Septentrion - magazine n° 9 - 1-2024 - Septentrion n° 9 - 1er semestre 2024

Sommaire

Édito: Se trouver mutuellement ou pas
Hendrik Tratsaert

Dossier: Entre voisins. La Wallonie et le monde néerlandophone

Une histoire de TGV et de tube de dentifrice. La Belgique,
de l’État national à l’État fédéral d’aujourd’hui
François Brabant

Wallons et Flamands se cherchent: «Un relais pour l’avenir»
Promenade aux côtés de jeunes pèlerins cyclistes
Antoine Alexandre

Créer des ponts. L’accord culturel entre les Communautés
française et flamande de Belgique
Anne François

Pays-Bas et Wallonie, des liens en développement.
Anciens copains de classe en quête de retrouvailles
Les Pays-Bas et la Wallonie se reniflent
Ricus van der Kwast

La littérature, porte vers d’autres régions linguistiques
L’Euregio Meuse-Rhin
Tomas Vanheste

La révolution en 1927? L’enseignement du néerlandais en Wallonie
à la croisée des chemins
Philippe Hiligsmann

Comment dépasser les stéréotypes? La Flandre et la Wallonie
vues à travers les yeux d’un nouveau Belge
Ahilan Ratnamohan

Différents ou profondément identiques? La création d’une identité propre
tant en Flandre qu’en Wallonie
Vincent Scheltiens

Pays-Bas et Wallonie, des liens en développement.
L’attrait durable des Ardennes.
La Wallonie sous la plume des écrivains néerlandais
Stefan Van den Bossche

Poème, Bert Voeten, traduit du néerlandais par Daniel Cunin

Rêvepluie de Sch, Jan G. Elburg, traduit du néerlandais par Daniel Cunin

L’air stimulant des bois, Tessa de Loo, traduit du néerlandais par Hélène Papot

Gros-Cailloux, Richard Hemker, traduit du néerlandais par Françoise Antoine

L’angle mort de la littérature belge? Les politiques contemporaines de traduction
Clara Folie, Ewoud Goethals,Timothy Sirjacobs

L’importance d’une littérature attractive.
Une nouvelle «vague» littéraire flamande en Wallonie?
Elke Brems & Stéphanie Vanasten

Une ville où le beau est toujours bizarre. Grâce à la culture,
Charleroi entre dans une nouvelle ère
Pascal Verbeken

Les actualités des Plats Pays

La vulnérable universalité d’un symbole. Anne Frank,
des années 1940 à nos jours
Marnix Beyen

Je pars en voyage d’affaires et j’emporte … Le positionnement de la Belgique,
de la Flandre et des Pays-Bas à l’étranger
Lieven Desmet

Sarcastique et dérangeant. De Renart à «Reynaert»
Aurélie Barre

Tant de méfaits, Willem, traduit du moyen néerlandais par René Pérennec

Comptes rendus

«La Femme sauvage»
(Jeroen Olyslaegers)
Laurent De Maertelaer

«La Route des Indes»
(Simone van der Vlugt)
Pierre Gelin-Monastier

«Le Fils du coiffeur»
(Gerbrand Bakker)
Dorien Kouijzer

«L’Honorable Collectionneur»
(Lize Spit)
Kerenn Elkaïm

L’ «Algemeen Beschaafd Nederlands», symbole d’une riche culture
«Enfants de l’ ABN»
Miet Ooms

L’important pour nous, aujourd’hui, c’est la proximité
L’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai
a plus de quinze ans d’existence: interview de Loïc Delhuvenne
Karel Cambien

Un contrepoids à la déshumanisation de la société?
La noblesse dans les Plats Pays
Jan Van den Berghe

 


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Le parti de l’étranger. L’Image du «réfugié» dans la littérature néerlandophone d’aujourd’hui

