Septentrion - magazine n° 9 - 1-2024 - Septentrion n° 9 - 1er semestre 2024

Sommaire

Édito: Se trouver mutuellement ou pas
Hendrik Tratsaert

Dossier: Entre voisins. La Wallonie et le monde néerlandophone

Une histoire de TGV et de tube de dentifrice. La Belgique,
de l’État national à l’État fédéral d’aujourd’hui
François Brabant

Wallons et Flamands se cherchent: «Un relais pour l’avenir»
Promenade aux côtés de jeunes pèlerins cyclistes
Antoine Alexandre

Créer des ponts. L’accord culturel entre les Communautés
française et flamande de Belgique
Anne François

Pays-Bas et Wallonie, des liens en développement.
Anciens copains de classe en quête de retrouvailles
Les Pays-Bas et la Wallonie se reniflent
Ricus van der Kwast

La littérature, porte vers d’autres régions linguistiques
L’Euregio Meuse-Rhin
Tomas Vanheste

La révolution en 1927? L’enseignement du néerlandais en Wallonie
à la croisée des chemins
Philippe Hiligsmann

Comment dépasser les stéréotypes? La Flandre et la Wallonie
vues à travers les yeux d’un nouveau Belge
Ahilan Ratnamohan

Différents ou profondément identiques? La création d’une identité propre
tant en Flandre qu’en Wallonie
Vincent Scheltiens

Pays-Bas et Wallonie, des liens en développement.
L’attrait durable des Ardennes.
La Wallonie sous la plume des écrivains néerlandais
Stefan Van den Bossche

Poème, Bert Voeten, traduit du néerlandais par Daniel Cunin

Rêvepluie de Sch, Jan G. Elburg, traduit du néerlandais par Daniel Cunin

L’air stimulant des bois, Tessa de Loo, traduit du néerlandais par Hélène Papot

Gros-Cailloux, Richard Hemker, traduit du néerlandais par Françoise Antoine

L’angle mort de la littérature belge? Les politiques contemporaines de traduction
Clara Folie, Ewoud Goethals,Timothy Sirjacobs

L’importance d’une littérature attractive.
Une nouvelle «vague» littéraire flamande en Wallonie?
Elke Brems & Stéphanie Vanasten

Une ville où le beau est toujours bizarre. Grâce à la culture,
Charleroi entre dans une nouvelle ère
Pascal Verbeken

Les actualités des Plats Pays

La vulnérable universalité d’un symbole. Anne Frank,
des années 1940 à nos jours
Marnix Beyen

Je pars en voyage d’affaires et j’emporte … Le positionnement de la Belgique,
de la Flandre et des Pays-Bas à l’étranger
Lieven Desmet

Sarcastique et dérangeant. De Renart à «Reynaert»
Aurélie Barre

Tant de méfaits, Willem, traduit du moyen néerlandais par René Pérennec

Comptes rendus

«La Femme sauvage»
(Jeroen Olyslaegers)
Laurent De Maertelaer

«La Route des Indes»
(Simone van der Vlugt)
Pierre Gelin-Monastier

«Le Fils du coiffeur»
(Gerbrand Bakker)
Dorien Kouijzer

«L’Honorable Collectionneur»
(Lize Spit)
Kerenn Elkaïm

L’ «Algemeen Beschaafd Nederlands», symbole d’une riche culture
«Enfants de l’ ABN»
Miet Ooms

L’important pour nous, aujourd’hui, c’est la proximité
L’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai
a plus de quinze ans d’existence: interview de Loïc Delhuvenne
Karel Cambien

Un contrepoids à la déshumanisation de la société?
La noblesse dans les Plats Pays
Jan Van den Berghe

 


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Entre social-démocratie et marginalité. 100 ans de communisme dans les Plats Pays.

