Cahiers internationaux de symbolisme - n°152-153-154 - nov. 2019 - Fiction. Genre.s et arts

Sommaire

  • FICTION
  • Fiction et réalisme dans les sciences naturelles
    Antoine BRANDELET
  • Mobiliser la fiction pour penser la technique : le cas des séries
    Marianne CHOUTEAU et Céline NGUYEN
  • Le Fictionalisme est-il un scepticisme?
    Jean-Pierre CLÉRO
  • Une crise dans l’art contemporain? Penser la contemporanéité de la gravure
    Damien DARCIS
  • Fiction et question du genre dans « Chéri-chéri » et « Point cardinal »
    Victoria FERRETY
  • La Fiction du nouvel héroïsme: « Passengers ». Bienvenue à bord du récit
    Marc-Jean FILAIRE-RAMOS
  • La Fiction, l’heureuse métamorphose du traumatisme: l’exemple de Lovecraft
    Bruno HUMBEECK
  • La Nouvelle Terreur dans les lettres : le politiquement correct
    Simona MODREANU
  • La Fiction baroque et l’émergence du monisme moderne
    William PETTY
  • Le « Convulsivisme » de Jean-Louis Lippert ou la dernière des avant-gardes
    pour dénoncer les fictions du monde contemporain
    Martine RENOUPREZ
  • La BD: une reconnaissance difficile Jean-Maurice ROSIER
  • Du philologue à l’interprète : fiction et typologie des textes à traduire
    Bénédicte VAN GYSEL
  • Un tropisme fictionnel
    Marcel VOISIN
  • GENRE.S  ET  ARTS
  • Les Féminisations du travail artistique contemporain
    Marie BUSCATTO
  • Le Travestissement du genre au théâtre: emplois et usages
    Olivier GOETZ
  • À PROPOS DE…
  • Résumés
  • Abstracts

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Le fantastique dans l’oeuvre en prose de Marcel Thiry

