À l’abri de l’abîme




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Le Carnet et les Instants

Que l’aventure poétique ne fasse qu’un avec un enjeu vital, une urgence existentielle, À l’abri de l’abîme, le premier recueil du jeune poète Vincent Poth en témoigne. La force inventive qui sourd de ces textes trempés dans la nécessité du vers provient tout à la fois de leur intranquillité native et de leur soif d’un Ailleurs. Questionnant l’advenue du poème, la matière des mots, À l’abri de l’abîme accorde sa descente dans les abysses au rythme du « vers à venir », au sens où Blanchot parlait du « livre à venir ». S’ouvrant sur une citation de Charles Péguy, deux parties composent le recueil, « Lettre à la mort » et « Transe canadienne ». Les noms des poètes et penseurs tutélaires…


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Pour trouver la clé, il fallut perdre la mémoire des serrures

La prose poétique, les essais de Claire Lejeune (1926-2008) sont placés sous le signe de la fulgurance, d’une poétique radicalement novatrice qui entend décloisonner les savoirs, les expériences afin de traverser les chapes du pouvoir, de la domination et de recontacter les promesses à venir des origines. Dans les années 1960, La gangue et le feu, Le pourpre, La geste, Le dernier testament, Elle signent l’avènement d’une parole qui noue indissolublement naissance à soi hors des rets du patriarcat, expérience mystique d’un verbe politique et poétique, subversion des piliers d’une civilisation qui a muselé les femmes. De se dire, les sans-voix montent à l’existence, gagnent un processus de subjectivation que Claire Lejeune place sous le signe de l’ouverture à l’autre de la raison et aux terres du symbole. «  Nous ne faisons pas la poésie. Elle nous fait de nous défaire  » écrivait-elle. Pour trouver la clé, il fallut perdre la mémoire des serrures nous livre de souverains textes inédits choisis par Anne André, Danielle Bajomée et Martine Renouprez, des poèmes à fleur de lave, d’inquiétude, d’un questionnement viscéral, des lettres de sa correspondance avec Maurice Blanchot, avec René Char, avec René Thom, des textes sur les puissances du symbole, accompagnés de photographismes de Claire Lejeune. Le régime de la création est celui de la nudité, de l’extraction hors de la non-vie. Afin de phraser ce qui échappe au monothéisme d’une pensée vertébrée par la Loi — Loi de Dieu, de son substitut, le Père —, il faut inventer une langue-corps, une langue sororale, conquise sur les cendres du divin. «  La mémoire de la clé — de l’origyne — s’est perdue, car au nom du Père, sa langue fut coupée, interdite de transmission  ».L’entrée en écriture, la conquête d’un soi altéré, diffracté riment avec violence, dépossession, extase mystique sans Dieu, un Dieu confondu pour son imposture. Lire aussi : De la patrie à la fratrie , par Claire Lejeune ( C.I.  n° 79) Au travers des extraits de la correspondance avec Maurice Blanchot (une correspondance qui se noua dès 1968 et se prolongea jusqu’en 1994), on mesure toute l’audace d’une entreprise sans équivalent dans les lettres, une démarche radicale qui fut, tout à la fois, poétique, existentielle, intellectuelle, politique. Celle qui porta la blessure immémoriale de la Femme pour la retourner en chant libérateur, celle qui dressa un auto-portrait sous la guise d’une «  clandestine, d’une contrebandière de la pensée  » fait de la pensée l’instrument de métamorphoses intérieures, d’un recommencement de l’Histoire. Pour gagner une vie supra-individuelle, il s’agit de traverser des seuils, d’être «  lourde du Verbe  » afin d’«  enfanter Le langage  ». Réinvention d’une origine barrée et d’une langue mutante, arrachement aux ruines, à la logique des dualismes et délivrance vont de pair. Dans Mémoire de rien, Le Livre de la sœur, Le Livre de la mère, Claire Lejeune défait les héritages mortifères, au fil d’une généalogie où Nietzsche côtoie Lilith, Rimbaud, Héraclite.Au travers de sa poétique sauvage, de l’indompté, du corps soustrait à la tyrannie de l’esprit rationnel, Claire Lejeune nous lègue un vertige de sensible en acte, de concept en mouvement. Comme René Char le lui écrivait dans une lettre de 1966, «  Il manquait à la poésie de ce temps une voix pourpre. Nous l’avons désormais  ». Véronique…