[Traduit du néerlandais par Christian Marcipont.] Le sort du réfugié est devenu un thème de la littérature contemporaine, y compris des lettres de langue néerlandaise. quels sont les auteurs qui, dans les plats pays, ont eu le courage d’aborder le thème du réfugié, montrant chacun à leur manière que la littérature peut apporter une plus-value parce qu’elle sait observer ce sujet sensible sous une multitude d’angles différents? * De nos jours , il est un thème – avec le climat et le terrorisme – qui domine et détermine l’actualité: celui de la migration. C’est surtout depuis les années 1990, qui voient le déclenchement de la guerre civile en ex-Yougoslavie, que la question des « réfugiés » en Europe est devenue un sujet aux nombreuses implications éthiques, politiques et sociales, et que les brasiers en Syrie et au Moyen-Orient ont rendu plus prégnant encore. Il est devenu l’enjeu de campagnes électorales virulentes et est aujourd’hui instrumentalisé comme jamais auparavant par les politiques, et cela sur le dos de groupes de population qui ne se doutent pourtant de rien. C’est aussi une question qui attise la rhétorique belliqueuse des populistes européens. Que cette problématique ne soit pas sans influencer la culture et la littérature contemporaines, c’est là une quasi-évidence. La question s’est toutefois déjà posée à maintes reprises: le réfugié est-il devenu le cache-misère idéal pour l’artiste qui cherche à s’avancer armé de son engagement? Et, mutatis mutandis, cela vaut-il également pour le monde des lettres? S’agit-il d’un passage obligé, d’une thématique « prémâchée »? Toujours est-il qu’à l’heure actuelle les romans et récits dont les protagonistes sont des réfugiés s’accumulent. Nombre d’écrivains traitent dans leurs livres des motivations des migrants et plus particulièrement des réfugiés, des demandeurs d’asile et des sans-papiers. Ils racontent les obstacles à surmonter dans la quête d’une vie meilleure. Chose on ne peut plus logique si l’on considère que ce n’est pas d’hier que les écrivains observent les soubresauts du monde. Le sujet est au cœur de l’actualité et, de surcroît, ces dernières années les catastrophes se sont succédé sans relâche. Cependant, les écrivains ont parfaitement compris qu’il ne leur était pas permis de se jeter tête baissée dans la littérature pamphlétaire. Mieux vaut se tenir à quelque distance des versatilités de l’opinion. On ne peut sortir de son chapeau un « récit de réfugiés », sauf à espérer marquer un point par le biais du journalisme ou de l’essai. Il y a peu, par exemple, Valeria Luiselli a braqué les projecteurs sur les enfants mexicains qui traversent la frontière entre le Mexique et les États-Unis dans son livre de non-fiction Raconte-moi la fin, récit des expériences qu’elle a vécues comme interprète. Mais, récemment aussi, la même Valeria Luiselli leur a consacré un roman, Archives des enfants perdus, où elle raconte les vicissitudes d’une famille à la dérive, dans le contexte de la crise des réfugiés à la frontière du Mexique et des États-Unis. Or, les choses se présentent différemment dans un roman, qui est régi par d’autres règles: « Les récits qui trouvent leur origine dans la réalité nécessitent une plus longue période d’incubation s’ils veulent se transformer en fiction, beaucoup d’eau doit couler sous le pont avant que l’on atteigne la juste mesure », déclarait à ce propos l’auteur néerlandais Tommy Wieringa dans une interview accordée au quotidien flamand De Standaard. Si l’on considère la situation d’un point de vue international, on constate que les ouvrages dont les réfugiés occupent la première place suffiraient à remplir une bibliothèque entière. Dans le genre, Le Grand Quoi de Dave Eggers représente incontestablement un jalon: l’auteur, à travers un roman, raconte l’histoire de Valentino Achak