À propos du livre Il est toujours périlleux d'aborder l'oeuvre d'un grand écrivain en isolant un des aspects de sa personnalité et une des faces de son talent. À force d'examiner l'arbre à la loupe, l'analyste risque de perdre de vue la forêt qui l'entoure et le justifie. Je ne me dissimule nullement que le sujet de cette étude m'expose ainsi à un double danger : étudier l'oeuvre — et encore uniquement l'oeuvre en prose de fiction — d'un homme que la renommée range d'abord parmi les poètes et, dans cette oeuvre, tenter de mettre en lumière l'élément fantastique de préférence à tout autre, peut apparaître comme un propos qui ne rend pas à l'un de nos plus grands écrivains une justice suffisante. À l'issue de cette étude ces craintes se sont quelque peu effacées. La vérité est que, en prose aussi bien qu'en vers, Marcel Thiry ne cesse pas un instant d'être poète, et que le regard posé sur le monde par le romancier et le nouvelliste a la même acuité, les mêmes qualités d'invention que celui de l'auteur des poèmes. C'est presque simultanément que se sont amorcées, vers les années vingt, les voies multiples qu'allait emprunter l'oeuvre littéraire de M. Thiry pendant plus de cinquante années : la voie de la poésie avec, en 1919, Le Coeur et les Sens mais surtout avec Toi qui pâlis au nom de Vancouver en 1924; la voie très diverse de l'écriture en prose avec, en 1922, un roman intitulé Le Goût du Malheur , un récit autobiographique paru en 1919, Soldats belges à l'armée russe , ou encore, en 1921, un court essai politique, Voir Grand. Quelques idées sur l'alliance française . Cet opuscule relève de cette branche très féconde de son activité littéraire que je n'étudierai pas mais qui témoigne que M. Thiry a participé aux événements de son temps aussi bien sur le plan de l'écriture que sur celui de l'action. On verra que j'ai tenté, aussi fréquemment que je l'ai pu, de situer en concordance les vers et la prose qui, à travers toute l'oeuvre, s'interpellent et se répondent. Le dialogue devient parfois à ce point étroit qu'il tend à l'unisson comme dans les Attouchements des sonnets de Shakespeare où commentaires critiques, traductions, transpositions poétiques participent d'une même rêverie qui prend conscience d'elle-même tantôt en prose, tantôt en vers, ou encore comme dans Marchands qui propose une alternance de poèmes et de nouvelles qui, groupés par deux, sont comme le double signifiant d'un même signifié. Il n'est pas rare de trouver ainsi de véritables doublets qui révèlent une source d'inspiration identique. Outre l'exemple de Marchands , on pourrait encore évoquer la nouvelle Simul qui apparaît comme une certaine occurrence de cette vérité générale et abstraite dont le poème de Vie Poésie qui porte le même titre recèle tous les possibles. Citons aussi le roman Voie-Lactée dont le dénouement rappelle un événement réel qui a aussi inspiré à M. Thiry la Prose des cellules He La. Je n'ai donc eu que l'embarras du choix pour placer en épigraphe à chaque chapitre quelques vers qui exprimaient ou confirmaient ce que l'analyse des oeuvres tentait de dégager. Bien sûr, la forme n'est pas indifférente, et même s'il y a concordance entre les thèmes et identité entre les motifs d'inspiration, il n'y a jamais équivalence : le recours à l'écriture en prose est une nécessité que la chose à dire, à la recherche d'un langage propre, impose pour son accession à l'existence. C'est précisément aux «rapports qui peuvent être décelés entre ces deux aspects» de l'activité littéraire de Marcel Thiry que Robert Vivier a consacré son Introduction aux récits en prose d'un poète qui préface l'édition originale des Nouvelles du Grand Possible . Cette étude d'une dizaine de pages constitue sans doute ce que l'on a écrit de plus fin et de plus éclairant sur les caractères spécifiques de l'oeuvre en prose; elle en arrive à formuler la proposition suivante : «Aussi ne doit-on pas s'étonner que, tout en