Helena Belzer nous donne à voir des paysages mentaux au fil d’une connexion entre le spirituel et le cosmique. Il faut oublier activement les lois du réel, sa mise en perspective afin de laisser être un autre peuplement de l’espace, un nouveau phrasé du monde. Il n’y a pas de recomposition du visible sans sa décomposition préalable.
Solliciter, se mettre à l’écoute de conditions de possibilité du visible inédites, c’est le franger d’absence, de retrait, le laisser ouvert sur l’indéterminé, sur le devenir. ne pas le bâillonner dans le clos, ne pas saturer les phénomènes. Qui garde les formes dans l’ouvert, qui les branche sur les forces ne s’érige pas ipso facto en sentinelle de l’infigurable, d’un invisible, d’un irreprésentable dont l’énigme se doit d’être jalousement gardée. Ce qui se montre s’estompe, se voile, se déporte dans des métamorphoses sans qu’il y ait un point d’imprésentable à sauvegarder. Pas de Saint des Saints, de Graal interdit, pas de théologie picturale négative butant sur un invisible en soi. La peinture ou comment trouver un lieu où habiter.
Autrice de Tomber vers le haut
C’est l’été et comme souvent, c’est la zone, quelque part. Saison adéquate – s’il en fallait une – pour s’adonner à un penchant désinhibé pour les peintres et les poètes, doués du talent de trouer le visible de signes, d’y tracer des passages pour qui ne les voit pas. Lecteurs et éditeurs le savent bien : les livres offrent un bel abri aux rencontres picturo-poétiques autant qu’un aller simple pour l’ailleurs. Justement, Pierre-Yves Soucy, directeur des collections de La Lettre volée, vient de rassembler en un recueil, pour la seconde fois, deux espèces de voyantes – Véronique Bergen au clavier, Helena Belzer au pinceau – dans des pages estampillées magie – noire ou blanche: là n’est plus la question. Tomber vers le haut relève des territoires…
La disposition typographique de la page participe-t-elle à la poésie ? Depuis Apollinaire, la question a trouvé réponse. Le trou de ver , dernier recueil de Patrick Devaux , se décline dans l’alignement vertical de vers courts (un mot, une préposition de deux lettres parfois). Il entraîne la lecture dans une verticalité vertigineuse. On ne peut éviter de s’interroger à nouveau ici, au gré des pages dont plusieurs s’ouvrent sur ce qu’on sait des choses . Les rituels poétiques de Devaux, mêlent le banal d’un voyage en voiture à travers la nuit ( la buée sur les vitres (…) les deux phares de la voiture (…) un rétroviseur) au surgissement de l’étrange ( soudain / une louve / aux yeux jaunes ). Le poète fait alors de l’entrelacement du réel et du magique, du quotidien et du rêve, une source à laquelle il vient puiser le questionnement du poème ( je n’entendais rien d’autre qu’un poème récité sans danger précis ), la langueur allègre de sa graphie ( un crayon / doux / gribouillait un poème) et la nécessité d’écrire ( de profil / l’écorce / d’un grand saule / traduisait / la puissance / des secondes / en/ langage ). Un insecte brisé survient que rien ne ressuscitera, même pas le poème. La mort s’immisce alors dans la vibration poétique : mort de l’insecte, d’une feuille de saule ; mais aussi l’écriture qui survient, comme une improvisation de jazz, écriture rapide, presque instantanée, instituant une anarchie que seule contient la rareté des mots et leur disposition dans le poème vertical, au bord d’un précipice.Dans son éclairante préface, Jean-Michel Aubevert propose une lecture sensible, ce mot utilisé au temps de l’argentique pour qualifier le papier où naissent les images captées du réel. Il nous dit sa perception de la verticalité de la disposition des mots, du rythme hachuré de celui qui fait l’aveu : J’ai tant écrit / après / avoir / si peu / su/ dire. Est-ce dans ce qui est absent de la page qu’il faudrait alors chercher ce qui est la quête poétique ? « Ce qui fut éphémère dans l’instant s’avère durable au cœur. Le poème en recueille le battement », écrit Aubevert qui semble avoir fait sienne cette vision du poème de Devaux : « L’écrit pour parole ultime au rebond de l’intime ».Ce sont ainsi deux scintillements poétiques qui nous sont donnés, celui du préfacier, celui du poète. Catherine Berael, qui accompagna déjà l’un et l’autre à plusieurs reprises, ajoute en couverture et à la fin de l’ouvrage deux dessins : un visage au regard anxieux ou effrayé ; un couple dont une femme vêtue de rouge se précipite dans les bras d’un homme dont le mouvement et la silhouette se confondent avec le tronc noir de l’arbre dont il semble issu. La verticalité de l’arbre contrastant avec le mouvement des personnages répond-t-elle à l’interrogation initiale de cette recension concernant la poésie du dispositif typographique ?Le blanc oppressant de la page ne serait pas absence de mots mais effet du temps : Avec le temps / le trou / de / ver / n’a pas / pris / une ride. / Il a broyé / les mots non-dits / jusqu’au vide/ et / je n’ai plus su / ce qu’on sait / des choses. Jean Jauniaux Plus d’information Un beau recueil, tournoyant, scintillant, contrasté, où l’auteur, pudique, témoigne une fois de plus d’une sensibilité riche de ses épreuves, à mots comptés au feutre des métaphores. Gardez-vous du poème. Le verbe sait où il vous mène. partage d’hésitations quand l’ombre est folle parfois à lisser d’un trait noir…
Roland LADRIÈRE , Encres & Tremblés , Éditions de Corlevour, 2024, 80 p., 15 € , ISBN…
Passé un premier et tendre toucher du papier, choisi beau, crème, épais, c’est la mise en page qui saute…