Deng, un enfant réfugié soudanais qui émigre aux États-Unis sous les auspices du Lost Boys of Sudan Program. Citons ensuite le très populaire Khaled Hosseini. Ce dernier a acquis une réputation planétaire grâce à son livre consacré aux atrocités vécues en Afghanistan sous le régime des talibans. En définitive, le protagoniste des Cerfs-volants de Kaboul, après un passage par le Pakistan, finira par débarquer aux États-Unis. Dans le roman qui lui fait suite, Mille soleils splendides, Hosseini évoque également les camps de réfugiés en Afghanistan. « Voilà plusieurs siècles que la littérature prend fait et cause pour l’étranger, l’« autre », le réfugié », observait Margot Dijkgraaf dans le quotidien néerlandais NRC, renvoyant explicitement à l’œuvre du Français Philippe Claudel, qui n’a jamais fait mystère de son indignation quant au sort réservé aux réfugiés. Amer, humain, allégorique, factuel, pamphlétaire ou moralisateur: les angles d’attaque ne manquent pas dès lors que des auteurs se penchent sur le sujet. À quoi il faut ajouter que la question ne divise pas seulement la société, mais les écrivains eux-mêmes. Tommy Wieringa, par exemple, s’est depuis peu rangé à l’idée qu’« une frontière extérieure européenne sûre est nécessaire », ce qui est un point de vue d’adoption récente. Pour ne rien dire ici de Thierry Baudet, chef de file du parti de droite populiste Forum voor Democratie, qui ne répugne pas à se présenter comme écrivain. Parmi les représentants de la littérature d’expression néerlandaise, Kader Abdolah, originaire d’Iran, fut l’un des premiers à coucher par écrit son vécu de réfugié, entre autres dans De adelaars (Les Aigles) et Le Voyage des bouteilles vides XX . Depuis lors, les textes en prose consacrés à l’immigration sont quasiment devenus un genre en soi. Pourtant, des années-lumière séparent Hôtel Problemski XX, Dimitri Verhulst s’immerge dans un centre pour demandeurs d’asile, et l’effrayant L’oiseau est malade XX d’Arnon Grunberg. Souvent, le réfugié offre matière à opter pour des thèmes plus vastes. C’est ce qu’a réussi à faire, par exemple, Joke van Leeuwen avec Hier (Ici), une parabole sur les frontières et sur les contours de la liberté. « Les frontières maintiennent une pensée de type nous / eux, ce qui ne ressortit pas exclusivement au passé. Au contraire, j’ai l’impression que ce type de pensée binaire s’est renforcé ces dernières années », déclare-t-elle à ce sujet. Jeroen Theunissen, de son côté, a introduit subrepticement le thème des réfugiés dans son roman Onschuld (Innoncence) XX , où l’on voit le photographe de guerre Manuel Horst se faire enlever et torturer par des djihadistes dans le guêpier syrien avant, la chance aidant, de parvenir à s’échapper. Il est très peu disert à propos de sa nouvelle liberté, assure qu’il n’a nul besoin d’un soutien posttraumatique et tombe amoureux de Nada, une réfugiée syrienne. Il rentre avec elle en Belgique, où il leur faut batailler pour se construire une nouvelle existence avec le jeune fils de Nada, Basil. Mentionnons également Rosita Steenbeek, auteure de Wie is mijn naaste? (Qui est mon prochain?), un ouvrage engagé non fictionnel s’apparentant au reportage et consacré à l’accueil des réfugiés à Lampedusa, en Sicile et au Liban. Présenter un miroir au lecteur Venons-en à trois œuvres néerlandaises en prose qui traitent du thème des réfugiés d’une manière beaucoup plus directe et qui, pour se baser sur un récit nettement personnel, n’en parviennent pas moins à donner à cette problématique une portée universelle. Elvis Peeters (° 1957) – qui écrit ses romans en collaboration avec son épouse Nicole Van Bael – est un de ces auteurs flamands qui abordent régulièrement ce thème avec maestria, quoique sans menacer quiconque d’un doigt moralisateur. Plus d’une fois on trouve chez lui un penchant…