gardant le vers pour l'examen immédiat et comme privé des émotions, il se soit décidé à en confier l'examen différé et public à la prose, avec tous les développements persuasifs et les détours didactiques dont elle offre la possibilité. Et sa narration accueillera dans la clarté de l'aventure signifiante plus d'un thème et d'une obsession dont son lyrisme s'était sourdement nourri.» Car, sans pour autant adopter la position extrême que défend, par exemple, Tzvetan Todorov dans son Introduction à la littérature fantastique, et qui consiste à affirmer que la poésie ne renvoie pas à un monde extérieur à elle-même, n'est pas représentative du monde sensible (et d'en déduire — j'y reviendrai dans la quatrième partie — que poésie et fantastique sont, pour cette raison, incompatibles), on peut cependant accepter comme relativement sûr que la traduction en termes de réalité ne s'opère pas de la même façon lors de la lecture d'un texte en prose ou d'un poème. C'est donc tout naturellement qu'un écrivain recourra à la prose, dont l'effet de réel est plus assuré, dont le caractère de vraisemblance est plus certain, chaque fois qu'il s'agira pour lui, essentiellement, d'interroger la réalité pour en solliciter les failles, d'analyser la condition humaine pour en déceler les contraintes ou en tester les latitudes. Le développement dans la durée permet l'épanouissement d'une idée, la mise à l'épreuve d'une hypothèse que la poésie aurait tendance à suspendre hors du réel et à cristalliser en objet de langage, pour les porter, en quelque sorte, à un degré supérieur d'existence, celui de la non-contingence. Il n'est sans doute pas sans intérêt de rappeler que, dans un discours académique dont l'objet était de définir la fonction du poème, M. Thiry n'a pas craint de reprendre à son compte, avec ce mélange d'audace et d'ironie envers lui-même qui caractérise nombre de ses communications, cette proposition de G. Benn et de T. S. Eliot pour qui la poésie n'a pas à communiquer et qui ne reconnaissent comme fonction du poème que celle d'être. La projection dans une histoire, l'incarnation par des personnages, la mise en situation dans un décor comme l'utilisation de procédés propres à la narration permettent une mise à distance qui favorise l'analyse et la spéculation et qui appelle en même temps une participation du lecteur. Parallèlement, on peut sans doute comprendre pourquoi presque toute l'oeuvre de fiction est de nature fantastique ou, dans les cas moins flagrants, teintée de fantastique. Car la création d'histoires où l'étrange et l'insolite ont leur part est aussi une manière de manifester ce désir de remettre en cause les structures du réel ou tout au moins de les interroger. Pour l'auteur d' Échec au Temps , la tentation de l'impossible est une constante et l'événement fantastique est le dernier refuge de l'espérance. Son oeuvre se nourrit à la fois de révolte et de nostalgie. Révolte contre l'irréversibilité du temps humain dans Échec au Temps , révolte contre le caractère irréparable de la mort qui sépare ceux qui s'aiment dans Nondum Jam Non , dans Distances , révolte contre l'injustice des choix imposés à l'homme dans Simul , révolte contre les tyrannies médiocres du commerce dans Marchands … Nostalgie du temps passé, du temps perdu, du temps d'avant la faute, nostalgie de tous les possibles non réalisés, de la liberté défendue, de la pureté impossible. Nostalgie complémentaire de la révolte et qui traverse toute l'oeuvre de Marcel Thiry comme un leitmotiv douloureux. Comme l'écrit Robert Vivier, «le thème secret et constant de Thiry, c'est évidemment l'amour anxieux du bonheur de vivre ou plus exactement peut-être le désir, perpétuellement menacé par la lucidité, de trouver du bonheur à vivre». Où trouver, où retrouver un bonheur que la vie interdit sinon dans la grande surprise du hasard qui suspendrait les lois du monde? La première maîtresse de ce hasard est justement la…