Ni aux Pays-Bas ni en Belgique , le 100e anniversaire de la révolution russe d’Octobre n’a été commémoré par un parti communiste orthodoxe tel que l’Internationale communiste, ou "Komintern", avait pourtant prévu, dès 1919, d’en mettre en place dans tous les pays. Le Communistische Partij van Nederland (CPN) a fusionné en 1989 avec deux autres petits partis pour devenir le parti écologiste GroenLinks. Le Parti communiste de Belgique (PCB) a vécu une longue agonie après sa scission en deux ailes, l’une flamande, l’autre francophone, en 1989. La première fut liquidée sans bruit dans la seconde moitié des années 1990. La seconde mène aujourd’hui une existence marginale et non pertinente. Les années 1989 et 1991 sont bien sûr tout sauf fortuites. En 1989 le mur de Berlin, symbole de la séparation entre l’Ouest capitaliste et le bloc communiste de l’Est, est tombé. En 1991, c’est l’Union soviétique, maison mère et pays pilote du communisme, qui a implosé. Contrairement à ce qui s’est passé en France, en Italie et dans une moindre mesure en Espagne, ni le CPN, ni le PCB ne surent jamais rivaliser avec le grand concurrent social-démocrate, sans parler de le surpasser. Néanmoins la raison d’être des communistes était latente dans le mécontentement suscité par la participation de la social-démocratie au système capitaliste. En Belgique, tout comme en France et ailleurs, le facteur déclenchant fut l’approbation par les socialistes des crédits de guerre en août 1914, suivie par leur participation active à ce qu’ils avaient toujours rejeté comme une querelle intestine impérialiste dans laquelle le prolétariat n’était pour rien. Le communisme néerlandais constitue sur ce point une exception. Non seulement le pays conserva sa neutralité durant la première conflagration mondiale, mais déjà en 1908 des mécontents socialistes s’étaient regroupés autour du journal d’opinion Tribune. Ces «tribunistes» s’insurgeaient contre «l’électoralisme» des socialistes et allaient créer un an plus tard le Sociaal Democratische Partij (SDP), précurseur du Communistische Partij Holland, rebaptisé ultérieurement CPN. Le nombre des adhérents environ cinq cents n’était certes pas impressionnant, mais il en allait tout autrement du renom de plusieurs leaders. Outre son meneur principal David Wijnkoop (1876-1941), le groupuscule communiste avait le soutien d’intellectuels célèbres comme l’astronome Anton Pannekoek (1873-1960), le poète Herman Gorter (18641927) et sa contemporaine HenriëMe Roland Holst (qui toutefois adhérerait plus tardivement). Le PCB fut fondé en 1921 par la fusion imposée par Moscou de deux groupes qui se dédaignaient. L’un des groupes, mené par le peintre War Van Overstraeten, ne jurait que par l’antiparlementarisme et le communisme soviétique, et traitait le second groupe, constitué autour du syndicaliste des employés Joseph Jacquemotte, de «réformiste». En retour, les seconds qualifiaient les premiers de «gauchistes». Depuis sa naissance et tout au long de son histoire, le centre de gravité du communisme belge se situerait en Belgique francophone. Pour conquérir un premier siège parlementaire en 1926, Van Overstraeten dut par exemple se présenter à Liège. Le dernier parlementaire flamand du PCB, le docker anversois Frans Van Den Branden, perdit son siège dès juin 1950. L’ampleur et l’impact des deux partis demeurèrent extrêmement limités jusqu’au milieu des années 1930. Après l’arrivée au pouvoir de Staline, toute dissidence, y compris dans les différents partis communistes, fut cataloguée comme «trotskisme» et énergiquement réprimée. War Van Overstraeten quitta le parti avec un certain nombre de fidèles en 1928, après que les zélateurs de Moscou, lors d’un congrès à Anvers, eurent réussi à enlever la majorité par une manigance. Le développement de ce courant communiste dissident connut un cours chaotique. En Belgique, il resta