Entre social-démocratie et marginalité. 100 ans de communisme dans les Plats Pays.

Ni aux Pays-Bas ni en Belgique , le 100e anniversaire de la révolution russe d’Octobre n’a été commémoré par un parti communiste orthodoxe tel que l’Internationale communiste, ou "Komintern", avait pourtant prévu, dès 1919, d’en mettre en place dans tous les pays. Le Communistische Partij van Nederland (CPN) a fusionné en 1989 avec deux autres petits partis pour devenir le parti écologiste GroenLinks. Le Parti communiste de Belgique (PCB) a vécu une longue agonie après sa scission en deux ailes, l’une flamande, l’autre francophone, en 1989. La première fut liquidée sans bruit dans la seconde moitié des années 1990. La seconde mène aujourd’hui une existence marginale et non pertinente. Les années 1989 et 1991 sont bien sûr tout sauf fortuites. En 1989 le mur de Berlin, symbole de la séparation entre l’Ouest capitaliste et le bloc communiste de l’Est, est tombé. En 1991, c’est l’Union soviétique, maison mère et pays pilote du communisme, qui a implosé. Contrairement à ce qui s’est passé en France, en Italie et dans une moindre mesure en Espagne, ni le CPN, ni le PCB ne surent jamais rivaliser avec le grand concurrent social-démocrate, sans parler de le surpasser. Néanmoins la raison d’être des communistes était latente dans le mécontentement suscité par la participation de la social-démocratie au système capitaliste. En Belgique, tout comme en France et ailleurs, le facteur déclenchant fut l’approbation par les socialistes des crédits de guerre en août 1914, suivie par leur participation active à ce qu’ils avaient toujours rejeté comme une querelle intestine impérialiste dans laquelle le prolétariat n’était pour rien. Le communisme néerlandais constitue sur ce point une exception. Non seulement le pays conserva sa neutralité durant la première conflagration mondiale, mais déjà en 1908 des mécontents socialistes s’étaient regroupés autour du journal d’opinion Tribune. Ces «tribunistes» s’insurgeaient contre «l’électoralisme» des socialistes et allaient créer un an plus tard le Sociaal Democratische Partij (SDP), précurseur du Communistische Partij Holland, rebaptisé ultérieurement CPN. Le nombre des adhérents environ cinq cents n’était certes pas impressionnant, mais il en allait tout autrement du renom de plusieurs leaders. Outre son meneur principal David Wijnkoop (1876-1941), le groupuscule communiste avait le soutien d’intellectuels célèbres comme l’astronome Anton Pannekoek (1873-1960), le poète Herman Gorter (18641927) et sa contemporaine HenriëMe Roland Holst (qui toutefois adhérerait plus tardivement). Le PCB fut fondé en 1921 par la fusion imposée par Moscou de deux groupes qui se dédaignaient. L’un des groupes, mené par le peintre War Van Overstraeten, ne jurait que par l’antiparlementarisme et le communisme soviétique, et traitait le second groupe, constitué autour du syndicaliste des employés Joseph Jacquemotte, de «réformiste». En retour, les seconds qualifiaient les premiers de «gauchistes». Depuis sa naissance et tout au long de son histoire, le centre de gravité du communisme belge se situerait en Belgique francophone. Pour conquérir un premier siège parlementaire en 1926, Van Overstraeten dut par exemple se présenter à Liège. Le dernier parlementaire flamand du PCB, le docker anversois Frans Van Den Branden, perdit son siège dès juin 1950. L’ampleur et l’impact des deux partis demeurèrent extrêmement limités jusqu’au milieu des années 1930. Après l’arrivée au pouvoir de Staline, toute dissidence, y compris dans les différents partis communistes, fut cataloguée comme «trotskisme» et énergiquement réprimée. War Van Overstraeten quitta le parti avec un certain nombre de fidèles en 1928, après que les zélateurs de Moscou, lors d’un congrès à Anvers, eurent réussi à enlever la majorité par une manigance. Le développement de ce courant communiste dissident connut un