Le 16 décembre 1944, une violente attaque allemande fait voler en éclats le front américain dans les Ardennes. Trois jours après, Rundstedt passe la Meuse. Il atteindra Anvers et Terneuze, prenant au piège l’armée anglaise de Hollande. En même temps, sur le front de l’Est, les Russes imprudemment avancés subissent la même grave défaite, dans la région des lacs Mazures, que leurs prédécesseurs de 1914. En quelques semaines la situation militaire en Europe s’est complètement modifiée. Ce qui, dans la population civile, n’est pas sans embarrasser les personnes les plus (ou les moins) «engagées» dont un certain nombre ont pris des responsabilités politiques, actives ou passives, au cours des cinq mois précédents. Et des quatre années antérieures… Que va-t-il se passer ? Que faut-il faire ? Spécialement dans nos parages. Quels vont être les états d’esprit des occupés-désoccupés-réoccupés, leur contenance, leurs relations ? Non, cela n’est pas arrivé, Dieu merci ! Cela aurait pu arriver !… Dès lors il est intéressant de savoir comment se serait développée – humainement, socialement, historiquement – une telle conjecture. L’hypothèse se construit à partir de Bruxelles, centre géographique de l’événement. Elle portrera à l’avant-plan sur un couple ; au plan moyen sur une petite société, avec quelques nuances et variantes ; l’arrière-plan sur le sort et le sentiment du monde. Tableau dont le caractère essentiellement fantaisiste – puisqu’il prend la forme de «mémoires apocryphes» – ne va pas aujourd’hui sans ironie. Ni même parfois sans un peu de cocasserie. Cela vous choque ? Un bon tiers de siècles ne s’est-il pas écoulé depuis ? Catastrophes et tragédies, vilenies et sottises ne sont-elles pas, à pareil terme, «tombées dans le domaine public» ?
Auteur de La conjecture : Mémoires apocryphes