Une vie d'écrivain

RÉSUMÉ

Préface et notes de Georges-Henri DumontÀ propos du livre (extrait de la Préface)

En 1911, Camille Lemonnier entreprend d’écrire son autobiographie. Il a soixante-sept ans et vient de publier le dernier et le plus mélancolique de ses romans, Le Chant du carillon. Au soir de sa vie, il éprouve le besoin de se raconter, depuis son enfance jusqu’en 1903, l’année des fêtes de son jubilé.
(…) À son irremplaçable valeur de document sur la vie culturelle…

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Lire un extrait Ce sont les petites maisons du souvenir dont, à mesure, je vais ouvrir ici les portes, et elles ressemblent singulièrement à ces autres petites maisons que la piété des survivants arrive fleurir, une fois l'an, au cimetière, d'emblèmes votifs. Il y a ainsi, dans la vie, un moment où, en parlant au passé, on semble régler ses comptes avec la destinée. Le semeur, au terme de sa journée, se retourne pour regarder le champ qu'il commença d'ensemencer au matin. J'ai été ce semeur : j'ai ouvert la main : j'ai pris ma part du bon grain et de l'ivraie qui ont levé derrière moi. Les souvenirs que je vais réunir sont la trêve que je m'accorde dans mon acheminement aux inévitables fins obscures. Je ne me suis jamais séparé des choses et des hommes qui m'entouraient ; j'ai eu la passion de la vie, de toute la vie, mentale et physique. Si elle fut pour moi la cause d'erreurs nombreuses, elle fut aussi l'aboutissement des puissances de mon être et me valut des joies infinies. Peut-être, avec un goût mieux calculé pour ses entraînements, aurais-je pu atteindre à des altitudes que je n'ai fait qu'entrevoir. J'ai le sentiment d'avoir été un homme, un simple homme de travail, de lutte et d'instincts, plus encore qu'un homme de lettres au sens exclusif du mot. J'ai vécu surtout, avec ténacité, la vie des gens de mon pays. Cependant c'est de littérature principalement qu'il sera question dans ces retours vers l'accompli. À ressusciter les visages disparus qu'elle éclaira d'un reflet de beauté même furtif, je retrouverai un peu du plaisir fraternel que je goûtai à les approcher vivants. Les chemins sont faits d'un nombre multitudinaire de petits cailloux rudes ou polis que pousse le pied et que le collectionneur seul songe à recueillir. Nous ne serons pas autre chose pour ceux qui nous suivrons que la petite parcelle de schiste ou de grès dont s'exhausse la route sous les pas. En attendant, il est bon que quelqu'un çà et là, leur enseigne le geste pieux de n'y point rester insensible. En parlant des autres, d'ailleurs, c'est encore de moi-même que surabondamment j'aurai à parler. La fourmi ne pourrait évoquer la motte de terre qu'elle perfore sans se croire partie intégrante du champ qui pour elle constitue l'univers. Chères ombres qui avez emporté les secrets de la vie, vous ne cessez de nous appartenir par la sympathie pour des peines également subies et peut-être le regret de ne pas vous avoir suffisamment appréciées. Je tâcherai de vous restituer la part de gloire que tant de vous eussent méritée et n'ont point obtenue.
Table des matières Préface I. Ce sont les petites maisons du souvenir dont je vais ouvrir ici les portes II. C'est vers le temps… j'avais dix ans III. J'étais en quatrième latine… Lamartine, Hugo IV. La bibliothèque paternelle. – Les Français et la proscription V. Bancel à Bruxelles et sa leçon d'éloquence. – La contrefaçon et la proscription avaient présidé aux noces spirituelles du pays avec les lettres de France. – Une Belgique neuve s'éveillait VI. Un théâtre de faubourg représentait Lucrèce Borgia : article tapageur. – J'avais fini ma rhétorique. Âge d'or de l'amitié pour le peintre Eugène Verdyen, mon cousin VII. Période d'innombrables écritures. Le lexique était pour moi la Bible. Rédacteur d'un canard Le Marquis d'Argos, qui mourut. J'entrai au Béotien, qui mourut à son tour. – Restaient le Sancho, le Grelot, l'Uylenspiegel. – Première brochure d'art : Le Salon de 1863. – Trois ans après, deuxième Salon de Bruxelles. – Les Stevens. – Hippolyte Bouelenger VIII. Mon père n'admettait pas que la littérature fût une carrière en Belgique. – Je devins «attaché au Gouvernement provincial»! Derrière mes dossiers Le Sabbat. – Il resta dans le tiroir aux souvenirs. J'écrivis Nos Flamands qui parut IX. À l'administration, j'étais monté d'un palier, mais je la quittai. Mon père malade l'ignora, ma sœur et son fiancé Étienne Willame étaient dans le secret. – Henri Conscience témoigne le désir de me connaître X. Une autre figure se mêle à ces souvenirs, le père Cardon : ses précieuses collections d'art. – Souvenirs lointains aussi de famille où les images remontées de mon passé me fournissent de nombreux personnages de mes livres XI. Mon père mort, ma sœur mariée, la grande maison vide me pesa comme une dalle. – J'émigrai. – Des figures se détachent sur ce passé : Charles Potvin, Van Bemmel, Louis