cours chaotique. En Belgique, il resta numériquement limité, mais il comptait un certain nombre d’intellectuels remarquables comme le jeune Abraham Léon (1918-1944) qui devait, ultérieurement, être l’auteur d’un ouvrage de référence universel sur le judaïsme, ainsi que, un peu plus tard, le célèbre économiste Ernest Mandel (1923-1995) XX . Aux Pays-Bas par contre, le Revolutionair Socialistische Arbeiderspartij (RSAP) rencontra davantage de succès. Le mérite en revient à son leader Henk Sneevliet (1883-1942), qui fut élu à la Chambre des députés et dirigea également une centrale syndicale, le Nationaal Arbeidssecretariaat (NAS Secrétariat national du travail). Sous le pseudonyme de Maring, il avait été actif auparavant en Chine et aux Indes néerlandaises en tant que représentant du Komintern. Les partis communistes étaient entre-temps «bolchévisés». Accusations malveillantes et exclusions tombaient dru, ce qui paralysait grandement la vie des partis et éclaircit encore les maigres effectifs. Mais la seconde moitié des années 1930 apporta un revirement, une fois encore venu d’en haut. On abandonna la ligne sectaire «classe contre classe», avec la social-démocratie comme ennemi juré. Grâce à un nouveau paradigme, l’antifascisme, les communistes cherchèrent à se rapprocher des socialistes et même des libéraux-démocrates, dans l’espérance de l’avènement d’un «front populaire». Contrairement au Front populaire en France où la stratégie avait été appliquée pour la première fois avec succès -, cela ne réussit pas dans les Plats Pays. Aussi bien le CPN que le PCB étaient trop petits pour exercer quelque pression que ce soit sur la social-démocratie. Les deux partis fournirent beaucoup de militants aux Brigades internationales quand éclata en 1936 la guerre civile en Espagne. Ces milices de volontaires envoyées et contrôlées par le Komintern attirèrent aussi de célèbres intellectuels. André Malraux prit le parti de la république, tout comme Ernest Hemingway, W.H. Auden ou John Dos Passos. Des Pays-Bas s’engagèrent, entre autres, le cinéaste Joris Ivens (18981989) XX et l’écrivain Jef Last (1898-1972) XX . La guerre civile espagnole et la politique du Front populaire ouvrirent pour la première fois aux communistes flamands et néerlandais la possibilité de construire un réseau avec des compagnons de route, des universitaires et des intellectuels qui suivraient le parti, l’accompagneraient et lui prêteraient main forte, souvent en participant à des organisations satellites ou à de plus larges initiatives imaginées dans les cénacles du parti. De la scission à l’apogée En 1937 les communistes de Flandre se rebaptisèrent Vlaamse Kommunistische Partij (VKP) dans un effort pour s’implanter plus aisément. Sous la direction de Georges Van Den Boom et avec un porte-étendard de la stature de Jef Van Extergem, figure du Mouvement flamand, on battit le tambour du flamingantisme. Le journal du parti s’appela désormais Het Vlaamsche Volk (Le Peuple flamand) et, durant la première période de l’occupation allemande, le parti publia officieusement le journal Uilenspiegel, qui n’évitait pas même les propos antisémites. Vers la même période, la stalinisation atteignit son épanouissement en interne. Les procès de Moscou qui aboutirent à l’exécution des leaders de la révolution ainsi qu’à celle de l’élite de l’Armée rouge comme «saboteurs» et «traîtres», ne provoquèrent pas de dissidences notables. Cerise sur le gâteau, aux Pays-Bas, Paul de Groot, stalinien à tout crin, fut nommé au secrétariat général du CPN en 1938. Cet inconditionnel fantasque et tourmenté allait conduire le parti à la bagueMe durant des décennies. L’apogée de l’existence des deux partis - leur rôle durant la Seconde Guerre mondiale dans la résistance à l’occupant allemand - fut précédé par un choc, quand Hitler et Staline conclurent pendant l’été 1939 un pacte de non-agression. Cet événement décontenança les militants…

