Dans les montagnes de la Sierra Madre, les Huichols – ils se nomment Wirarika, peuple devin – pensent comme Goethe que Ce qui est formé est aussitôt transformé. La source cachée de la vie est oscillante et impermanente. Les étapes de son développement de l’invisible au visible sont pourtant marquées. Le filet de la pensée wirarika capture un monde d’escapades qui va du feu au soleil et du cerf au maïs. Mettre un nom sur le visage d’une pensée, c’est créer une légende. Mieux que d’assister passivement au déroulement de la légende, les Huichols la développent. Pas de savoir sans saveur. Pas de cœur sans saveur. Un cœur doit parler. L’origine sapiens du mot savoir prospère dans sagesse. On lui souhaite de rencontrer son principe charmant – le sel du plaisir.
Entre divinités précolombiennes et divinités post hollywoodiennes, j’y étais. Presque.
Auteur de Divinités
Ivan Alechine n’aurait pas terminé ses études d’ethnographie malgré l’appui et l’affection de Germaine Dieterlen et de Luc de Heusch, directeurs d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à Paris, ni de photographie ; en 1971 il aurait participé à (se serait caché dans les malles de…) la première expédition d’ethnomusicologie en pays Mongo situé dans la République Démocratique du Congo, expédition dirigée par Benoît Quersin.
De retour d’Afrique, dans sa poche de jeune poète, il y aurait eu une lettre de Christian Dotremont contenant ces mots ; « Je pense que la poésie doit être ainsi : un débat extrêmement multiple entre soi et soi, entre soi et les autres, entre soi et les réalités si diverses, nouvelles, à voir, à saisir, ou déjà anciennes relativement, dont il faut s’en aller pour les voir mieux, les saisir davantage ou les intégrer à soi une fois pour toutes. »
En 1989, il aurait célébré le bicentenaire de la Révolution française et fait la sienne au Mexique qui lui aurait donné l’occasion, fils-Cobra, de changer de peau ; il aurait obtenu, pendant une dizaine d’années, une carte de journaliste qui lui aurait permis, appareil photographique au poing, de sillonner la république mexicaine au plus profond de la misère économique et des richesses anthropologiques. En 1999, il aurait renoué, pour quatre années, avec l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en suivant les cours de Michel Graulich où auraient été invités, de loin en loin, les grands spécialistes de la pensée préhispanique mexicaine, Alfredo Lopez Austin, Patrick Johansson et Matos Moctezuma.
Faudrait-il y voir un abandon définitif de l’aura africaine ? En 2001, il aurait publié un titre qu’aurait salué Claude Lévi-Strauss en ces termes : « Un roman ethnographique où la littérature permet d’accéder à une réalité juste et à sa plus complète compréhension. Le livre offre un tableau très prenant de la condition actuelle de nombreux peuples amérindiens. »
En 2010, Ivan Alechine aurait publié un premier album de photos sur la dérive d’un Mexique froid et industriel. Quelques expositions se seraient progressivement mises en place. Depuis cette date, il se serait focalisé sur la Sierra Madre Occidentale - chère à B. Travens - sur une communauté particulière des indiens Huichols fermée à toutes investigations, autant photographiques qu’ethnographiques, depuis celles entreprises, en 1934, par le nord américain Robert M. Zingg. Il verrait dans les actes furieusement chamaniques des Huichols, certes menacés, une mise en mouvement de la notion d’Inframince parallèle à celle qui est en activité sur le Grand Verre de Marcel Duchamp.
Pour une fois, commençons par la fin. En guise de terminus à Divinités, cette nouvelle échappée d’Ivan Alechine dans la Sierra Madre mexicaine et au-delà, l’auteur d’Enterrement du Mexique (Galilée, 2016), par ailleurs excellent photographe, clôture son récit par une de ses images en noir et blanc : une vue de toits pointus, faits de tôles ondulées qui se chevauchent, maintenues par des blocs de pierre. Il n’y a pas si longtemps, dans les hameaux et villages de Tuxpan de Bolanos, au pays des Indiens Huichols, où Alechine s’immerge régulièrement depuis plus d’une vingtaine d’années, les petites pièces d’habitat disposaient d’un toit de chaume. Aujourd’hui, constate Alechine, « tous les toits sont en tôle ondulée.…
Avec Empreintes , Serge Meurant se signale une nouvelle fois par une poésie ayant la générosité d’être choisie.…