numériquement limité, mais il comptait un certain nombre d’intellectuels remarquables comme le jeune Abraham Léon (1918-1944) qui devait, ultérieurement, être l’auteur d’un ouvrage de référence universel sur le judaïsme, ainsi que, un peu plus tard, le célèbre économiste Ernest Mandel (1923-1995) XX . Aux Pays-Bas par contre, le Revolutionair Socialistische Arbeiderspartij (RSAP) rencontra davantage de succès. Le mérite en revient à son leader Henk Sneevliet (1883-1942), qui fut élu à la Chambre des députés et dirigea également une centrale syndicale, le Nationaal Arbeidssecretariaat (NAS Secrétariat national du travail). Sous le pseudonyme de Maring, il avait été actif auparavant en Chine et aux Indes néerlandaises en tant que représentant du Komintern. Les partis communistes étaient entre-temps «bolchévisés». Accusations malveillantes et exclusions tombaient dru, ce qui paralysait grandement la vie des partis et éclaircit encore les maigres effectifs. Mais la seconde moitié des années 1930 apporta un revirement, une fois encore venu d’en haut. On abandonna la ligne sectaire «classe contre classe», avec la social-démocratie comme ennemi juré. Grâce à un nouveau paradigme, l’antifascisme, les communistes cherchèrent à se rapprocher des socialistes et même des libéraux-démocrates, dans l’espérance de l’avènement d’un «front populaire». Contrairement au Front populaire en France où la stratégie avait été appliquée pour la première fois avec succès -, cela ne réussit pas dans les Plats Pays. Aussi bien le CPN que le PCB étaient trop petits pour exercer quelque pression que ce soit sur la social-démocratie. Les deux partis fournirent beaucoup de militants aux Brigades internationales quand éclata en 1936 la guerre civile en Espagne. Ces milices de volontaires envoyées et contrôlées par le Komintern attirèrent aussi de célèbres intellectuels. André Malraux prit le parti de la république, tout comme Ernest Hemingway, W.H. Auden ou John Dos Passos. Des Pays-Bas s’engagèrent, entre autres, le cinéaste Joris Ivens (18981989) XX et l’écrivain Jef Last (1898-1972) XX . La guerre civile espagnole et la politique du Front populaire ouvrirent pour la première fois aux communistes flamands et néerlandais la possibilité de construire un réseau avec des compagnons de route, des universitaires et des intellectuels qui suivraient le parti, l’accompagneraient et lui prêteraient main forte, souvent en participant à des organisations satellites ou à de plus larges initiatives imaginées dans les cénacles du parti. De la scission à l’apogée En 1937 les communistes de Flandre se rebaptisèrent Vlaamse Kommunistische Partij (VKP) dans un effort pour s’implanter plus aisément. Sous la direction de Georges Van Den Boom et avec un porte-étendard de la stature de Jef Van Extergem, figure du Mouvement flamand, on battit le tambour du flamingantisme. Le journal du parti s’appela désormais Het Vlaamsche Volk (Le Peuple flamand) et, durant la première période de l’occupation allemande, le parti publia officieusement le journal Uilenspiegel, qui n’évitait pas même les propos antisémites. Vers la même période, la stalinisation atteignit son épanouissement en interne. Les procès de Moscou qui aboutirent à l’exécution des leaders de la révolution ainsi qu’à celle de l’élite de l’Armée rouge comme «saboteurs» et «traîtres», ne provoquèrent pas de dissidences notables. Cerise sur le gâteau, aux Pays-Bas, Paul de Groot, stalinien à tout crin, fut nommé au secrétariat général du CPN en 1938. Cet inconditionnel fantasque et tourmenté allait conduire le parti à la bagueMe durant des décennies. L’apogée de l’existence des deux partis - leur rôle durant la Seconde Guerre mondiale dans la résistance à l’occupant allemand - fut précédé par un choc, quand Hitler et Staline conclurent pendant l’été 1939 un pacte de non-agression. Cet événement décontenança les militants…