Les Créoles portugais d’Afrique : quelques échos d’une Romania subsaharienne

En 1434, le navigateur portugais Gil Eanes double le Cap Bojador (également appelé Boujdour), situé dans l'actuel Sahara occidental et qui, à l'époque, marquait pour les Européens de l'Ouest les limites méridionales du monde connu. Dans les années qui suivent, les marins lusitaniens, cherchant à ouvrir une route maritime vers les Indes, vont progressivement reconnaître les côtes de la partie occidentale de l'Afrique subsaharienne, atteignant finalement le Cap de Bonne Espérance (à l'extrémité Sud du continent) en 1488. Tout au long de ce parcours, les Portugais entrent en contact pour la première fois avec de nombreux peuples et cultures, fondent des comptoirs sur les côtes africaines et développent des relations politiques et commerciales avec maints États locaux, qui leur fournissent notamment ivoire et esclaves en échange de produits manufacturés (tels que perles de verre ou pagnes tissés). Ces échanges commerciaux et ces contacts désormais réguliers entre Portugais et habitants de l'Afrique subsaharienne conduisent à l'apparition d'une série de langues nouvelles, les créoles afro-portugais, qui constituent finalement un prolongement de la Romania en terre africaine. Ces langues créoles se sont probablement formées entre 1450 et 1550, à partir du portugais (dont elles tirent la majeure partie de leur vocabulaire courant) et de diverses langues africaines (généralement qualifiées de 'substrats' et dont l'influence est particulièrement forte au niveau de la grammaire des créoles résultants). Il existe aujourd'hui deux familles de créoles afro-portugais, pratiquées au quotidien par près de trois millions d'êtres humains : – les créoles portugais d'Afrique de l'Ouest (à substrat wolof et mandingue), comprenant le capverdien (plus d'un million de locuteurs, dont 95% au moins des 500.000 habitants de la République du Cap-Vert et environ 500.000 autres personnes issues de la diaspora capverdienne, présente essentiellement en Afrique continentale, en Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis d'Amérique), le créole de Guinée-Bissao (parlé par plus de 90% des 1.500.000 citoyens de ce pays en tant que langue maternelle ou en tant que langue véhiculaire), le créole de Casamance (20.000 locuteurs dans la ville de Ziguinchor (Sud du Sénégal) et dans plusieurs villages des environs de cette ville) et le papiamento (300.000 locuteurs vivant essentiellement dans les trois îles ABC – Aruba-Bonaire-Curaçao – des Antilles Néerlandaises), seul membre de la famille à être parlé hors du continent africain. – les créoles portugais du Golfe de Guinée (à substrat bantou et kwa), parlés dans la République de São Tomé et Principe ainsi qu'en Guinée Équatoriale et comprenant le saint-toméen ou forro (au moins 100.000 locuteurs sur l'île de São Tomé), l'angolar (5.000 locuteurs environ, également sur l'île de São Tomé), le principien (quelques dizaines de locuteurs sur l'île de Principe) et l'annobonais (5.000 locuteurs – diaspora incluse – vivant sur l'île équato-guinéenne d'Annobon ou originaires de cette île). Dans les pages qui suivent, j'ai sélectionné quelques proverbes et devinettes issus des traditions orales de deux de ces créoles (le capverdien et le casamançais) afin de faire découvrir et goûter aux lecteurs de micRomania le charme et les capacités expressives des idiomes de cette Romania subsaharienne encore trop souvent méconnue des amateurs de langues et parlers néolatins. En sus de ces échantillons provenant de la sagesse populaire des populations créolophones concernées, on trouvera également ci-dessous les traductions capverdienne et casamançaise d'un même extrait du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry. 1. Devinettes capverdiennes • Mai mánsu, fidju runhu Littéralement : 'Mère douce, enfant agressif.' 