Auteur de D’un Lieu d’Ombres (1978-1981)
Réponse de Françoise Lempereur. Hommage à Jean-Jacques Gaziaux
Monsieur le Président, Messieurs les Sociétaires, Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre chaleureux accueil et vous dire combien je suis ravie de succéder à Jean-Jacques Gaziaux, ethnolinguiste exemplaire que j'ai eu la chance de côtoyer durant les années 1993 à 2007 au Conseil supérieur de l’Ethnologie de la Communauté française Wallonie-Bruxelles. Il avait lui-même remplacé, en 1986, Maurice Piron qui fut mon professeur de «français de Belgique» et de littérature française à l’Université de Liège en 1970 et 1971. * C’est en ouvrant la chronique Wallonnes du 1er trimestre 2022 que j’ai appris le décès de Jean-Jacques Gaziaux, quelques semaines auparavant, le 31 janvier. Je le savais malade mais ne pensais pas que la Grande Faucheuse l’emporterait si tôt, à 79 ans, car j’avais gardé de lui l’image d’un homme grand et fort qui n’épargnait ni son temps ni ses forces pour conjuguer un métier d’enseignant, une vie d’époux et de père, un goût pour les voyages ‒ le Portugal et surtout l’Irlande avaient sa préférence pour les vacances familiales ‒, une passion pour la recherche et la publication de nombreux travaux, très chronophages à n’en pas douter. L’In memoriam publié sous la plume de son ami Jean-Marie Pierret me fit découvrir des facettes méconnues de sa personnalité hors normes. À vrai dire, je n’avais jusqu’alors pas réellement pris conscience du caractère exceptionnel de ce chercheur infatigable et auteur prolifique, tant son talent était caché sous une modestie et une discrétion peu communes. J’avais, par exemple, acquis une dizaine de ses ouvrages mais n’imaginais pas qu’ils ne constituaient qu’une part réduite de son œuvre. * Lorsque, le 18 octobre dernier, je reçus un message du Président de la Société, Patrick Delcour, m’annonçant que celle-ci désirait me voir reprendre le siège de Jean-Jacques Gaziaux, j’en fus à la fois très heureuse et quelque peu mal à l’aise car j’estimais que je ne maîtrisais pas suffisamment le wallon pour remplacer un incontestable expert de l’ethnolinguistique. Mins, våt mîs tård qui måy et si, en trois mois, je n’ai guère amélioré ma connaissance de la langue, j’ai pu au moins en apprendre davantage sur celui qui a notamment rédigé une thèse de doctorat de 1791 pages manuscrites, calligraphiées et sans rature, intitulée "La Vie agricole à Jauchelette". Étude dialectologique et ethnographique… un travail de titan qui sera remanié ultérieurement pour donner naissance à cinq gros ouvrages publiés entre 1982 et 2003. Grâce au gestionnaire efficace de la Bibliothèque des Dialectes de Wallonie, Baptiste Frankinet, j’ai pu consulter l’ensemble de ses publications. Ma curiosité a alors cédé la place à une réelle sidération, à la fois devant son extraordinaire empathie avec le monde rural et devant sa rigueur scientifique. * L’art de l’enquête Ne jugeant pas utile de reprendre ici les éléments biographiques et bibliographiques excellemment évoqués par Jean-Marie Pierret dans Wallonnes 2022/1, je voudrais, dans le présent hommage, faire ressortir l’intelligence et le savoir-faire de Jean-Jacques Gaziaux à travers sa maîtrise de l’art de l’enquête et celle de l’organisation et de la valorisation des éléments collectés. Un réel modèle à suivre. À la différence de bon nombre de chercheurs contemporains, il a toujours aspiré à développer ses connaissances non pas en élargissant son terrain d’enquête initial mais bien en le cernant avec précision et en l’approfondissant. Après une enfance à Jauchelette, il vécut, jusqu’à son décès, à Jodoigne, ville de 15 000 habitants aux confins du Brabant et de la Hesbaye et jeta son dévolu sur une zone rurale d’une superficie d’environ 60 km², au sud et à l’ouest de cette ville. Il est, à ma connaissance, un des rares collecteurs wallons à avoir sillonné durant plus de quarante ans le même territoire, pour en explorer les moindres recoins et y interroger un maximum de témoins différents. * Jean-Jacques Gaziaux définissait le parler brabançon comme une variété de dialecte namurois et, lorsqu’il recueillait des termes ou des expressions qui dépassaient le cadre initialement défini (le seul