Labarre, Joé Dierix de ten Hamme, Mulders. – Mon voyage à Londres XII. Burnot. – Enivrement émerveillé d'un cœur ardent. – Théodore Baron. – Eugène Verdyen. – En mai 70, départ pour Paris : mon premier Salon. – Lettre de Millet XIII. Un matin, j'entends dans la montagne le cri des traqueurs. – Mort du chevreuil. – Un matin, angoissant réveil : le grondement du canon! Nous partîmes Verdyen et moi. – Nous avions battu les champs de bataille : j'écrivis Paris-Berlin et Sedan XIV. Un besoin d'activité, après trois années, me fit rechercher la vie des villes. – Je trouvai un Bruxelles déprovincialisé. – Je créai L'Art universel : la collaboration était illustre. – Trois ans après, L'Actualité. – La campagne d'art se poursuivit dans l'Artiste, Le Journal du Dimanche, L'Art moderne XV. Contes flamands et wallons. – En 79, Un Coin de village. – Lettres de Flaubert, de Taine. – J.-K. Huysmans, Henri Césard viennent à Bruxelles : nous nous étions liés à L'Actualité. – Ils s'y retrouvent avec Hannon et Rops. – Je voyais le peintre français Jules Ragot. – Le conteur Charles Deulin. Hetzel me prit mon premier livre de contes d'enfants, Bébés et Joujoux, et successivement Huit Bébés et une Poupée, Les Jouets parlants. XVI. Un Mâle. – En feuilleton dans L'Europe et les grands journaux de Paris : c'est la première grande bataille et les premiers trophées de notre littérature. – Édité chez Kistemaeckers. – Goncourt, Zola, Daudet, Maupassant, Mendès, Huysmans m'écrivent : «Venez.» – Je partis voir Cladel avec lequel mes livres antérieurs m'avaient lié XVII. Visite à Barbey d'Aurevilly XVIII. Un jour, le peintre Jean-François Taelemans vint me prendre… Canevas qui allait servir pour le Mort XIX. Il y avait au bas de la chaussée de Vleurgat, à Bruxelles, une vieille petite maison… Qui aurait dit qu'elle allait jouer un rôle si sérieux dans l'histoire de la littérature en Belgique et ailleurs? XX. Ce furent les vendredis de la Jeune Belgique. – Généralement la petite bande montait d'abord à mon cabinet. – J'écrivais à l'Europe du Dimanche d'Émile Francq. – Je les y fis entrer. – J'offris à la Maison Hachette une suite de livraisons sur la Belgique XXI. Ce fut le temps du Prix quinquennal. – On écarta le redoutable Mâle, personne n'eut le prix. – La Jeune Belgique lança le fameux banquet de protestation. – Je m'installe à La Hulpe XXII. La Hulpe. – Je retrouve un carnet sur lequel à cette époque, j'annotais l'emploi de mes journées. – J'y écrivis Madame Lupar, Happe-Chair, La Fin des Bourgeois et terminai La Belgique. – La période quinquennale revenait : j'appris que le prix m'était attribué XXIII. Le Gil Blas m'avait demandé ma collaboration. – L'Enfant du Crapaud parut. – Le Parquet de Paris jugea l'article attentatoire aux bonnes mœurs. – Les gendarmes à La Hulpe XXIV. L'Enfant du Crapaud fut le premier des trois procès qu'Edmond Picard plaida pour moi : la cause fut gagnée devant l'Art et devant l'Idée, si elle ne le fut pas devant la morale des juges. La gloire montait XXV. Le Gil Blas songeait à refaire ses cadres : je proposai Huysmans et promis d'aller le voir. – Il n'accepta qu'à la condition d'y faire entrer Bloy. – J'amenai les deux nouveaux collaborateurs. – Villiers, lui, s'y épuisait XXVI. Deux fois le mois, Léon Cladel arrivait apporter un conte au Gil Blas. – Le dimanche on allait le voir à Sèvres XXVII. Je me rappelle les après-midi d'hiver à Sèvres. – Cladel dans mon appartement de la rue de la Ville l'Évêque. – Cladel à La Hulpe Annexes I. Notes communiquées par Camille Lemonnier à Edmond Picard sur ses livres II. Réponse de Camille Lemonnier au questionnaire d'Edmond Picard III. Note sur les ouvrages publiés par Camille Lemonnier de 1903 à 1913
À PROPOS DE L'AUTEUR
Camille Lemonnier

Auteur de Une vie d'écrivain

L'ampleur de son œuvre (plus de 70 volumes) et son inlassable activité de critique d'art (L'École belge de peinture, 1906), font assurément de Camille Lemonnier une des figures-clés de l'histoire culturelle belge. Tour à tour conspué et admiré (Rodenbach lui décerna le titre de «Maréchal des lettres belges»), il s'imposa comme la personnalité dominante du naturalisme en Belgique. Le réalisme de ses romans (qui lui vaudra plusieurs procès pour pornographie) est souvent contrebalancé par un lyrisme qui, tout en n'échappant pas toujours à l'enflure, témoigne d'une imagination prompte à se saisir de grandes figures mythiques. Son écriture puissante et baroque confine souvent au style artiste par son goût des tours recherchés et des termes rares ou patoisants. Rurale au départ (Un mâle, 1881), son inspiration le portera plus tard vers des thèmes sociaux (Happe-Chair, 1886; La Fin des bourgeois, 1892). À l'instar de Zola, ses derniers livres affectionnent le ton prophétique et l'allégorie grandiloquente pour annoncer le salut de l'humanité dans la réconciliation avec la nature.

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