Psaume, passant

Marc Dugardin , avec la complicité de son fils à la photographie – Antoine Dugardin – ouvre une fenêtre…

Éros errant

On reconnaîtrait entre mille le timbre de la voix du philosophe et poète Jacques Sojcher. Ce cheveu sur la langue qui s’avère vite une arme de séduction massive, on le retrouve avec plaisir, sous une plume caressante et ironique, dans ce nouveau recueil publié chez Fata Morgana. Ni juif, ni chevalier, ou peut-être justement les deux à la fois, le démon Éros dont l’auteur se fait ici le tératologue, poursuit sa route, inlassable voyageur qui se moque des possibles dégâts collatéraux. Joueur invétéré, Éros se plait à piper les dés. Le pire, c’est qu’on le sait ! Mais on continue pourtant de miser sur lui, sur sa capacité à renouveler cette pulsion de vie qu’est le désir. Un désir qui peut à l’occasion s’éroder mais qui renaît sans cesse, subtilement inventif, toujours pluriel, réactivé qu’il est par le grain d’une peau ou le frémissement d’une voix. C’est que la langue, les mots, leur sonorité font partie du jeu. À chaque fois, ce sont les cartes qu’on rebat. Et si les donnes semblent les mêmes, elles sont pourtant différentes. Tu zézayes à l’oreille de toutes les femmes possibles des mots d’amour sans conséquence. C’est l’inceste du désir et du manque. Tu inventes l’amour, faute de pouvoir aimer. Avec la dérision et le détachement qu’on lui connaît, l’auteur qui, ailleurs, poursuivait Le rêve de ne pas parler (Ed. Talus d’approche, 1981), ne cesse ici de nous inviter à réinventer le désir, seul capable au fond d’élever, d’ancrer – encrer – le corps dans le monde. L’acte amoureux comme amarre stable, concrète pour le corps toujours nomade. Mais d’autres questions affleurent sous la langue de Sojcher qui s’insinue dans les moindres recoins du désir bien rodé. Si ce dernier aime les premières fois, il peut aussi se repaître des mensonges, des trahisons, des vanités. Comment dès lors parvenir à épuiser, à cartographier la constellation d’Éros ? Le désir de plaire, le souvenir d’un désir, le vieillissement qui l’érode et le catalogue de ceux qui nous firent chavirer ? Autant de questions qui se greffent au pouvoir du Dieu tentateur. En nous entraînant dans cette sarabande de voix qui mêle aux angoisses de Casanova, les mille et trois passions du Leporello de Mozart, Sojcher s’amuse lui-même à brouiller les pistes. Sans oublier les clins d’œil complices aux artistes pour qui le désir est affaire de vie ou de mort – Bataille, Lucrèce, Spinoza, entre autres – le poète, par une ultime pirouette pour conjurer l’oubli, établit deux listes, celle des lieux où le désir a pu naître et celle, en miroir, des prénoms des belles qu’il aima. Tu vois dans le miroir l’apparence de ce qui a été. Aimer n’a pas de nom. Nomade et sédentaire partageront les cendres jetées au vide de l’oubli. Qu’importe en somme ici la véracité des listes, que le professeur Sochjer se soit égaré quelque peu dans ce listing de désirs remémorés puisque nous l’aurons suivi et que nous aurons pris plaisir à nous égarer avec lui.                                                                                              Rony DEMAESENEER ♦ Jacques Sojcher lit un extrait d’ Eros errant   sur Sonalitté…