Je te laisse écrire
les mots
qui viennent
transpercer
ma bouche
cette blessure
est la vie même
Auteur de Sur les rives du Même
Dédié à Rio di Maria, avant-proposé par Éric Allard, publié par L’arbre à paroles avec l’aide du Fonds national de la Littérature, Sur les rives du Même de Claude Miseur, actif auprès de diverses associations littéraires, au service de la cause des écrivain(e)s, a des allures de lettres nationales. Illustrées de six peintures sculptées par Ferderim Lipczynski, l’ouvrage touche à la sobriété et à la gravité. Le premier poème, parlant bas / de peur d’éveiller / la perte et le manque, prévient et prépare le lecteur.Rapidement une personne, une âme, circule fantômatiquement entre les lignes et oscille dans les pages du recueil : quel faux-pas / provoquer / pour te rendre / mémoire /…
La disposition typographique de la page participe-t-elle à la poésie ? Depuis Apollinaire, la question a trouvé réponse. Le trou de ver , dernier recueil de Patrick Devaux , se décline dans l’alignement vertical de vers courts (un mot, une préposition de deux lettres parfois). Il entraîne la lecture dans une verticalité vertigineuse. On ne peut éviter de s’interroger à nouveau ici, au gré des pages dont plusieurs s’ouvrent sur ce qu’on sait des choses . Les rituels poétiques de Devaux, mêlent le banal d’un voyage en voiture à travers la nuit ( la buée sur les vitres (…) les deux phares de la voiture (…) un rétroviseur) au surgissement de l’étrange ( soudain / une louve / aux yeux jaunes ). Le poète fait alors de l’entrelacement du réel et du magique, du quotidien et du rêve, une source à laquelle il vient puiser le questionnement du poème ( je n’entendais rien d’autre qu’un poème récité sans danger précis ), la langueur allègre de sa graphie ( un crayon / doux / gribouillait un poème) et la nécessité d’écrire ( de profil / l’écorce / d’un grand saule / traduisait / la puissance / des secondes / en/ langage ). Un insecte brisé survient que rien ne ressuscitera, même pas le poème. La mort s’immisce alors dans la vibration poétique : mort de l’insecte, d’une feuille de saule ; mais aussi l’écriture qui survient, comme une improvisation de jazz, écriture rapide, presque instantanée, instituant une anarchie que seule contient la rareté des mots et leur disposition dans le poème vertical, au bord d’un précipice.Dans son éclairante préface, Jean-Michel Aubevert propose une lecture sensible, ce mot utilisé au temps de l’argentique pour qualifier le papier où naissent les images captées du réel. Il nous dit sa perception de la verticalité de la disposition des mots, du rythme hachuré de celui qui fait l’aveu : J’ai tant écrit / après / avoir / si peu / su/ dire. Est-ce dans ce qui est absent de la page qu’il faudrait alors chercher ce qui est la quête poétique ? « Ce qui fut éphémère dans l’instant s’avère durable au cœur. Le poème en recueille le battement », écrit Aubevert qui semble avoir fait sienne cette vision du poème de Devaux : « L’écrit pour parole ultime au rebond de l’intime ».Ce sont ainsi deux scintillements poétiques qui nous sont donnés, celui du préfacier, celui du poète. Catherine Berael, qui accompagna déjà l’un et l’autre à plusieurs reprises, ajoute en couverture et à la fin de l’ouvrage deux dessins : un visage au regard anxieux ou effrayé ; un couple dont une femme vêtue de rouge se précipite dans les bras d’un homme dont le mouvement et la silhouette se confondent avec le tronc noir de l’arbre dont il semble issu. La verticalité de l’arbre contrastant avec le mouvement des personnages répond-t-elle à l’interrogation initiale de cette recension concernant la poésie du dispositif typographique ?Le blanc oppressant de la page ne serait pas absence de mots mais effet du temps : Avec le temps / le trou / de / ver / n’a pas / pris / une ride. / Il a broyé / les mots non-dits / jusqu’au vide/ et / je n’ai plus su / ce qu’on sait / des choses. Jean Jauniaux Plus d’information Un beau recueil, tournoyant, scintillant, contrasté, où l’auteur, pudique, témoigne une fois de plus d’une sensibilité riche de ses épreuves, à mots comptés au feutre des métaphores. Gardez-vous du poème. Le verbe sait où il vous mène. partage d’hésitations quand l’ombre est folle parfois à lisser d’un trait noir…
Claude Miseur
25 octobre 2020
Dans ce recueil de poésie de Claude MISEUR, l'auteur s'appuie en citation sur R.M. Rilke :
« Point ne sont les couleurs connues,
point n'est l'amour appris
et ce qui, dans la mort,
nous tient au loin
n'est pas dévoilé. »
Miseur choisit ses mots comme un orfèvre ferait le choix des pierres pour la confection d'une parure. Il épure les mots qu'il transforme avec application à la finalité de sa pensée. Tels les cristaux tirés de la Terre sont appelés habituellement « pierres brutes », il est approprié de dire que les mots sont « ternes » sans un voisinage élu avec soin pour la fondation du poème.
Il faut du talent, un savoir-faire approprié pour choisir les mots, les accoler à d'autres tous aussi précieux. Donner cet éclat au poème, la parure. Cette économie de mots, Claude Miseur le veut, quitte à contenir l'impatience, y revenir s'il faut. Nos questionnements méritent cette réflexion, cette lenteur à dire, à maîtriser pour ne pas surcharger, céder à l'ornementation et ainsi asphyxier le poème.
C'est de la toute belle poésie qui nous est donnée à lire, une révélation dirais-je, tant les mots touchent et font cible.
Philippe G. Brahy
Extraits :
J'irais de nuit
sous une lune sale
étendre le linge
à blanchir
¶
Dans cette chambre
au bord des pluies
j'ai peur du noir
le long de l'heure
indifférente
¶
Ne te trouble pas
si l'eau sombre
dans ton reflet