Que Faire ? n°7 : Vincent Engel. L’absence révoltée

Créer des mondes de fiction, construire des « romansonges » dans le sillage du « mentir-vrai » d’Aragon, laisser courir sa pensée, son imaginaire sur une multitude de claviers d’orgue… telles sont les trois thèmes musicaux qui se dégagent si l’on tente de condenser l’œuvre de Vincent Engel, tout à la fois écrivain, dramaturge, professeur de littérature contemporaine à l’Université catholique de Louvain, directeur de revue (il a repris la direction de Marginales ), directeur du Pen Club Belgique, éditeur. Dans le numéro 7 de la revue Que faire ? , les écrivains Jean-Pierre Legrand et Philippe Remy-Wilkin consacrent un dossier éblouissant qui se focalise sur le cycle toscan intitulé Le monde d’Asmodée Edern (réédité en 2023, Asmodée Edern & Ker Éditions). Œuvre majeure de Vincent Engel, le quatuor Retour à Montechiarro (Fayard, 2001), Requiem vénitien (Fayard, 2003), Les absentes (Lattès, 2006), Le miroir des illusions (Les escales, 2016), précédé par Raphael et Laetitia (Alfil/L’instant même, 1996), couronné par Vous qui entrez à Montechiarro (Asmodée Eder, & Ker Editions, 2023), délivre une saga romanesque qui, traversant des générations, des époques, auscultant les dessous de l’Histoire, se tient sous le regard d’un personnage éternel, Asmodée Edern. Comme l’analysent Jean-Pierre Legrand et Pierre-Remy Wilkin, Asmodée Edern s’éloigne de la figure démoniaque d’Asmodée dans l’ Ancien Testament et campe un ange bienveillant.Afin d’interroger le cycle toscan de Vincent Engel, qui, sous certains aspects rappelle Le quatuor d’Alexandrie ou Le quintet d’Avignon de Laurence Durrell, les auteurs plongent à mains nues dans l’architecture de chacun des tomes, mettent en évidence la maestria du romancier dans les jeux de construction formelle, le fil rouge de la musique, les questions de la judéité, de la condition humaine (baignée par l’ombre lumineuse d’Albert Camus), des luttes au niveau individuel et collectif entre les forces du bien et du mal ou encore les amours magiques, impossibles. On voyage entre l’analyse des périodes charnières de l’Italie que Vincent Engel met en scène, du repérage des récurrences de séquences historiques prises dans la répétition d’invariants anthropologiques et le décryptage des jeux littéraires, entre les lignes contrapuntiques des thèmes et des personnages et les mises en abyme du vécu, de la pensée de l’auteur dans les plis de la fiction. Vincent Engel a offert une machine de guerre romanesque et littéraire de très haut vol, qui combine la création pure et l’autofiction mais sans ostentation, sans « mauvais égocentrisme », l’appréhension du monde et de l’autre passant nécessairement par une quête de soi ouverte et généreuse, la construction d’un récit.  Levier d’une action sur le réel, d’une relecture plurielle des faits soumis à l’imaginaire du créateur, la fiction s’inscrit, pour Vincent Engel, dans un art romanesque générateur de complexité. Au travers de ses dédales, de ses puissances illimitées, de ses brouillages entre vécu et réalité, par l’art d’une variation dans la focale, la fabulation permet de dévoiler des pans de réel, de faire de l’imaginaire un royaume à effets réels. Elle s’affirme comme une terre de mots apte à libérer des vérités cachées, insupportables ou désireuse d’enfouir les vérités intimes et extérieures sous des voiles qui les rendent inaccessibles. Évoquant le personnage d’Asmodée Edern, alias Thomas (ou Tommaso) Reguer, Vincent Engel écrit : «  il n’a d’autre volonté que d’ouvrir les êtres qu’il croise aux multiples destinées qui s’offrent à eux.  »  On y lira un autoportrait du romancier. Le romancier en tant que jongleur qui assemble les facettes de vies diverses afin d’en jouer comme d’un miroir qu’il nous tend.    Véronique Bergen Plus d’information Vincent Engel, né en 1963, est devenu assez jeune, au tournant des années 2000, dans le sillage de ses romans Oubliez Adam Weinberger (2000) et Retour à Montechiarro (2001), une figure référentielle de nos lettres. Un parcours très riche et très varié, dont rendent compte sa fiche Wikipedia ou son site personnel, impressionnants (il enseigne la littérature contemporaine à l’Université Catholique de Louvain, il a monté des spectacles avec Franco Dragone, écrit plusieurs pièces de théâtre, etc.). Celui d’un auteur aux dons multiples mais d’un homme très engagé aussi (il a repris la direction de la revue Marginales ou du Pen Club Belgique, créé le site mémoriel Liber Amicorum, etc.). J’ai lu naguère avec plaisir quatre de ses livres (Les diaboliques, Alma viva, Les vieux ne parlent plus, Le miroir des illusions) mais une cinquième lecture, celle de son renommé Retour à Montechiarro, m’a bouleversé : je me sentais plongé dans un ouvrage majeur, d’une puissance rarement croisée en francophonie. Une sollicitation de la Revue générale m’a présenté l’opportunité de lui consacrer un article, paru en mars 2023. Lors de la préparation de celui-ci, en fin 2022, un échange avec l’auteur m’a révélé ce que j’assimilais à un deuxième signe (une deuxième synchronicité jungienne ?) : l’ensemble du « cycle toscan » allait être réédité en mai 2023. Je me suis immergé dans la fresque complète. Sa richesse et sa capacité à se renouveler m’ont sidéré, elles appelaient un traitement original et approfondi, j’ai sollicité l’intervention de Jean-Pierre Legrand, mon complice de maints dossiers dialogiques (Véronique Bergen, Luc Dellisse,…

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