Soixante-six sizains qui sont une répercussion d’une des périodes les plus pénibles de la vie de leur auteur : une confrontation avec la douleur et la beauté de l’amour, avec la beauté et la douleur de l’existence. Mais loin d’être une catharsis, ce monologue avec l’absence est un avis personnel qui s’emploie à décortiquer le quotidien d’une année, quotidien résolument lié à la réalité contemporaine et qui tente de se dépasser, de tendre vers l’universel à travers l’art complexe qu’est et demeure la poésie. Afin de maintenir malgré tout le potentiel de désir de liberté à défendre. Agrémenté par des expériences graphiques survenues parallèlement au travail sur le langage.
« j’ai l’air de fragmenter comme ça, en réalité j’unis »Ch. DotremontCeux qui ont eu l’occasion d’entendre Tom Nisse sur scène savent l’importance qu’il accorde à ce subtil dosage qui s’opère entre la forme, le propos et le corps dès lors que l’on se trouve face au public. Accompagné ou non d’un musicien, le poète sait jouer de cette alchimie particulière. Rares en effet sont les poètes qui parviennent comme lui à trouver la juste mécanique de cet engrenage dans le scandé, dans la (pro)pulsion du poème. C’est dire si la lecture d’un nouveau texte de Tom Nisse résonne de cette voix grave et fissurée dont il a le secret. Une parole poétique tendue qui rend compte des harmoniques souvent dissonantes du monde contemporain et des voix…
Pubers, pietenpakkers : relaas / Pubères, putains : récit
Il n’est pas dans les habitudes du Carnet de recenser les traductions d’œuvres littéraires belges francophones vers d’autres langues. Une exception pourtant aujourd’hui tant l’entreprise qui voit le jour constitue une première, un défi relevé et entamé il y a trois ans par Christoph Bruneel, relieur de formation et animateur avec Anne Letoré des éditions L’Âne qui butine. Le pari ? Traduire intégralement en néerlandais un recueil de Jean-Pierre Verheggen, en l’occurrence Pubères, Putains , sans doute l’un des textes les plus connus, les plus aboutis du poète. Un pari assez fou en effet d’autant que Verheggen se plaît à rappeler avec humour que même en français il n’a jamais été adapté, empruntant en cela à Jules Renard sa formule ironique à l’encontre de l’auteur d’ Un coup de dés jamais n’abolira le hasard , « Mallarmé, intraduisible même en français ! » Voilà donc trois ans que le traducteur Christoph Bruneel, lui-même auteur, poète et performeur polyglotte, s’arcboute sur la prose verheggenienne et butine dictionnaires, lexiques et autres grammaires pour apprivoiser la langue sauvage de l’auteur d’ Artaud Rimbur. Outre le soin et l’élégance apportés à l’objet-livre qui constituent la marque de fabrique de la maison, le livre, présenté dans sa version bilingue, donne littéralement une seconde vie à ce texte conçu comme une véritable épopée de l’adolescence.Bruneel aura dû s’accrocher pour contourner les nombreuses embûches et ornières linguistiques qui parsèment le récit. D’un côté, les nombreuses chausse-trappes langagières, les métaphores et autres mots-valises qui voisinent avec les termes issus des vocabulaires les plus spécifiques passant de l’ornithologie à la médecine et que le traducteur aura dû faire siens. Mille exemples peuvent être donnés à l’instar de ces « liparis culdorés », papillons de l’espèce bombyx dont on ne trouve que trois occurrences sur Google et que Bruneel traduit par le superbe et imagé « bastaardsatijnvlinders ». Véritable jeu de ping-pong entre le Capitaine Haddock de nos lettres et le traducteur fou du roi, de nar vertaler !Mais la plus grande prouesse est à chercher du côté du travail effectué sur les sonorités, sur le rythme de la langue que l’on perçoit sans doute le mieux lorsque les deux acolytes se livrent en public à une joute verbale. Il suffit de s’attarder sur le « pietenpakkers » du titre, mot-valise que je laisse au lecteur le soin de décortiquer, pour se rendre compte du jeu allitératif constant du traducteur afin de proposer sa propre vision d’une langue inventive et jouissive. C’est en effet lorsque l’on entend Bruneel dire le texte à haute voix que le résultat est le plus frappant d’ingéniosité langagière et rythmique.Comme il le précise dans sa préface-abécédaire, le traducteur qui s’aventure dans cet univers de dérision et de distorsion langagières doit se laisser aller, à lui de s’éventrer la panse lexicale, d’en découdre et de recoudre mot à mot, son à son, l’ambiance foutraque et à lier. Voilà enfin une lacune comblée, notre Rabelais gembloutois qui s’invite à la table de Vondel, un repas qui ne se refuse pas ! Nous étions des pubères. Des putains. Nous aimions beaucoup les jeux de mains que l’on dit de vilains. Les bains. Les ablutions. Les traîtrises. Les grandes trahisons. We waren pubers. Pietenpakkers. We hielden veel van handtastelijkheden gekend als viezigheden. Het baden. Het afpoedelen. De valsheid. Het…
Si tu ne m’offres pas de quoi oublier la fin du mondeje m’emmerde très vite Dans un long cri qui tient tant du chant…