Dans la vraie vie, Aliette Griz écrit, anime des ateliers d’écriture, live-tweete et glane de la matière – du matériel tant qu’elle le peut. Son livre S’éclipser raconte une histoire de rupture depuis le versant inexploré de la chose, de politique au propre comme au figuré, d’attente(s) et de rendez-vous manqués.
Dans la vraie vie, Aliette Griz écrit, anime des ateliers d’écriture, live-tweete et glane de la matière – du matériel tant qu’elle le peut. Son livre S’éclipser raconte une histoire de rupture depuis le versant inexploré de la chose, de politique au propre comme au figuré, d’attente(s) et de rendez-vous manqués.
Qui es-tu, Aliette Griz ?
Je suis arrivée…
Lettres Numériques participe comme l’an dernier à la campagne « Lisez-vous le belge ? », organisée par le Partenariat Interprofessionnel du Livre et de l’Édition numérique (PILEn) du 1er novembre au 6 décembre 2021. Dans ce cadre, nous souhaitons mettre en avant le livre belge francophone décliné sur des supports « inattendus » et transmédias. Pour cela, nous avons rencontré Martine Colas, autrice, mais aussi scénariste, réalisatrice, productrice et éditrice, qui a adapté son premier écrit, L’Ange de la mort, en court-métrage. Lettres Numériques : Pourriez-vous tout d’abord vous présenter à nos lecteurs et nous parler de votre parcours ? Martine Colas : J’ai deux casquettes très différentes, il y a d’un côté la littérature et de l’autre le cinéma. Côté cinéma, j’écris des scénarios, je réalise des courts-métrages et je produis à la fois de mes propres réalisations et celles d’autres personnes. Côté littéraire, j’écris des romans, je corrige des manuscrits et je suis éditrice d’une maison d’édition. Je mélange donc ces deux univers-là, j’ai toujours été passionnée par la lecture et l’écriture surtout, par le cinéma et par la musique. Comme ce sont trois domaines qui ne me quittent jamais depuis mon enfance, à un moment donné, je me suis dit qu’il était temps d’approfondir tout cela. Un jour, j’ai eu l’opportunité de réaliser un court-métrage et je me suis lancée. Je me suis renseignée, j’ai contacté des techniciens et des acteurs, nous y sommes arrivés et j’ai fait d’autres films par la suite. Vous avez commencé par la réalisation, ou bien d’abord par l’écriture ? Ma première passion est indéniablement l’écriture. J’ai commencé par écrire, car j’ai trouvé un jour un concours d’écriture sur Facebook : il fallait écrire une petite nouvelle et j’ai écrit une histoire, L’Ange de la mort, qui a été sélectionnée et éditée par un éditeur bruxellois, avec d’autres auteurs, dans un recueil de nouvelles. C’était mon tout premier concours, ma toute première publication et mon premier prix. À partir de là, j’ai eu un déclic : pourquoi ne pas me lancer dans l’aventure. Comme j’avais déjà un tas de petites histoires qui rodaient dans ma tête, autant les écrire. Ma deuxième écriture devait être celle d’un roman, mais ce fut finalement celle d’un scénario. J’avais commencé à écrire La Nuit des secrets, mais très rapidement, après le troisième ou le quatrième chapitre, j’ai eu de grosses difficultés à continuer parce que je voyais énormément d’images et ce n’était pas ma façon habituelle d’écrire. Quand j’écris, j’ai avant tout des phrases qui me viennent en tête, mais là c’était plus que ça, c’était très imagé : je voyais vraiment des personnages très typiques dans des situations précises. En discutant de cela avec mon entourage, ma fille m’a lancé une boutade, elle m’a dit : « Tu n’as qu’à faire un film », et je l’ai pris comme un défi. Mon deuxième écrit s’est alors transformé en scénario de film, le premier court-métrage que j’ai réalisé. Comment se passe le passage de l’écrit à l’écran, quelles sont les différentes étapes et les différences entre l’écriture d’une nouvelle et d’un scénario ? Un scénario, c’est quelque chose de très visuel, on est tout le temps dans l’action, alors qu’un roman, ce sont des descriptions, des situations imaginées : on doit décrire aussi