Eloge de la perméabilité: regards francophones sur les Plats-Pays. (Adrienne Nizet)

Il est tout à fait possible , dans l’étonnant petit pays qu’est la Belgique, de passer 30 ans sans entrer en contact, ou presque, avec « la néerlandophonie ». C’est mon cas. Un parcours scolaire sur les hauteurs de Liège, avec pour langues d’études, dans l’ordre, l’anglais, l’allemand et l’espagnol, des études supérieures en journalisme à Bruxelles sur une même lancée, avec l’anglais et l’allemand pour bagages, et un début de carrière dans un environnement majoritairement francophone m’ont amenée à fêter mes 30 ans avec pour seules connaissances de la langue de mes plus proches voisins quelques comptines (Een twee drie vier, hoedje van, hoedje van, een twee drie vier, hoedje van papier), un mot d’excuse passe-partout (Sorry, ik spreek geen Nederlands, mag ik in het Frans praten) auquel l’interlocuteur, habitué, répondait en français dès le troisième mot et pas mal d’idées caricaturales (cf. Les Flamandes de Jacques Brel). Même si, comprenons-nous bien, il n’y a jamais eu, ni de ma part ni de celle de mes parents, de mes professeurs ou de mes employeurs, la volonté de ne pas (m’) apprendre le néerlandais. Simplement, le besoin ne s’en est jamais fait sentir. Pendant 30 ans. C’est, sans grande surprise quand on y pense, la littérature qui a mis fin à cette apparente imperméabilité. Mon arrivée en janvier 2015 à Passa Porta, maison internationale des littératures à Bruxelles, lieu par excellence d’échanges entre les langues et les cultures, requérait par définition une plongée immédiate dans cette «néerlandophonie» méconnue. Une période d’immersion intensive (facilitée quoi qu’en disent certains par mes acquis en langue allemande) m’a permis d’obtenir rapidement une compréhension passive de la langue de mes nouveaux collègues et de leur environnement et, petit à petit, grâce à leur bienveillance et à ma volonté d’incarner le projet sous toutes ses facettes, d’en percevoir les nuances et de me mettre à la pratiquer assidûment. «Fais des phrases courtes» D’autres que moi se sont attelés, avec plus d’expertise, à mettre en parallèle les structures différentes du français et du néerlandais, et à étudier l’impact que peut avoir l’usage d’une langue sur la structure du cerveau, de la pensée, du raisonnement. Je n’en ferai donc pas ici l’exposé, ce n’est d’ailleurs pas le sujet. Mais ce qui marque directement, lorsque, en tant que francophone, l’on s’immerge dans le néerlandais, c’est l’extrême rationalité de la construction des phrases, voire des mots. Enormément de mots sont composés de deux autres, simplement juxtaposés: de boekenkast pour la bibliothèque (mot qui en français désigne tant le meuble que le lieu), de lampenkap pour l’abat-jour (on gagne en efficacité, on perd en poésie), de zonsondergang pour le crépuscule, de overlast pour l’inconvénient, eigenzinnig pour têtu, etc. Pour faire court, la langue néerlandaise est bien plus directe que ne l’est le français. Un des meilleurs conseils qui m’a été donné pour me l’approprier est d’ailleurs celui-ci: «Fais des phrases courtes». Avec la langue vient toujours la culture, et c’est sans doute cela qui rend le travail de et à Passa Porta si intense, et crucial simultanément. La littérature est, par essence, liée à la langue. Pour appréhender celle de l’autre il faut ou pouvoir la comprendre dans ses moindres recoins, avec toutes ses subtilités et ses nuances, ou de brillants traducteurs capables de le faire pour nous. Mais il faut, avant tout, de la curiosité (nieuwsgierigheid, encore un joli mot). Et celle-ci a parfois besoin d’être suscitée. Voire exigée. La mettre en partage demande d’ôter son imperméable. Hommage aux traducteurs Je me rappelle avec précision ma première émotion littéraire en néerlandais. Elle a cela de particulier qu’elle est née d’une traduction (mais est-ce un hasard?). Celle du Canto General