village de Jauchelette, par exemple), il prenait soin d’indiquer si la forme recueillie existait dans un dictionnaire publié et si elle était «largement», «partiellement» ou «très localement» répandue. Ainsi, dans son article «À propos de quelques mots de l’est du Brabant wallon», il analyse, p. 58-64, les appellations locales des fanes de pommes de terre et de betteraves et «tente de délimiter avec le plus de précision possible les aires de répartition des différents mots», selon le modèle de l’Atlas linguistique de Wallonie. Pour ce faire, il ira jusqu’à entreprendre des enquêtes systématiques dans 43 anciennes communes des cantons de Jodoigne et de Perwez, plus Longueville, à raison de deux ou trois témoins dans chacune d’elles …amon Gaziaux, on n’ mache nin lès scwaces, lès cwasses, lès cwades, lès ranches èt lès trḗts (dès canadas) avou lès fouyes, lès cheûves et lès chėmes (dès pétrâles)! Dans le même article, alors qu’il examine, p. 48-50, le mot wastia, qui désigne un gros bâton ou un gourdin, il introduit d’autres acceptions, disparues ou éloignées, liées, selon les villages ‒ dûment précisés ‒, au djeu do wastia, jeu de décapitation de l’oie ou jeu de quilles, ou au grand gâteau, aujourd’hui remplacé par des pains fleuris, porté et bénit lors du « pèlerinage annuel du Wastia » à Basse-Wavre. Pour tenter d’expliquer le lien entre ces appellations, il renvoie non seulement au FEW et à plusieurs dictionnaires wallons mais aussi à des travaux d’historiens et de folkloristes, désavouant même, grâce à ces sources, une proposition d’étymologie qu’il avait formulée une dizaine d’années plus tôt dans sa thèse de doctorat. C’est peu dire en effet que J.-J. Gaziaux linguiste se doublait d’un J.-J. Gaziaux ethnographe. Le Conseil supérieur de l’Ethnologie ne s’était pas trompé en l’intégrant en son sein car il alliait mieux que quiconque le sens de l’observation de terrain, le contact avec le témoin et la volonté de circonscrire la matière en organisant avec habileté les données récoltées. La collection Tradition wallonne – hélas disparue! ‒ peut se féliciter d’avoir publié deux de ses meilleures monographies ethnographiques: Des gens et des bêtes (1995) et De quoi nourrir gens et bêtes (2003), ainsi que plusieurs articles, notamment: «Échos du carnaval à Jodoigne au XXe siècle» et «Le temps qu’il fait à Jauchelette». Dans ce dernier, il recense, en près de 100 pages, l’ensemble des termes et des expressions qu’utilisent lès vîyès djins pour décrire les phénomènes météorologiques locaux. Comme à l’ordinaire, il s’efforce de vérifier chaque information et demande à sa tante Maria Léonard, ancienne cultivatrice née en 1915, de noter en wallon le temps de chaque jour, d’avril 1982 à mars 1983, soit durant une année entière. Il s’assure ainsi de traiter toutes les situations possibles et de recouper efficacement les enquêtes déjà réalisées auprès d’autres témoins du village. * Jean-Jacques Gaziaux sait que la langue vernaculaire est menacée et qu’elle constitue «un vecteur du patrimoine culturel immatériel», pour reprendre la formule utilisée par l’UNESCO, patrimoine qui ne cesse d’évoluer car tributaire des modes de vie, des mutations sociales et des contraintes environnementales et climatiques. Il intègre donc cette problématique dans son œuvre et, après chaque enquête, s’efforce de comparer l’état contemporain de la question avec les données récoltées auparavant. Ainsi, lorsqu’il termine la rédaction de sa thèse de doctorat, en 1981, après vingt ans de collectes de témoignages, il fait le point sur l’évolution…
Isabelle (tome 10) : Le sortilège des Gâtines
Les elfes des Gâtines, une ancienne région de marécages, dépérissent car ils ne trouvent plus de rêves humains pour se nourrir. Il faut dire que les gens installés dans…
Mon jardin des plantes : poèmes et photographies