bien un endroit que les émotions d’un protagoniste de l’histoire par exemple. Lorsque nous lisons un scénario, nous devons avoir directement les images en tête. Ensuite, nous le décortiquons dans tous les sens et nous faisons des listes : tous les personnages, les vêtements, les accessoires nécessaires, les lieux, les véhicules, etc. Après avoir listé tout cela, il faut trouver les lieux de tournage. À ce moment-là, soit on dispose d’un grand budget et d’accès à des studios où on peut créer exactement ce dont on a envie, soit on doit trouver des lieux qui ressemblent au plus près à ce que l’on imagine. Parfois, nous avons la chance de trouver des acteurs et des lieux qui correspondent exactement à l’image que nous avions d’eux. Le scénario va donc s’adapter aux lieux et aux acteurs dont on dispose, ainsi qu’aux ambiances. Le roman, lui, ne s’adapte pas par la suite, il est écrit et il reste figé, contrairement au scénario. Pour ma part, que j’écrive un roman ou que je réalise un film, dans les deux cas, je me sens comme un poisson dans l’eau et j’arrive à jongler entre les deux. Concernant l’adaptation de votre nouvelle L’Ange de la mort en court-métrage, quels sont les changements que vous avez appliqués au cours de l’écriture du scénario et lors de la réalisation ? C’est la toute première histoire que j’ai publiée, mais c’est aussi le dernier film que j’ai réalisé. J’ai d’abord réalisé La Nuit des secrets, de là j’ai enchaîné sur un deuxième film puis un troisième film, ensuite des personnes m’ont contactée parce qu’elles voulaient trouver un réalisateur et un producteur pour trois films. Après tout cela, je suis revenue à L’Ange de la mort, car tout ce que j’écris, je veux l’avoir dans les deux formats : le livre pour les lecteurs et le court-métrage pour les cinéphiles. L’Ange de la mort a été réalisé six ans après son écriture donc forcément des choses ont été modifiées. En l’occurrence, les lieux n’ont pas changé, ni la trame, mais dans ce film il y a un personnage en plus. J’ai également réduit très fortement les dialogues d’un des protagonistes qui existe aussi dans le livre, pour lui donner beaucoup plus de prestance visuelle. Ensuite, au montage, nous avons ajouté quelques effets fantastiques. En dehors de cela, il n’y a pas eu d’autres gros changements. Ce court-métrage a reçu quelques prix un peu partout dans le monde : en Angleterre, en Italie, en Inde, en Biélorussie, en Turquie… C’est satisfaisant de constater qu’il voyage. Quels sont vos futurs projets ? Y a-t-il d’autres formats que vous souhaitez explorer pour vos histoires, après le livre et le court-métrage ? Après avoir réalisé et produit sept courts-métrages, je me dis qu’il serait peut-être temps de me diriger vers les longs-métrages. Les seules choses qui diffèrent, ce sont les moyens financiers et le temps consacré au film. Que j’écrive un scénario de 20 pages ou de 150 pages, les réflexions sont identiques, il s’agit du même travail. Pendant que je réalisais des films, j’ai écrit d’autres romans, principalement des thrillers et des drames psychologiques, et je ne peux pas m’empêcher de vouloir réaliser des films de mes livres et vice versa. J’aimerais réaliser un long-métrage à partir d’un roman que j’ai écrit en 2018, Un mari de trop, un drame qui se passe sur la Côte d’Opale en France. Maintenant il faudra beaucoup de temps pour cela, sûrement plusieurs années. Entre-temps, j’ai créé une maison d’édition à compte d’éditeur et pour le moment je m’y engage à fond : nous venons de signer des contrats avec des auteurs et au printemps prochain nous allons publier nos premiers livres. J’écris aussi actuellement mon cinquième livre, mais je garde l’idée de réaliser un long-métrage un jour, dès que je me sentirai prête. Lorsque ce sera le cas, la première étape sera de transformer le texte en scénario. J’ai aussi un autre court-métrage en attente, avec Renaud Rutten, mais là ce n’est pas par manque de temps, mais par manque de lieu : dès que je le trouverai, ce film se fera dans la foulée. J’ai donc tous ces projets, qui occupent bien mon temps, mais heureusement je suis aidée : j’ai toute une équipe derrière moi et je peux faire plusieurs choses en même temps. Pour en revenir à L’Ange de la mort, vous avez donc réédité ce texte en l’accompagnant du scénario…
