Shéhérazade est une personne très convoitée. Au fond de moi, gît toujours l’espoir de faire sa rencontre. L’article de Nausicaa Dewez a réveillé ce vieux désir. J’ignorais que la fille aînée du grand vizir était si présente dans les écrits d’Amélie Nothomb. Fille d’or, brodée en motifs dans les textes de l’écrivaine, dévoilant petit à petit les caractéristiques d’un univers littéraire…
Grâce à Shéhérazade, Nausicaa Dewez raconte ce qui rend Amélie Nothomb si singulière. Dans la majorité de ces singularités, j’ai retrouvé les particularités les plus présentes de la littérature belge : la plasticité du réel, la « fantaisie non bridée », le refus du choix comme acceptation réelle des deux alternatives, les jeux textuels, etc. Moins reconnu, l’attrait pour une autre culture, pour une autre terre natale imprègne la littérature belge. Comme si chaque autrice ou auteur belge naissait avec une attirance à fixer. Il faut aimer un autre pays pour écrire des lettres d’amour, des lettres belges. « Nulle n’est prophétesse en son pays », Amélie Nothomb nous échappe par sa ressemblance.
Auditeur de la conteuse, le Sultan n’est pas toujours celui ou celle qu’on croit. Bien que Nausicaa Dewez conclue son article avec une autre figure plus sombre et tout aussi présente dans les écrits d’Amélie Nothomb, je pressens qu’il faille observer de plus près le Sultan. N’a-t-on pas été trop vite en l’assimilant au lecteur, à celui qui tranche, la tête et en donnant son avis, sur la valeur de l’histoire ? N’y a-t-il pas un peu, voire beaucoup, de Sultan dans Amélie Nothomb ?
Et je ne défends pas l’idée que l’auteur est le premier lecteur de son texte, qu’Amélie raconte comme Shéhérazade et attend la suite de l’histoire comme le sultan Shahriar – une image qui lui plairait beaucoup. Réécrivons le contexte : un sultan, trahi par sa femme, n’épouse que des vierges qui seront exécutées le lendemain pour éviter qu’elles ne le trahissent à leur tour. La pensée du sultan est la suivante : quelque chose m’a blessé, je désire ne plus l’être, j’ai trouvé une méthode sanglante pour y parvenir. L’arrivée de Shéhérazade est l’entrée d’une ruse qui met en déroute le plan du sultan. Il y a eu beaucoup de morts avant l’arrivée de la vie. Tant que ne sont pas passées Les Mille et Une Nuits, la mort peut toujours survenir, la part imaginaire du réel perdre de son éclat. Une seule aube suffit, une aube qui trouverait las le sultan, pour que Shéhérazade périsse, que la littérature cesse et que le sang redevienne premier…
Autrice de Amélie Nothomb : Shéhérazade Père et Fille (L'Article n°25)
Illustrateur de Amélie Nothomb : Shéhérazade Père et Fille (L'Article n°25)
Ecrire après Auschwitz : Jorge Semprun, Primo Levi, Jean Cayrol, Imre Kertesz
"Écrire après Auschwitz ? Comment imaginer écrire, nommer l'innommable ? Pierre Mertens nous invite à lire ces auteurs qui, revenus des camps de la mort, ont pris la parole. Il se penche autant sur leur façon de la prendre que sur leur mise en mots de l'abject. Si, pour le philosophe Adorno, "l'art - et plus particulièrement la poésie - apparaissait comme impensable après Auschwitz", des auteurs ont pris le parti contraire : Paul Celan, Primo Levi, Robert Antelme, Jean Cayrol, Jorge Semprun, Micheline Maurel, Soazig Aaron et enfin Imre Kertész, récemment consacré par le Jury du prix Nobel. Chacun de ces auteurs a écrit les camps en un langage propre et, paradoxalement, certains de ces passages par la fiction restituent plus de vérité encore qu'un témoignage." (Quatrième de couverture.) Le texte d'une conférence prononcée par l'auteur à Bruxelles lors d'une séance des Midis de la Poésie.Écrire après Auschwitz ? Comment imaginer écrire, nommer l'innommable ? Pierre Mertens nous invite à lire ces auteurs qui, revenus des camps de la mort, ont pris la parole. Il se penche autant sur leur façon de la prendre que sur leur mise en mots de l'abject. Si, pour le philosophe Adorno, "l'art - et plus particulièrement la poésie - apparaissait comme impensable après Auschwitz", des auteurs ont pris le parti contraire : Paul Celan, Primo Levi, Robert Antelme, Jean Cayrol, Jorge Semprun, Micheline Maurel, Soazig Aaron et enfin Imre Kertész, récemment consacré par le Jury du prix Nobel. Chacun de ces auteurs a écrit les camps en un langage propre et, paradoxalement, certains de ces passages par la fiction restituent…