Jan BAETENS et Marie-Françoise PLISSART , Mon jardin des plantes : poèmes et photographies , Impressions nouvelles, 2024, 136 p., 18 € / ePub : 7,99 € , ISBN :978-2-39070-145-3 Jan Baetens (1957) est l’auteur de vingt recueils de poésie, dont récemment Après, depuis (2021, prix Maurice Carême de poésie 2023 ) et Tant et tant (2022). Styles et thèmes de ses livres varient mais leur point de départ est toujours le même : la vie quotidienne repensée par l’art et la littérature. Auteur de nombreuses études sur les rapports entre textes et images, dont Le roman-photo (avec Clémentine Mélois) ou Adaptation et bande dessinée : éloge de la fidélité , dans son essai Illustrer Proust , il présentait et discutait les réponses successives données depuis plus d’un siècle par les artistes et leurs éditeurs au désir et à la difficulté d’illustrer Proust. Il a publié le remix d’une collection privée de ciné-romans-photos, Une fille comme toi (2020) et un essai contre l’oralisation de la poésie : À voix haute. Poésie et lecture publique (2016). Marie-Françoise Plissart (1954) est l’une des figures majeures de la photographie belge. Comme Baetens, elle s’est intéressée très tôt aux rapports entre un texte et une image, réalisant avec Benoît Peeters le livre Correspondance (Yellow Now, 1981), début d’une bibliographie abondante. Photographe free-lance depuis 1987, elle a réalisé de nombreux travaux dans de multiples domaines tels que l’architecture, le théâtre, le portrait et l’illustration. Ses photographies ont été notamment exposées à Bruxelles, Liège, Paris, Genève, Amsterdam, La Haye, Rotterdam, Berlin et Vienne. Elle est aussi une vidéaste captivée par l’exploration du tissu urbain et par ses transformations. Texte et image entretiennent une relation complexe, souvent de dépendance, sauf dans le cas où sa polysémie et celle du poème se superposent en échos infiniment répercutés et ouverts , comme dans l’effet-miroir. Mon jardin des plantes : poèmes et photographies est une composition photo-textuelle à quatre mains avec pour thèmes l’eau et l’arbre et une approche des coïncidences des contraires, qui culmine dans le magnifique effet-miroir de la photo du Parc royal de Bruxelles (M.F. Plissart, 2011). Ce concept de l’effet-miroir est présent dans toute l’anthropologie culturelle et symbolique : il nous met en présence d’une perception, d’une imagination ou d’une croyance en une surexistence par rapport au monde donné, qui n’est ni un irréel ni un délire. Une conscience d’un mode spécifique s’y fait jour, celui d’une apparition ou d’une épiphanie, sous forme de synchronicités, de dévoilements, de rencontres avec un au-delà du visible. Ce non visible ouvre sur l’expérience du sacré, en tant que celui-ci fait surgir dans notre sensibilité ou nos représentations un plan d’inaccessibilité ; on ne peut l’instrumentaliser, il est un inter-dit. Comment rendre compte de ces catégories si souvent associées, d’invisible, de secret et de sacré ? Comment permettent-elles de structurer et de comprendre une part d’ombre de notre expérience du monde et des autres ? L’art est une voie d’accès à cette sur-réalité : Johannes Vermeer, « Vue de Delft »Soustraire sans rien perdre, pour la beauté du geste, puis additionner en vue de la sainte multiplication, chaque chose à sa place, puis proliférant jusqu’à occuper une autre place dans l’eau,qui l’amène à d’autres négoces et trafics encore. Converti en brique et azur, le nombre d’or Garde ses droits, unissant pour mieux régner. Le livre est composé de sept « chapitres » : les poèmes et les photographies offrent une relation de miroir, non d’illustration. L’eau a toujours été l’un des éléments les plus efficaces pour équilibrer le corps et l’âme : elle est le signe d’un éveil spirituel, permettant de lâcher prise. L’arbre est un symbole de vie et de verticalité incarnant le caractère cyclique de l’évolution cosmique. Tous deux offrent une dialectique entre permanence et métamorphose. Ainsi au fil des poèmes, le lecteur est invité à considérer le proche et le lointain, le connu et l’inconnu, le quotidien et l’indéfinissable, le simple et le complexe, motifs qui se déclinent aussi par miroitements en ceux du voyage, de la perte des repères, des relations inattendues entre topos et tempus, nature et culture, à la recherche de l’unité originelle :[…] Lentement le sens se dépouille des mots qui l’emportent, Elle dit que le jardin se fait son havre. […] Enfin la main qui crée l’objet qu’elle touche, Qui aide à défaire sans peur l’articulation du monde, À ne plus nous lamenter que les choses parlent à notre place. L’amour du trivial est figure…