de l’immense Pablo Neruda par Bart Vonck, dont des extraits avaient été lus, lors de la soirée de lancement de l’ouvrage, par Annemie Tweepenninckx (une bekende Vlaming inconnue de moi jusque-là...). Il ne fallait pas connaître, alors, la langue néerlandaise dans ses moindres recoins (pas plus que l’espagnol d’ailleurs) pour percevoir l’immense émotion délivrée par les mots du Chilien. Mais entendre la poésie dans une autre sonorité lui offrait une nouvelle saveur. La littérature, donc, comme porte d’entrée dans la «néerlandophonie». Il me faut ici revenir, en partie, sur ce que j’ai écrit plus haut. Car si ma connaissance du néerlandais était réduite à son minimum pendant les trois premières décennies de ma vie, je n’étais pour autant - et heureusement - pas passée à côté de tous les auteurs néerlandophones contemporains. Qu’il soit ici rendu hommage aux traducteurs. Les livres de Dimitri Verhulst (l’inoubliable Merditude des choses, tellement plus drôle que le film, pourtant également réussi - traduction de Danielle Losman) XX et de Tom Lanoye (La Langue de ma mère - traduction d’Alain van Crugten) XX faisaient déjà partie de mes lectures. David Van Reybrouck aussi, bien sûr, était loin d’être un inconnu, puisqu’il est régulièrement traduit et joué (Congo, traduit par Isabelle Rosselin) XX , et Stefan Hertmans est souvent mis en avant depuis la sortie de Guerre et térébenthine chez Gallimard (traduction par la même Isabelle Rosselin) XX . Mais au-delà de ces figures de proue, il faut bien admettre que peu de noms passent la frontière linguistique. L’inverse est vrai aussi, et la rengaine est connue. Combien de Flamands, au-delà des cercles d’initiés, peuvent citer d’autres auteurs belges francophones vivants que, disons, Jean-Philippe Toussaint, Amélie Nothomb et Caroline Lamarche? Or des Patrick Declerck, Thomas Gunzig, Nathalie Skowronek, Geneviève Damas, Barbara Abel, Corinne Hoex, Kenan Gorgun, Laurent Demoulin, Emmanuelle Pirotte, Hubert Antoine, Jean-Luc Outers, etc. gagneraient sans aucun doute à être connus. Tout autant que Jeroen Olyslaegers XX , Lize Spit XX ou Maud Vanhauwaert XX dans le sens inverse, d’ailleurs. Leurs récentes traductions vers le français (éditées en France, pour deux d’entre eux) y aideront peut-être. Ce constat de non-connaissance de l’autre s’applique également aux médias, suivis en fonction de la langue par l’une ou l’autre partie de la population. Ainsi, ce sont rarement les mêmes titres qui font l’actualité des deux côtés de la frontière linguistique. Et ce même à Bruxelles... C’est cela, sans doute, qui m’a le plus surprise. De réaliser que cette forme d’imperméabilité qui avait été la mienne ne s’affaissait qu’en quelques points précis, et restreints, même chez ceux qui maîtrisaient les deux langues. Et que, dans une large mesure, alors que nous partagions un quotidien similaire, pour la plupart dans la même ville, les auteurs qui nous faisaient réagir simultanément, mes collègues néerlandophones et moi-même, étaient... américains. Le cas Paul Auster Mais revenons à la «néerlandophonie», puisque Paul Auster n’est pas le sujet de cet article. À moins que... Lorsqu’un livre sort en anglais, sa traduction est «quasi immédiate» en néerlandais. Y aurait-il plus d’intérêt pour ses ouvrages du côté néerlandophone qu’en Belgique et en France? Les traducteurs vers le français seraient-ils plus lents? Ni l’un ni l’autre, selon moi. Mais les éditeurs néerlandophones savent que, s’ils attendent trop, leurs potentiels lecteurs se rueront sur la version anglaise du texte, langue que ceux-ci maîtrisent en règle générale parfaitement. Donc, pour s’éviter de piteuses ventes, mais aussi pour offrir à leurs lecteurs toutes les nuances du texte (insistons à nouveau sur le rôle des traducteurs), ils mettent le turbo pour pouvoir sortir leur version dans les meilleurs délais. Prenons Paul Auster, précisément. Le très attendu…

