Quoi de plus réjouissant, pour une première publication, que de compagnonner aux côtés d’une autrice habituée aux collaborations et d’une équipe éditoriale débusqueuse de talents ? On imagine que c’est l’impression qu’a dû ressentir Arianna Simoncini, en réalisant l’album Norbert avec Marie Colot aux éditions CotCotCot.
Comment décrire Norbert ? Physiquement, il s’inscrirait dans la catégorie des végétaux. Une écorce noir ébène couvre son corps fluet, des racines terminent ses trois jambes et cinq jeunes branches (aussi bien mains à quatre doigts que mèches de cheveux) culminent sur sa tête. Oreilles, yeux, nez, bouche n’ornent pas son visage, et pourtant Norbert porte des lunettes de soleil quand il bronze, observe l’horizon à travers un télescope, sirote du thé et des cocktails… et sait se faire entendre. Du moins, par ses voisins directs, pas par la propriétaire des lieux. Quant à son caractère, il semblerait que l’impatience soit son trait de personnalité le plus marquant. Lorsqu’il se lamente, rouspète et vitupère, c’est toujours pour la même raison : il veut que son tour arrive au plus vite, comme cela s’est produit pour d’autres, car il aspire à vivre des aventures hors de cet endroit clos, « bas de plafond, obscur, sans issue ni air ».
Norbert habite dans une tête. Pas n’importe laquelle, celle d’une autrice. À l’intérieur, « du monde dans tous les coins. Des tas d’idées qui attend[ent] gentiment de devenir des histoires ». Celles-ci n’apparaissent pas encore sous leur forme définitive. Ébauches de ce qu’elles seront peut-être, elles oscillent entre le végétal, l’animal et le minéral (les crayons aux teintes douces de Simoncini dessinent ici des créatures hybrides, à la fois étranges et familières, sympathiquement bizarroïdes). Elles passent le temps en suspens, calmement (sauf quand elles organisent des fêtes dansantes), posées sur un divan ou une étagère murale, un plaid sur les genoux, un chat (noir ou blanc) à proximité… Et à un moment, pfiou !, elles disparaissent, laissant Norbert dans un désarroi incommensurable. Alors notre envieux héros provoque « Hé, tête de nœud ! », alpague « Hé, tu n’as rien dans la cervelle ou quoi ? », défie « Tu m’as inventé un prénom, pourquoi tu ne t’occupes pas de la suite ? », négocie « Hé, tête de lard ! Si je t’aide à imaginer une histoire, je pourrai partir ? ». Le pauvre Norbert (et pauvres colocataires qui subissent ses agitations accablées !) n’obtient jamais de réponse… Son désespoir aura-t-il un écho ? Ses propositions se matérialiseront-elles ? Son sort le satisfera-t-il à un jour ?
Colot détient les réponses à ces questions, elle qui a imaginé cette ingénieuse histoire qui soulève, d’une façon rigolote, un des pans du voile de processus de création. Et cet agaçant mais tellement attendrissant Norbert, nous le connaissons finalement tous et toutes, artistes ou non, car dans nos têtes à nous, il y a aussi « un de ces bazars [p]ire que dans le grenier de ta grand-mère », avec des embryons d’idées que nos méninges et nos inconscients entassent, reprennent, transforment, abandonnent et parfois concrétisent… Norbert, un album différent et amusant, porté par des illustrations originales et un propos intelligent. En d’autres mots, une franche réussite !
Samia Hammami