Dans la collection « Documents pour l’Histoire des Francophonies » qu’il dirige aux éditions Peter Lang, Marc Quaghebeur publie le premier volume d’une somme qui en comptera cinq : Histoire, Forme et Sens en littérature. La Belgique francophone . Si l’auteur y rassemble – encouragé par le regretté Jean Louvet – une série d’articles publiés depuis 1990, il ne s’agit pas d’une simple réédition : sélectionnés avec soin, les textes ont été retravaillés parfois en profondeur, ré-intitulés, ordonnés à la fois selon la chronologie des périodes traitées et selon le point de vue adopté. Ces coups de projecteur mettent en relief avec une grande précision la diversité et la complexité des relations entre histoire générale et œuvres littéraires – car tel est le fil conducteur de l’entreprise. Sans s’attarder aux micro-structures textuelles – de minimis non curat praetor –, l’auteur parcourt à grandes enjambées les siècles et les règnes, le champ international de préférence aux terroirs, les mythes nationaux et les idéologies officielles, le romanesque et le théâtral davantage que la poésie, les récits extravertis plutôt que les introvertis. Ainsi traque-t-il obstinément « l’enracinement et l’articulation des faits littéraires dans et à l’Histoire », ses recherches l’ayant progressivement convaincu qu’il existe un « lien génétique entre l’Histoire et les Formes ». L’entreprise n’est pas sans risque. Expliquer le surgissement et le contenu des œuvres littéraires par les caractéristiques du contexte où elles sont nées mène généralement à une vision déterministe où sont oubliées tant la position spécifiquement subjective de l’écrivain que la structure interne du texte. M. Quaghebeur ne tombe pas dans ce travers positiviste, précisément parce qu’il ne fait pas de l’explication de texte. Ce qui l’intéresse chez De Coster ou Kalisky en passant par Verhaeren, Maeterlinck, Bauchau, Compère, c’est de repérer dans leurs écrits les échos – tantôt manifestes, tantôt plus discrets – de l’histoire passée ou contemporaine de la Belgique, et d’analyser ces échos pour en identifier la logique sous-jacente : idéalisation de personnages ou d’épisodes, mythification, déformation, parodie, dénégation, etc. Il affirme en particulier la propension des écrivains belges à éluder les événements survenus, à se réfugier dans l’imaginaire, le légendaire, le fantastique. Et « si renvoi à l’Histoire il y a dans la fiction belge de langue française, c’est foncièrement à travers les figures de l’échec historique ou de la sortie de l’Histoire »… Avisé, l’auteur ne se contente pas de revisiter le panthéon des chefs-d’œuvres estampillés, lequel donne de toute littérature une image faussée. D’une part, il redécouvre des livres peu connus de Nirep, G. Eekhoud, M. Van Rysselberghe, Rosny ainé, sans négliger les genres paralittéraires comme la bande dessinée ; d’autre part, il examine de nombreux ouvrages, textes et articles non littéraires qui concernent l’histoire et l’identité nationales, offrant ainsi d’utiles points de comparaison ou de référence.Intitulé L’engendrement (1815-1914) , ce Tome 1 montre l’importance de certains mythes dans la construction de l’identité nationale, particulièrement l’« âge d’or » de la période 1450-1560, ou la « culture belge » comme confluent des cultures latine et germanique, tandis que le rapport à la France fait l’objet d’une attention soutenue, notamment en ce qui concerne la question de la langue ou l’histoire des lettres à la Gustave Lanson ; la colonisation du Congo et le déclenchement de la Grande Guerre ne sont pas, eux non plus, sans relation avec la production littéraire, ce que l’auteur démontre de manière convaincante. D’une grande richesse intellectuelle et informative, ces pages sont toutefois d’une lecture ardue. La formulation est souvent abstraite, elliptique, surtout dans les passages généralisants. Plus curieusement, M. Quaghebeur ne définit pas les grands concepts sur lesquels s’appuie son édifice. Ainsi, ce qu’il dénomme l’« Histoire » se réduit le plus souvent, sous sa plume, à l’exercice du pouvoir, de la domination, avec la place prépondérante donnée aux volontés des puissants, ce pour quoi il peut qualifier de « sorties de l’Histoire » l’exil d’Œdipe ou l’abdication de Charles Quint. Quant aux « Formes » littéraires qui seraient déterminées par les vicissitudes historiques, ce vocable ne semble pas désigner le genre ou le style, comme on s’y attendrait, mais plutôt la thématique et l’imaginaire des œuvres… Bref, l’ouvrage est visiblement destiné à un cercle étroit d’universitaires expérimentés. Daniel Laroche L'auteur met en relation la fin de la révolution de 1830, qui voit la naissance d'une Belgique moderne, et l'apparition d'une littérature francophone…