Le virus de l’ imagination non reproductible. Les festivals TAZ et OEROL

Le festival d’Avignon et l’Edinburgh Festival Fringe sont les plus grands et les plus prestigieux festivals de théâtre européens. Ils ont valeur de référence. Hendrik Tratsaert, le nouveau rédacteur en chef de Septentrion, les a tous visités. Il nous présente dans cet article deux modèles alternatifs qui ont pris de l’ampleur au fil des années: en Belgique, TAZ dans la ville balnéaire d’Ostende et aux Pays-Bas, OEROL dans l’île frisonne de Terschelling. Il explique ce qui les rend uniques. * On dit souvent que chaque village flamand a son festival. Pour nombre de ces événements, l’important n’est pas forcément le prestige de l’affiche, mais l’expression d’une certaine identité. Ils rassemblent les gens autour d’un but commun. En se retroussant les manches pour organiser le festival, la population en devient une partie intégrante; elle le vit pleinement et se fond dans son atmosphère. Dans l’aire néerlandophone, on peut citer deux exemples marquants bâtis sur ces principes: Theater Aan Zee (TAZ - Théâtre-sur-mer) à Ostende, et OEROL dans l’île néerlandaise de Terschelling. TAZ et OEROL ont commencé modestement, se sont affirmés comme plates-formes de repérage de jeunes talents et ont vu croître le nombre des spectateurs accueillis en dix jours. Les deux festivals se déroulent au bord ou au milieu de la mer et chacun d’eux tire son caractère unique de son lien avec le locus, autrement dit le site où ils se déroulent. En ce sens, ils n’ont rien de comparable avec les autres grands festivals, tels le Holland Festival d’Amsterdam ou le KunstenFESTIVALdesArts de Bruxelles, qui misent sur la venue de célébrités internationales se produisant dans les boîtes noires des salles traditionnelles. Autant le spectacle donné sur les planches est d’avant-garde, autant le cadre est classique. Mais cette considération formelle n’est ni un critère de qualité ni ce qui nous intéresse dans cet article. Comme le veut la boutade, il n’y a que deux sortes de théâtre: le bon et le mauvais, ce qui n’empêche pas que le cadre unique et non reproductible où se déroule un festival puisse se révéler un atout. TAZ à Ostende: «L’émergence d’un monde meilleur» Le projet initié en 1996 par la ville d’Ostende était simple: le nouveau festival combinait le théâtre de rue et la présentation des travaux de fin d’études des étudiants des écoles de théâtre. Une précision sur le contexte: à l’époque, la cité balnéaire ne comptait qu’un seul équipement culturel, le Casino Kursaal; elle ne disposera d’un théâtre correctement équipé qu’à la fin de l’année 2012. Le festival devait donc pouvoir se dérouler, pour ainsi dire, partout. Que ce premier festival ait vu le jour sous les auspices de l’Office de tourisme d’Ostende n’a rien d’étonnant. La culture et le marketing urbain étaient alors synonymes. À l’initiative de Luc Muyllaert et d’une petite équipe motivée, le festival se dotera ensuite d’un statut d’association sans but lucratif lui permettant de voler de ses propres ailes. Le dénuement rend créatif. L’improvisation était la clef de la réussite et la bonne volonté de tous, son lubrifiant. L’ingéniosité technique se révélait capable de transformer la moindre petite arrière-salle, salle de sport, le moindre club de gymnastique, garage ou terrain de basket en la boîte noire d’un théâtre. Les interventions théâtrales en plein air virent le jour dans une ville possédant un grand parc, un aéroport, un port de pêche, une plage et un cordon de dunes. La ville devint un canevas créatif. En tant qu’habitant, il m’arrivait de penser que les indications portées sur le plan de ville vous amenaient à explorer des endroits où personne n’aurait eu autrement l’idée de mettre les pieds. Le théâtre traditionnel et l’avant-garde faisaient l’objet d’une égale attention. Le label «Jeune théâtre» devint une référence, entre