'La mère est douce, l'enfant est agressif.' Réponse : margéta 'le piment'. En capverdien, fidju signifie l'enfant mais aussi le fruit. Or, le fruit de la plante qui produit le piment a un goût particulièrement fort, donc agressif. • Mi li mi la Littéralement : 'Moi ici moi là.' 'Je suis ici et là-bas (à la fois).' Réponse : xintidu 'la pensée'. En effet, la pensée ne connaît pas de limitation spatiale (on peut se transporter en pensée d'un endroit à l'autre sans transition). • N entra na un, N sai na très Littéralement : 'Je entrer dans un, je sortir dans trois.' 'Je suis entré par un et je suis ressorti par trois.' Réponse : kamisa 'le maillot de corps (ou T-shirt)'. Lorsqu'on l'enfile, on rentre le haut du corps par une seule ouverture et on fait ressortir la tête et les manches par trois trous distincts. • Un mudjer da un munti posáda na midju, ka linpu, kel otu da un posáda, midju linpa Littéralement : 'Une femme donner un tas coup-de-pilon dans maïs, ne... pas propre, cette autre donner un coup-de-pilon, maïs nettoyer.' 'Une première femme donna de nombreux coups de pilon sur le maïs, mais celui-ci était toujours sale (= non décortiqué), une seconde femme donna un seul coup de son pilon et le maïs fut nettoyé (= décortiqué XX ).' Réponse : luâ ku stréla, 'la lune et les étoiles'. En effet, les étoiles, malgré leur grand nombre, ne suffisent pas à percer l'obscurité de la nuit, tandis que la clarté de la lune à elle seule éclaire les ténèbres. 2. Proverbes capverdiens • Mai é só un, mudjer é un munti Littéralement : 'Mère être seulement un, femme être un tas.' 'Il y a beaucoup de femmes de par le monde, mais on n'a qu'une seule mère.' • Póbri fla : óki sumóla é txeu, pa bu diskunfia Littéralement : 'Pauvre dire : quand aumône être beaucoup, pour-que tu se-méfier.' 'Le pauvre a dit : quand l'aumône est importante, méfie-toi !', c'est-à-dire :' Il y a anguille sous roche', ou encore : 'Tout ça, ça cache quelque chose.' • Na ka ten tudu ta pása Littéralement : 'Dans ne... pas avoir tout HABITUEL (= HAB) passer.' 'Lorsqu'on n'a rien, tout devient acceptable', c'est-à-dire : 'Faute de grives on mange des merles', ou encore : 'Ça vaut mieux que rien.' • Katxor sumuládu ta mordi rixu Littéralement : 'Chien qui-dissimule HAB mordre dur.' 'Les chiens qui n'ont pas l'air méchant sont ceux qui mordent le plus férocement', c'est-à-dire : 'Il n'est pire eau que l'eau qui dort.' • Suguru móri di bedju Littéralement : 'Sûr mourir de vieux.' 'Celui qui avait pris ses précautions est mort à un âge avancé', c'est-à-dire : 'Prudence est mère de sûreté.' 3. Proverbes casamançais XX • Saboŋ ta labá susudadi ma i ka ta labá parentás Littéralement : 'Savon HAB laver saleté mais il ne... pas HAB laver parenté. 'Le savon vient à bout de la saleté mais il ne peut pas effacer [les liens de] parenté [qui ne peuvent être abolis]'. • Kumá ku pó podé tardá-wo-tardá na yagu ma i ka ta bidá nuŋka lagartu Littéralement : 'Comment que bois pouvoir tarder-ou-tarder dans eau mais il ne... pas HAB devenir jamais crocodile.' 'Quel que soit le temps qu'un bout de bois puisse passer dans l'eau, il ne deviendra jamais un crocodile', c'est-à-dire : 'Pour autant qu'une personne étrangère passe du temps dans un endroit donné, elle ne pourra jamais se confondre totalement avec les habitants du pays.' • Keŋ ki ka ta corantá si fiju, amañaŋ si fiju na corantá-l Littéralement :'Qui[conque] qui ne...pas HAB faire pleurer son enfant, demain son enfant FUTUR faire-pleurer-lui.' 'Celui qui ne fait pas pleurer son enfant, pleurera demain à cause de son enfant.', c'est à dire : 'Il ne faut pas hésiter à être sévère pour éduquer ses enfants, autrement on se repentira plus tard de leur mauvaises manières.', ou encore 'Qui aime bien châtie bien.' • Garandis kumá : kama ku ditá ta sebé s-i teŋ debí Littéralement : 'Anciens [dire]-que : lit que tu ne...pas se-coucher tu ne...pas HAB savoir si il avoir punaises-de-lit.' 'Comme les anciens nous l'ont enseigné, si on n'a pas dormi dans un lit, on ne peut pas savoir s'il y a des punaises.', c'est-à-dire : 'Il faut faire l'effort de connaître…