmin : « Pourvu qu’il n’arrive Rien ». Ce grand Rien, que pouvait-il représenter pour le poète des Saisons et du Domino gris ? On songe à « la Catastrophe », qui hantait les pages du seul roman de Christian Dotremont, La pierre et l’oreiller. Mais chez Jacqmin, qui n’a cessé de creuser par l’écriture ce puits sans fond qu’est la notion même d’exister, ce grand Rien reste un mystère. Les écrits publiés, inédits ou ébauchés de Jacqmin, déposés et inventoriés aux Archives et Musée de la Littérature (AML), font désormais l’objet d’une volonté de publication intégrale. C’est ainsi qu’après un premier…
Il existe entre un livre et son auteur un espace d’exploration littéraire que Michel Joiret appelle en collaboration avec Noëlle Lans, « Voyage en pays d’écriture ». Le principe en est cristallin : partir sur les traces des écrivains, là où ils ont commis leur œuvre et y découvrir ce que les sens de la présence sur place peuvent offrir. C’est-à-dire les non-dits des auteurs et l’esprit des lieux d’écriture. Depuis 1995, la revue Le Non-Dit , entreprise compagnonique , guide ses lecteurs-voyageurs dans l’environnement des écrivains et fait « parler les pierres qui leur ont servi de refuge ». Il en est ainsi du premier colloque à Epineuil-Le-Fleuriel où est située l’école d’Alain-Fournier, auteur du Grand-Meaulnes. Plusieurs convives s’y sont réunis pour mesurer le livre aux lieux mais aussi aux grammairiens belges.De même en 1999 au Grand-Hôtel de Cabourg, « en front de mer, avec piano-bar et musique d’époque ! » pour diverses lectures de l’œuvre-cathédrale de Marcel Proust. À lire toutes les interventions d’alors, le verbe se lève et souffle tant que la plume se montre absolue : on se demande si l’écriture de Proust émane de lui ou bien si c’est Proust qui émane de l’écriture ?En 2000 aux refuges de Pierre de Ronsard et de Pierre Loti, il est question d’un fil rouge reliant les roses sur les lieux des cimes amoureuses du premier à « la lourde et odorante végétation de Nagasaki » du second. Soit à l’instar de tout l’ouvrage, un fil de textes courts et autonomes ; érudits sans assommer.Quelle somme justement ! de témoignages, de recherches, de lectures, d’extraits, de citations et d’anecdotes pour fonder ce livre de voyages qui se fondent en une déclaration de passion pour la littérature. Nous glissons la tête derrière des rideaux vers les coulisses de temps perdus, dont seuls l’air et la lettre peuvent encore témoigner.Voyager en pays d’écriture donne faim et soif de tout lire des auteurs visités, tant les frontières entre les livres deviennent aussi précaires voire absurdes qu’entre les pays, une fois que l’on est sur place. Un genre cependant ressort de l’ouvrage, celui du romantisme, destination en 2002 via Chateaubriand et George Sand.Michel Joiret y fait l’aveu de son propre romantisme : « Drôle de question pour une curieuse époque, la nôtre, où beaucoup se sait, où peu se sent, où tant d’émotions sont en jachères et où le non-dit des échanges gagne le terrain perdu des années… Déçus par les philosophes (anciens et nouveaux), beaucoup se tournent vers des cultures et des religions « éprouvées » et sûres. »« En 2003, Le Non-Dit propose une rencontre avec quelques écrivains belges établis dans la capitale française, un projet qui séduit une quarantaine de personnes, principalement des enseignants. » En effet, le projet en association avec l’Enseignement du Hainaut ne veut pas seulement interroger des frontières géographiques, mais aussi celles des élèves avec la lecture, à l’aide de leurs professeurs. Historique, culturel, romantique, pédagogique, tel est-ce de voyager en pays d’écriture.Et ainsi de suite jusqu’en 2017 avec Aragon et Cocteau entre Milly-la-Forêt et Saint-Arnoult-en-Yvelines. L’index du livre compte 228 auteurs interpellés par une écriture soignée. Michel Joiret est manifestement un grand amoureux, compulsif et pas jaloux, qui aime comme un fou et invite avec ses collaborateurs et intervenants à admirer, adorer la littérature. Tito Dupret Les écrivains du passé n’ont jamais cessé de nous parler. Il nous appartient de les écouter, même si l’écoulement du temps a pu érailler leurs voix, même si les relais de lecture intergénérationnels sont aujourd’hui moins assidus, même si la primauté de l’image a pu dérouter les chemins d’écriture. L’œuvre des Illustres est l’ADN de chacun de nous. Quand l’oreille intérieure et l’œil se font moins vifs et sortent du champ de lecture, il nous reste le trésor des pierres, des lieux signifiants – comme les aubépines de Marcel au Pré Catelan –, l’intimité d’une table, d’une plume et d’un encrier – comme l’écritoire de Jean-Jacques à Montmorency. Comme l’écrit Pierre Mertens dans son avant-dire : « Allons ! Comment se lasserait-on de ces retours aux sources sur les lieux du crime – ce crime fameusement “impuni” : la lecture ? » Ou la relecture ?