autres grâce à la formule «nomade», sorte de blind date où le public, conduit par un guide, assistait à une série de courtes pièces dont il ne connaissait à l’avance ni la location ni les auteurs. Les programmateurs et les découvreurs de talent savaient qu’en venant là où tous les jeunes espoirs étaient rassemblés, ils s’évitaient de courir toute l’année par monts et par vaux pour repérer ceux qui sortaient du lot. Les acteurs et les créateurs faisaient leurs premiers pas au TAZ - il suffit de penser à Matteo Simone lors des débuts de la troupe FC Bergman, ou à Bruno Vanden Broecke. Tous voulaient s’y retrouver et s’y produire. Le réseau minutieusement bâti pour repérer les talents en Flandre, à Bruxelles et à Amsterdam se révélait un choix stratégique payant. Un spectacle de la section mime de l’École supérieure des arts d’Amsterdam pouvait y côtoyer un dialogue de l’Académie de théâtre de Maastricht, une performance du conservatoire d’Anvers, ou une représentation exceptionnelle d’une bande de jeunes loups. Toutes les «jeunes» productions bénéficiaient d’autre part d’une programmation multiple leur évitant le risque de passer inaperçues. TAZ vous les apportait, pour ainsi dire, sur un plateau. Non content d’afficher une brochette de comédiens et créateurs célèbres, le festival permettait au spectateur d’assister à une représentation à toute heure du jour. Chaque édition comportait son lot de ravissements et de scandales. En une seule journée, j’ai ainsi pu voir un angoissant spectacle muet signé Lotte Van den Berg dans une friche du port, une pièce à scandale de la jeune compagnie Abattoir Fermé dans un hangar ferroviaire - une scène où on voyait l’actrice Tine Van den Wijngaert feindre d’être sauvagement violée provoqua le départ d’une partie du public -, et le même soir, dans un buffet de gare délabré, un jeune comique qui éclipsait tout le reste. Ce même jour, j’aurais également pu assister à un spectacle de théâtre musical avec Josse De Pauw, à une représentation de Schwalbe, à un apéro-poésie rassemblant des auteurs consacrés autant qu’inconnus, et terminer la soirée par ciné-concert en live. J’en profite pour préciser que la musique et la littérature ont eu très tôt leur place dans le festival. Depuis une quinzaine d’années, TAZ fait appel à des commissaires invités. Au départ, il s’agissait d’un duo: deux personnalités artistiques marquantes, représentatives en général l’une du théâtre et l’autre de la musique, coconstruisaient le programme. Elles apportaient avec elles leur réseau, leur bagage intellectuel et leurs souhaits les plus chers. Ainsi, lors de l’édition 2009, l’auteur-réalisateur Arne Sierens (Cie. Cecilia) et l’auteur-compositeur Gabriel Rios: le premier invita la créatrice française Gisèle Vienne et le metteur en scène Pippo del Bono, et le second fit venir sa chanteuse idole Mavis Staples et son propre père, pianiste à Porto Rico. L’année suivante, le festival donna carte blanche à Jan Goosens (alors directeur du Théâtre royal flamand de Bruxelles, et maintenant du festival de Marseille) et au chanteur Arno dont la renommée a depuis longtemps dépassé les frontières de sa ville natale. Depuis cinq ans, TAZ n’invite plus qu’un seul commissaire; celui-ci ne se contente pas d’imposer sa marque sur la programmation, mais opte également pour un thème, souvent socialement engagé, qui se reflète dans les créations et les débats. La commissaire Barbara Raes, qui conçoit des rituels pour les pertes non reconnues, fit naviguer chaque jour vers l’est un bateau ayant à son bord un enfant endeuillé qui devait aider le soleil à se lever. The sky is the limit: cela aussi est possible à TAZ. Chaque nouvelle saison est donc devenue une splendide vitrine où se côtoient des pièces de théâtre - de jeunes troupes et de compagnies consacrées -, des débats d’actualité, un programme pour enfants dans le parc, des interventions artistiques,…