Introduction [page 37 de la version papier] Dans son essai Fiction : l’impossible nécessité, Vincent Engel XX signale que « le discours sur la littérature de la Shoah est dominé par une insistance sur l’incapacité de ce discours et plus particulièrement sa déclination artistique » XX . De fait, le judéocide fut une expérience d’une monstruosité telle qu’elle paraît se situer au-delà de tout ce qui est humainement imaginable, dicible et transmissible. Cependant, ces trois concepts, Engel les qualifie comme des mots qui ne trahissent que notre incapacité à imaginer, dire et transmettre, « des mots qui ne disent rien sur ce qu’on entend qualifier à travers eux » XX . Méditant sur le caractère toujours inédit et unique de l’expression de l’indicible, Engel montre comment le parcours du narrateur imaginé par Jean Mattern dans Les Bains de Kiraly XX (2008) atteste que, s’il est possible de surmonter la détresse en construisant un discours sur un événement apparemment inimaginable, indicible et intransmissible, le dépassement de cet inénarrable passe nécessairement par l’élaboration d’un récit personnel. Dans cette étude, nous nous proposons de nous faire l’écho des témoignages de deux voix majeures des lettres belges actuelles, deux romanciers [page 38 de la version papier] appartenant à des générations différentes mais dont les familles, juives, éprouvèrent dans leur chair et leur âme les atrocités nazies : Vincent Engel (°1963) et Françoise Lalande-Keil (°1941). Vincent Engel: Respecter le silence des survivants – Vous pourriez le laisser en prison, l’envoyer en Allemagne, dans un camp... – Vous ne connaissez pas les camps, monsieur de Vinelles ; sans quoi, je crois que vous me supplieriez de le fusiller sur-le-champ plutôt que de l’y envoyer XX ... Cette réplique de Jurg Engelmeyer, un officier allemand qui a ordonné l’exécution d’un jeune garçon en représailles aux actes commis par son père résistant, ne montre-t-elle pas que la monstruosité du nazisme hante le parcours romanesque de notre auteur pratiquement depuis son début ? Dans son article intitulé « Oubliez le Dieu d’Adam » XX , Engel relate qu’au cours de ses études de philologie romane à l’Université catholique de Louvain, son père lui offrit Paroles d’étranger d’Élie Wiesel, une lecture qui le bouleversa : Par le silence de mon père, par son indifférence à la chose religieuse, je redécouvre le judaïsme. Dans les livres, d’abord, au CCLJ (Centre Communautaire Laïc Juif) ensuite. Et Dieu se voile d’un drap sombre : celui de la souffrance à la puissance infinie d’Auschwitz. Toutes les souffrances se mêlent : celle de ma mère [décédée d’un cancer quelques années plus tôt], celle de la famille de mon père disparue dans les camps. (Idem, p. 72) Pourquoi parler d’Auschwitz ? Cette question, Engel s’astreindra à y répondre dès que cette réalité s’imposera à lui comme une « expérience marquante » bien que non vécue personnellement. La lecture et l’étude approfondie de l’œuvre de Wiesel imprimeront sur sa vision de la Shoah « un vocabulaire et des évidences : un monde était mort à Auschwitz, une société y avait fait faillite, et plus rien ne pouvait être comme avant » XX . D’où la nécessité, poursuit Engel, de « repenser le monde, refonder la morale, instaurer des conditions nouvelles pour la création artistique – pour autant qu’elle fût encore possible XX –, forger des mots neufs pour prononcer l’imprononçable [page 39 de la version papier] [...] » (idem, p. 18-19). D’autres évidences surgiront progressivement dans l’esprit de celui pour qui Auschwitz deviendra vite « une obsession » : celles de constater que la masse des documents publiés « n’ont guère