… Au fil de ses voyages, ses rencontres et ses chemins d’écriture, la revue « Le Non-Dit » nous emmène sur les traces d’Alain-Fournier, Marcel Proust, Pierre de Ronsard, Pierre Loti, François-René de Chateaubriand, George Sand, Maurice Leblanc, Madame de Sévigné, Alexandre Dumas, François Rabelais, Michel de Montaigne, Erasme, Colette, Blaise Cendrars, Pierre Mac Orlan, Francis Carco, Georges Brassens, Jean-Jacques Rousseau, Maurice Maeterlinck, Marguerite Duras, Jean Cocteau,…
Artiste de la scène, australien-sri-lankais-tamoul-flamand-nouveau Belge
Comment dépasser les stéréotypes? par Ahilan Ratnamohan, artiste de la scène J'écris le présent article en français. C’est un choix conscient. Il est vrai que l’anglais serait l'option la plus pertinente pour exprimer mes pensées. Et le néerlandais serait sans doute la langue la plus appropriée pour aborder les thèmes qui m'occupent aujourd'hui, puisque je les ai surtout expérimentés en tant que résident en Flandre. Toutefois, j'ai l'impression qu'il serait presque malhonnête d'écrire cet article en anglais, ou même en néerlandais, car en quelque sorte cela ferait de moi un expert en anthropologie, un expert que je ne suis pas. Écrire en français me semble être le plus logique, en dépit de l’effort que cela me demande. Quand j’écris en français, je dois écrire des phrases très simples. Des phrases qui reflètent peut-être la naïveté de cet article. Ma compréhension de la complexité de la Belgique sera toujours naïve et simpliste, je ne comprendrai jamais tous les tenants et aboutissants. Vous, lecteur belge francophone ou peut-être même néerlandophone, vous allez sans doute vous irriter en découvrant le degré de simplification de l’analyse, tout comme vous allez vous irriter en lisant mon français de pauvre qualité. Parce que vous n'êtes pas habitué à écouter le point de vue d’un migrant sur la Belgique, tout comme vous n'êtes habitué à lire des articles que dans un français parfait. En fait, quand j’ai proposé d'écrire ce texte directement en français au lieu de le faire traduire, Hans, le secrétaire de rédaction, n'était pas convaincu que ce soit une bonne idée. Les lecteurs trouveraient peut-être cela étrange, m’a-t-il écrit. C’est un point de vue auquel je n’avais jamais été confronté dans les cercles flamands. * Les premiers pas en Wallonie Soit. Hans m'a proposé d'écrire un article sur la manière dont, selon moi, la Flandre et la Wallonie interagissent et devraient interagir. En fait, je m’étais déjà posé cette question en 2018, il y a six ans. C’est à ce moment-là, cinq ans après mon arrivée en Belgique, que je me suis rendu compte que je n'étais jamais allé en Wallonie, sauf pour une escapade avec des Flamands dans les Ardennes. J’avais pourtant déjà franchi la frontière des Pays-Bas un nombre incalculable de fois (de même que la frontière allemande) pour y jouer des spectacles, mais pas une seule fois je ne m’étais aventuré en Wallonie. À cette époque, mon interaction avec la Belgique francophone était inexistante. Les seules choses que je savais sur les Wallons m'avaient été confiées par des gens de Flandre ou par les médias. J’avais donc hérité d'une série d’idées stéréotypées et parfois sensationnalistes, très difficiles à transcender. Et particulièrement cantonnées à Anvers. Ce sont précisément les stéréotypes qui m'ont poussé à entreprendre des recherches plus sérieuses. À essayer de dépasser les frontières mentales et physiques que je m’étais construites. Je m'étais convaincu que je pouvais tenter d'échapper à mon identité de vervlaamste [flamandisé] Australien-Sri-Lankais-Tamoul. Ou, plus honorablement encore, tenter de devenir un meilleur Belge. Néanmoins, je suis bien contraint de l’avouer, aujourd’hui je me demande si ma démarche n’était pas plutôt née d’une réalité économique. Je crois que j’étais surtout gêné par le fait de ne pas pouvoir profiter de toutes les possibilités