Auteur de Spinoza au ras de nos pâquerettes
Paraît que Spinoza est redevenu à la mode. Aussi bien dans les milieux anarchistes que dans ceux, plus à droite, des fervents de la liberté d’entreprendre. C’est que la pensée du gaillard, toute rigoureuse et précise qu’elle soit, n’en reste pas moins malléable, sujette aux interprétations les plus contradictoires. C’est qu’on ne peut pas se contenter de lire Spinoza. Croire, d’un coup, à la première lecture, être rentré dedans comme on dit. Spinoza, on le déguste à force de le côtoyer. Un peu. Beaucoup. Tous les jours. À force d’y revenir donc. De le relire. De ne pas hésiter à reprendre ce qu’on croyait avoir déjà compris. C’est ce que nous suggère Pierre Ansay en tout cas, grand admirateur…
Petit éloge de David Bowie. Le dandy absolu
Le 10 janvier 2016, quand est tombée la nouvelle du décès de David Bowie, des millions de personnes à travers le monde ont senti qu’elles perdaient un proche. Chacune d’entre elles avait son Bowie : le punk émacié ou le beau gosse stylé, le mâle à l’irrésistible regard vairon ou l’androgyne outrageusement maquillé, le rouquin flamboyant ou le blond aryanisé, le musicien ou l’acteur, la bête de scène ou la star de clip ; il y a les fans qui ne jurent que par Ziggy Stardust et voient advenir la corruption de leur idole avec le star system au mitan des années 70, ceux qui larmoient en entendant à la radio ses succès plus commerciaux sur lesquels ils se sont déhanchés, de Let’s dance à China girl , enfin ceux qui l’ont découvert sur le tard, alors qu’il était déjà un « classique ». Le philosophe Daniel Salvatore Schiffer voit, quant à lui, disparaître avec Bowie l’avatar absolu d’une figure esthétique à laquelle il a consacré de nombreuses et passionnantes recherches : le dandy. L’éloge posthume – petit par la taille, grand par l’expression – qu’il prononce vient clore, en toute logique, une trilogie entamée avec Lord Byron et poursuivie avec Oscar Wilde.Convoquant donc l’auteur du Portrait de Dorian Gray , mais aussi Barbey d’Aurevilly, Baudelaire, Nietzsche, puis tous les spécialistes de la question (Sollers, Onfray, Marie-Christine Natta, etc.), Schiffer situe Bowie dans une « phénoménologie du dandysme » aux manifestations plurielles. Au fil de chapitres qui tiennent autant de l’oraison funèbre vibrante que du Magnificat , l’auteur débusque dans chaque pose (à ne pas confondre avec « posture ») de Bowie la griffe dandy qui la caractérise : la tendance à vouloir transmuter une vie en œuvre d’art ; la multiplication des doubles et des masques ; la fascination envers le « troisième sexe » ; l’hédonisme transgressif ; l’exercice d’une lucidité confinant à l’héroïsme pour combattre la souffrance et s’autoriser à clamer au seuil du néant : « Mort, où est ta victoire ? » ; la sublimation en astre noir, en Blackstar se consumant d’une flamme inverse, pour l’éternité.Cet essai, bien que nourri d’éléments factuels et d’une connaissance imparable de la discographie de Bowie, n’a rien à voir avec ces sarcophages de papier que sont souvent les biographies. Certains s’irriteront du style déployé dans cet In memoriam , qu’ils jugeront emphatique, grandiloquent, d’une tapageuse démesure. Mais parle-t-on d’un dieu à demi-mots ? Schiffer ne s’est pas accaparé en opportuniste le masque mortuaire de son idole : il l’a rehaussé d’un nouveau fard et a précisé les contours des éclairs qui le zèbrent, pour le faire entrer dans la galerie des Dandys majuscules – ces éphémères qui ont conquis…
Réinventer le vers : Philippe Beck en conversation avec Jan Baetens
La collection d’essais des Midis de la poésie propose un dialogue intense et serré entre deux poètes, deux philosophes, deux chercheurs. Jan Baetens interroge Philippe Beck et, à travers leurs échanges, se déploie une réflexion sur la poésie d’aujourd’hui, sur sa place dans la vie de la langue et sa position dans la société. Lire aussi : « Portes et livres ouverts : Midis de la poésie » ( C.I. n° 198)Philippe Beck propose un portrait du poète en ostéopathe. Le travail du poète fait en effet craquer les articulations de la langue ; il les déplace pour en faire entendre les possibles. Il réfute ainsi l’idée que le poème invente une autre langue. Cette notion d’articulation, centrale dans sa pensée, le conduit à sonder le rapport de la poésie au discours logique. Tout un pan de la poésie contemporaine refuse en effet les articulations logiques et privilégie la parataxe. Philippe Beck ne s’inscrit pas dans ce refus et tente de faire sonner les différences entre la poésie et la philosophie, sans nier leurs zones de convergences et d’interférences possibles.La question du vers, que pratique Philippe Beck, occupe une place importante dans le dialogue. Philippe Beck rappelle l’antériorité du vers sur la prose et son rôle dans la transmission. La question centrale de la poésie est ainsi celles des conditions qui rendent un énoncé vivant et lui permettent de réveiller les conditions d’une communauté. Une forme de musicalisation de la langue permet, pour Philippe Beck, de réveiller le rapport de chacun à la langue commune dans laquelle il baigne. Une langue « éveillée » serait une langue en expérimentation perpétuelle. Son but n’est pas de détruire le langage ordinaire, mais de combler ses manques, de les souligner, de les renforcer, de jouer avec ses ombres.Jan Baetens souligne, à ce sujet, l’une des particularités de la poésie de Philippe Beck : la façon dont elle ne se contente pas de la cadence, c’est-à-dire du nombre de syllabes, mais joue aussi sur les accents et la longueur relative des voyelles à la manière du système anglo-saxon.La question de l’articulation de la poésie et du discours théorique est ensuite abordée. Philippe Beck est en effet l’auteur d’un art poétique : Contre un Boileau. La théorisation est cependant venue chez lui après la pratique, au fil de l’écriture comme un désir de lutte contre la naïveté.Cet art poétique permet d’interroger l’articulation de la poésie et de la prose. Philippe Beck réfute leur séparation totale. Il s’intéresse, au contraire, aux proses qui circulent dans la poésie et au devenir-prose qui guette le poème. Il s’agit alors de jouer avec le risque du poème dans la prose et de la prose dans le poème pour empêcher que chaque discours ne se fige. François-Xavier Lavenne Philippe Beck est poète et philosophe et sa pratique de la poésie est inséparable d’une réflexion sur la place de l’écriture dans la vie de la langue et dans la société en général. Son travail poétique donne une place essentielle au vers, qu’il est un des rares à considérer comme élément clé de la poésie d’aujourd’hui. Nourrie d’une grande érudition et d’un sens très aigu de la responsabilité sociale du poète, l’écriture de Philippe Beck s’interroge sur la possibilité de refaire poétiquement la langue et, partant, la vie. Ce volume retranscrit un entretien entre Philippe Beck et Jan Baetens qui s’est tenu à Bruxelles dans le cadre des conférences des Midis de la…