Les romans de Verena Hanf pétrissent toujours le matériau humain. La fragilité des funambules, dernier livre de l’autrice, ne déroge pas à la règle. On y retrouve également un autre invariant chez Hanf, qui se niche dans la mise en présence, voire dans la mise en friction, d’êtres et d’univers qui se seraient développés en parallèle si des éléments extérieurs n’avaient pas provoqué une rencontre. Comme celle d’Adriana, une jeune Roumaine au passé aussi rugueux que l’attitude qu’elle affiche, et Nina Jung, une psychologue confortablement installée aux agacements multiples. Tout, pratiquement, éloigne les deux femmes : leurs racines, leur éducation, leur statut social et marital, leur inscription au monde. Une faille aiguë les rassemble toutefois : leur maternité…
Le philosophe Alexandre Jollien, dans son Petit traité de l’abandon, a émis l’idée que, « rencontrer l’autre, c’est se reposer un peu de soi ». Sans nul doute, Jacques Janssens pourrait à présent acquiescer devant cette sage affirmation. Il y a neuf mois infinis, sa vie et son moral avaient lourdement chuté. Dans la société où il performait depuis des années, suite à un remaniement (et de basses manigances), sa place dans l’organigramme avait connu un renversement copernicien : il « avait dégringolé, le Jacques, [et] se rangeait dans la ligne large des employés de base, tout en bas de la page ». Au boulot, coincé derrière les vitres de son espace délimité dans l’open space, ce low performer passait ses interminables journées, seul, ostracisé, à regarder…