Riquet à la houppe

RÉSUMÉ

« L’art a une tendance naturelle à privilégier l’extraordinaire. »

À PROPOS DE L'AUTRICE
Amélie Nothomb

Autrice de Riquet à la houppe

Comme on dit communément : faut-il encore présenter Amélie Nothomb ? Romancière plébiscitée par un vaste public qui va du plus jeune âge à ces âges dont Hellens estimaient qu’ils n’étaient grands que de réputation, elle est l’une des plumes de langue française les plus traduites dans le monde. Voilà un quart de siècle qu’elle alimente avec une régularité de métronome une oeuvre dont l’originalité autant que la cohérence sont indéniables. Le plus étrange est qu’elle l’édifie imperturbablement, indifférente aux recettes habituelles, en parfaite  symbiose avec une audience dont la fidélité est à toute épreuve. Il y a plusieurs veines dans la « manière Nothomb » : un fil autobiographique où il est difficile de démêler fiction et réalité ; un fil satirique à la férocité subtilement tempérée ; un fil fantasmatique aussi, qui la situe dans le sillage d’un surréalisme « à la belge » dont elle est l’une des représentantes les plus populaires. On pourrait, évidemment, à son propos,  aligner des chiffres, ceux de ses tirages en langue originale et en traductions, qui sont exorbitants, insister sur sa présence intercontinentale (être née à Kobé la prédestinait bien sûr à un rayonnement sans frontière), admettre qu’elle a parfaitement résolu les défis médiatiques d’aujourd’hui en se créant un personnage aussi aisément reconnaissable qu’un schtroumpf ou un marsupilami. Mais ce serait négliger le noyau dur d’un engagement artistique authentique qui la rend digne de celui auquel elle pourrait succéder, qu’elle a au demeurant connu, qu’elle a d’ailleurs situé dans l’un de ses livres, et avec qui elle partage, sans son expertise bien sûr, une réelle familiarité avec la Chine.
NOS EXPERTS EN PARLENT...
Le Carnet et les Instants

Un nouveau roman d’Amélie Nothomb en ce mois d’août ? D’aucuns haussent déjà les épaules : évidemment, l’auteure n’a pas manqué une rentrée littéraire depuis 1992. Le cru de cette année est une réécriture d’un conte de Perrault ? Rien de bien nouveau non plus : elle nous a déjà fait le coup en 2012 avec Barbe Bleue. C’est sur Riquet à la houppe qu’elle a cette fois jeté son dévolu? Le petit récit précieux semble taillé sur mesure pour la geisha gothique des Lettres belges, lui qui met aux prises les extrêmes de la beauté et de la laideur et célèbre les séductions de la conversation. Alors, circulez, y a rien à voir ?Ce serait faire fi, tout d’abord, de l’événement en…


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Là où ça fait mal

Originaire de Namur et Bruxellois d’adoption, Edgar Kosma (nom de plume de Benoît Dupont) est un auteur multiple qui met notamment en lumière – et le plus souvent par l’absurde – les servitudes, les travers ou les drôleries de la vie au quotidien.  À ce romancier, cofondateur des éditions Onlit, mais aussi scénariste de BD, on doit la série des Le Belge où il professe entre autres spéculations  éclairantes  (dans   Le Belge parle aux Français ) que   Le Belge est grosso modo comme un Français. Mais en plus belge . Voilà qui est dit. Dans son dernier roman Là où ça fait mal , Kosma, inspiré par deux faits-divers sanguinolents et par le sparadrap au bout du doigt d’un(e) proche, mêle l’onirisme et l’absurde à mi-chemin entre Kafka et Topor avec une louchette du Vian de L’écume des jours . Le narrateur est employé dans une grande boîte avec tout ce que cela comporte : la routine débilitante, la machine à café, le chef aux humeurs de dogue, le collègue casse-pied, voisin de bureau auquel il est enchaîné comme le sont deux galériens au banc de nage. C’est dans ce contexte de vie exaltant que s’inscrivent des rêves pour le moins étranges, initiés par les propos intrusifs du collègue en question (sorte de catalyseur ou de détonateur antipathique des fantasmes et obsessions du narrateur) ou par des rencontres fortuites (le plus souvent avec des femmes énigmatiques) et qui se concluent sur une réalité plus étrange encore. En effet, à chaque fois le déroulement des tribulations rêvées met en scène un des doigts du rêveur dont il en vient à constater la disparition lorsqu’il se réveille auprès d’une énigmatique Marie-Claire endormie à ses côtés et dont on apprendra qu’il est divorcé depuis cinq ans…Pour commencer, c’est un annulaire qu’il perd  alors qu’il tentait d’en retirer une bague de mariage, inexistante pour lui, mais bien présente pour son collègue. Le constat au réveil est troublant : « Point de sang ni de cicatrice. Juste un trou béant au milieu de ma main moite ». Même jeu avec huit autres doigts disparus lors d’une visite à l’éléphant du zoo, d’un débouchage de bouteille, d’un coinçage dans la porte des toilettes… et de quelques autres épisodes oniriques improbables,  parfois dangereusement affectés par la mécanique infirmante des inclusions érotiques et toujours conclu sur le même constat de carence et sur la même antienne répétée comme un refrain de ballade. Détail navrant : au dixième et dernier épisode de cette hécatombe digitale, ce n’est pas le dernier doigt qui passe à la trappe, mais bien le pénis du narrateur au terme d’une  soirée très chaude partagée avec une inconnue et dont il a a oublié l’issue.Le lecteur comptant sur ses propres doigts s’avisera qu’il en reste tout de même un à cet infirme chimérique. En fait, un auriculaire utile sans doute pour se gratter la tête et tenter de saisir les intentions profondes de l’auteur. Mais est-ce bien nécessaire ? C’est toute la richesse de l’absurde créatif que d’ouvrir quantité de portes dans l’édifice des possibles et de nous offrir ainsi le loisir d’ajuster nos propres fantasmes aux élucubrations qu’on nous propose. Jusqu’à intervertir, par exemple, le rêve et la réalité et, d’une certaine façon, lire le livre à l’envers. Et considérer les amputations comme l’exaltation onirique des menus faits réels de la vie quotidienne et des angoisses qu’ils peuvent susciter. Ou s’agit-il de fantasmer dans cette « métamorphose » par défaut, les frustrations d’une vie sans relief, incarnée par le voisinage et la tyrannie ordinaire du collègue aux mains moites ? Évoque-t-on plus simplement l’érosion que l’existence impose aux sentiments, à l’amour, au corps… ? Ou peut-on voir la clé de voûte de cette « dé-construction » dans la présence récurrente mais aussi discrète que l’absence ou la disparition d’une belle endormie nommée Marie-Claire ?Rien de tout cela, nous dira peut-être l’auteur. Tant pis : au moins aura-t-on pu se divertir de son humour de situation et profiter de ce précieux parcours de santé sur les pistes subversives et toujours enrichissantes d’un imaginaire en liberté. Ghislain…