Mon corps est une armoire. Je vis dedans. Quand elles viennent, je voudrais me cacher ailleurs. Je pourrais m’enfuir et elles ne verraient rien, je serais toujours là. Juxtaposées dans leur écrin blanc et noir, les phrases de Françoise Lison-Leroy ricochent sur les estampes de Pascaline Wollast , également magnétiques et sibyllines, à mi-chemin entre l’énigme et l’évidence. Ce bref récit poétique contient deux parties : « On a changé de pays » et « L’autre nuit » – deux parties qui se présentent comme les rives d’un fleuve, entre lesquelles serpente une histoire millénaire et pourtant toujours neuve. On a changé de pays introduit l’idée d’un mouvement, peut-être une fuite, un départ en tout cas qui bute d’emblée sur les murs d’une étrange maison, dont on ne sait s’il s’agit d’une prison ou d’un centre de soin – voire, de tout autre chose. Mais s’agit-il seulement d’échapper à quelque chose ou quelqu’un ? Peut-être est-il plutôt question de se soustraire aux regards, pour mieux retrouver ses souvenirs et les parfums tactiles du premier nid (ou premier lit) à l’approche du dernier. J’apprends par cœur une langue étrangère et quand je la connaîtrai, je pourrai sortir. Il ne faut pas se lancer dans le vide. Les deux autres, qui dorment à côté, ne parlent pas. Écoute ce silence. Le premier sous-titre est aussi la première phrase de l’ouvrage, il enclenche le principe de répétition qui ponctue le récit : succession de litanies obsédantes qui participent à piéger l’attention des lecteurs dans la toile tissée par l’autrice. On rencontre alors des hypothèses qui deviennent le réel, « on part quand on veut mais il faut remplir le formulaire », des injonctions incongrues, « je dois leur rapporter le livre de géométrie », une histoire comme un jeu de plateau à échelle humaine dont le cours n’est pas tant déterminé par les volontés que par les coups de dés. Un très grand jeu dont il faut respecter les règles bizarres, les rites insaisissables et les hasards ; un jeu d’enfant, peut-être : celui qui engage le faire-semblant , le faire-comme si , les on-dit-que . Elles vont revenir. Cache-toi car elles vont revenir et me mettre dehors. Mes parents seront fâchés, il faut les appeler. Prends mon téléphone. On va dire qu’on ne comprend pas leur langue. On va dire que je n’ai rien fait. Mais cache-toi. Les autres sont déjà en route. Il ne pleut plus. On va pouvoir parler. « On », « elles », « tu », « mes parents », « les autres » : autant d’entités plus ou moins définies qui accompagnent le « je » de la première partie et circonscrivent un territoire familier, où tout départ se trouve différé par un quotidien discipliné, l’échappée enrayée par une suite d’actions méthodiques. Pour autant, la fuite n’en est pas moins véritable : elle migre dans l’espace mental, se déploie à travers l’imaginaire et le souvenir qui ouvrent la deuxième partie. Le ou la narratrice s’adresse alors à un « tu » qui se présente comme un oiseau : fragile mais déterminé, coutumier des territoires sans frontière. Le moineau que tu fus, sauvage et siffleur, se savait intouchable. Il épousait le mouvement d’une haie, évoluait comme elle entre ciel et terre. Ainsi étendait-il son domaine, cherchant des yeux les premiers remparts. Il les éloignait d’un pas, comme on chasse un horizon maudit. Nid peut se lire comme une boucle infinie reliant l’enfance à la vieillesse, réinventant leurs prisons respectives et mêlant les expériences jusqu’à ce que les deux états se fondent l’un à l’autre, créant un ou une narratrice sans âge, de la même manière que les figures tracées par Pascaline Wollast fusionnent jusqu’à partager leurs contours. C’est un espace-temps cyclique qu’écrit Françoise Lison-Leroy, où l’on mesure les murs pour mesurer le temps, voyageant à travers une enfilade de maisons dans lesquelles la voix narrative a laissé des plumes. Une mémoire des nids, des lits et des bras qui se retrouve à travers l’errance d’un esprit vagabond, “ sans serrure ni lisière ”. Louise Van Brabant Plus d’information Nid. Trois petites lettres à définir. On a changé de maison , dit le personnage dans un monologue à la fois précis et hâché. Mais pour aller où ? Clinique, maison de repos, pensionnat, prison, monastère... la définition du lieu est floue, mais ce qui est sûr, c’est qu’il est fonctionnel, cadré, défini géométriquement, identique de pièce en pièce... bref, institutionnel. Au fil des fragments poétiques, la géographie de l’espace se dessine et se répète, carrée, divisée. Tangible, elle apporte structure et apaisement. Ramène-t-elle de la sécurité dans la confusion ? ou accentue-t-elle l’impression de malaise, de perte de repères ? L’autrice nous emmène sur ce terrain glissant et, en douceur, nous ouvre les questions d’identité, de quête et de définition de soi. Dans ce pays, toutes les constructions sont comme celle-ci. Un mur, une chambre, une salle de bain avec les toilettes. Et la douche. Les lavabos sont à l’avant-plan. Et c’est pareil jusqu’au bout de la rue, très loin. Jusqu’au bout du pays. On reçoit à manger tous les jours. Est-ce que mes parents vont venir me chercher ? Il faudra leur téléphoner. Le personnage, qu’on devine être un parent – un patient ? –, désorienté, cherche qui il est, qui elle est, perdu dans l’espace de ce lieu inconnu et peut-être aussi un peu perdu dans sa tête, mais chez qui la vie pulse et qui…