servi à éduquer les gens » (idem, p. 20-21) et que les descendants des survivants, qui ont pour tâche de reprendre le flambeau du témoignage, doivent « trouver d’autres moyens d’expression, car ils n’ont pas vécu l’épreuve » (idem, p. 19). Si ses travaux scientifiques XX lui permirent d’« épuiser » la question « épuisante » de la responsabilité de Dieu devant le génocide juif ou, en tout cas, de tourner une page (ODA, p. 72), par après, c’est principalement à travers la fiction qu’Engel poursuivra cette interrogation sur la Shoah. Une interrogation qui trouve donc sa source directe dans la tragique histoire familiale et dans une identité juive ashkénaze fort ancienne. Comme il le détaille dans quelques interviews et articles XX , ses ancêtres paternels, polonais, étaient des juifs religieux appartenant à la bourgeoisie aisée. Bien que la situation dût se dégrader après la Première Guerre mondiale au cours de laquelle la famille se réfugia à Budapest où son père naquit en 1916, ils sont une famille juive inscrite dans le processus d’assimilation propre à cette période et à leur classe sociale ; les enfants fréquentent des écoles où ils côtoient la bourgeoisie polonaise catholique. Une intégration donc plutôt réussie mais qui n’empêchera pas leur déportation au début des années quarante. De toute la famille paternelle survivront un seul oncle, communiste avant la guerre et rescapé des camps, qui s’en ira faire sa vie à Los Angeles et y deviendra religieux orthodoxe, ainsi que le père de Vincent Engel, parti poursuivre ses études en Belgique vers 1938 et qui, après avoir passé la guerre dans les forces belges de la R.A.F, décidera de s’y installer définitivement : « Plus tard, il me dirait : “N’oublie pas que, pendant la guerre, des Juifs se sont battus”. » (Idem, p. 70.) Quand, à quarante ans, il rencontre son épouse, celle-ci, bien qu’appartenant à une bourgeoisie catholique bruxelloise imbue de solides préjugés, propose de se convertir au judaïsme. Une proposition qui sera rejetée par l’intéressé pour des raisons sur lesquelles l’écrivain ne peut que conjecturer : [page 40 de la version papier] Son athéisme s’était certainement renforcé à l’épreuve de la guerre et des camps. Ou bien, comme d’autres, refusait-il d’inscrire dans une telle tradition de martyre des enfants à venir. Ou bien, plus pragmatiquement, avait-il jugé que les meilleures écoles, à son avis, étaient catholiques. Hypothèse que conforte non seulement le refus de la conversion de sa femme, mais aussi le fait que ses enfants seraient baptisés, inscrits dans des écoles catholiques et feraient leur profession de foi. (Idem, p. 70-71) Une profession de foi qui, chez l’adolescent Engel, ne va pas de soi ! La découverte de l’œuvre de Wiesel et la relecture de Camus lui permettront de régler progressivement le conflit qu’il entretient avec ce christianisme qui prône la soumission, ferme les yeux sur les injustices les plus flagrantes – « Questionner Dieu sur la souffrance, celle d’Auschwitz ou celle de ma mère, accroît l’obscénité de la souffrance, puisque Dieu n’intervient pas et ne répond pas » (idem, p. 74) – et transmet à tous un goût certain pour la culpabilité. Ce qu’Engel (re)découvre dans Camus, la fausseté de la question de Dieu tout comme le devoir pour tout un chacun de suivre un cheminement éthique exigeant, n’est-ce pas en définitive ce que son père lui a transmis ? Évoquant ailleurs la figure paternelle, Engel insiste d’une part sur la certitude de celui-ci « qu’il n’y a pas de droits de l’homme sans le respect de devoirs, et de liberté sans responsabilité » ; d’autre part, sur « [son] impossibilité de dire à ses proches qu’il les aimait ». Et, ajoute-t-il, « pour ce qui est du judaïsme, un silence réduit à l’essentiel. [...] Mais un silence capable de faire passer le judaïsme, le sien, auquel son cadet au moins adhérera pleinement après ses vingt ans » XX . Car ce qui séduit Engel dans le judaïsme, c’est le fait qu’il représente « un rapport à…