de jouer ou de créer des spectacles dans le pays entier. En fait, cela est assez ironique. Je découvrirais que cette impulsion économique était le résultat d’une ignorance coupant court aux stéréotypes. Au moment où j’ai mis les pieds dans un centre artistique francophone pour la première fois, j’ai vite été étonné. L'accueil y était si sympathique, si chaleureux. De surcroît, dans les lieux culturels francophones que j’ai fréquentés, il y a même un poste spécifique dédié à l'accueil des artistes. Or, je me rappelle encore bien la première fois où j'ai été invité à jouer en Flandre, dans un festival assez important. Entrant dans les bureaux pour me présenter, je m'attendais à un accueil spécial tel que: Zo fijn dat je deel uitmaakt van ons festival! [Nous sommes ravis de vous compter parmi les participants à notre festival!] Mais j'ai été reçu par des gens derrière leur ordinateur. Certains ont levé les yeux, mais personne ne m'a adressé la parole. Il faut bien le reconnaître, les processus et les habitudes sont si différents dans les théâtres francophones et néerlandophones qu’il est parfois facile de comprendre pourquoi les collaborations sont rares [v. note 1 ]. Cette observation me permet d'exprimer ma critique peut-être la plus forte à l’égard du secteur du spectacle en Belgique. La scène artistique veut toujours être progressiste, nous nous vantons de construire le changement pour une société meilleure. Toutefois, lorsqu'il s'agit de coopérer au-delà de la frontière linguistique, la scène artistique contribue peu à faire avancer les choses. Malgré l’importance accordée à l’accueil des artistes en Wallonie, faire ses premiers pas de l'autre côté reste très difficile pour les artistes flamands. Je n’en connais aucun qui présente ses spectacles sur les scènes wallonnes. Pour réussir à faire tourner un «spectacle flamand» en Wallonie (puisque je suis devenu flamand) il me faudrait appliquer une autre méthodologie, que je n’ai pas encore trouvée. En dépit de ce décalage, j'ai eu la chance de collaborer avec quelques théâtres francophones. * L’expérience des migrants Pendant un certain temps, l’apprentissage du français et la découverte de tous ces sons et registres différents continuaient à me confronter à moi-même. Mes recherches sur les relations entre Francophones et Néerlandophones ne pouvaient pas vraiment dépasser les stéréotypes. Suite à un accueil fantastique au Théâtre de Liège, j'ai commencé à m'intéresser à une nouvelle question liée à ce thème: l'expérience des «nouveaux Belges» en Belgique francophone. Si l’on s’arrête dans la rue du Moulin à Liège, on peut être tenté de penser que l'expérience est exactement la même en Wallonie et en Flandre. Je me rappelle, quand j'entrais dans ces magasins, je me sentais comme chez moi. Parce que les magasins de la diaspora y sont organisés exactement comme les magasins de mon quartier à Anvers. C'était un sentiment très étrange: tous les produits, toute l'organisation, toutes les odeurs et les lumières y sont identiques… mais dans un contexte francophone. On porte rarement le regard sur les nouveaux Belges, alors que ce sont eux, ou nous, qui, en grande partie, semblent tisser le lien de ce pays. Je croise régulièrement des Marocains et des Turcs qui traversent fréquemment, plus que les Belges eux-mêmes, la frontière entre la Wallonie et la Flandre, car ils ont de la famille des deux côtés. L'expérience des migrants dans leur pays d’accueil peut montrer quelque chose de plus profond d’une culture. Leur histoire a la possibilité d'échapper au discours bien-pensant et leur regard sur l’espace qui les accueille peut bien dire davantage sur la culture locale... Avec cette pensée en tête, j’ai commencé à lire des auteurs francophones belges d’origine étrangère. Cette étape m’a interloqué, car parmi mes amis et mes collègues aucun ne pouvait me faire de recommandations 2 . Or, pendant mes séjours en Flandre, aux Pays-Bas et en Allemagne, j’ai toujours trouvé sans difficulté le nom de jeunes écrivains issus de l’immigration. En somme, le plus stupéfiant était de voir mes interlocuteurs désemparés lorsqu’ils saisissaient le problème fondamental lié à ma question. J’ai toujours plaint les gens issus de l’immigration en Flandre, où les différences de salaires sont palpables et où la ségrégation commence déjà à l’école. Né en Australie, où les plafonds de verre…