Une histoire littéraire buissonnière. Ainsi pourrait-on qualifier le parcours original auquel nous convie cet ouvrage, qui propose une lecture insolente et insolite de cinquante années de littérature – de 1900 à 1950 – par le prisme des objets.
Objets de tous les jours comme le tabac, le vélo ou le mouchoir, objets d’écrivains comme la machine à écrire, la revue ou la carte de visite, objets de la modernité technique comme le microphone, la radio ou la télévision, etc. : tous ont quelque chose à nous dire de l’imaginaire littéraire et de la condition des écrivains de cette époque. Mais cette histoire littéraire tangible permet aussi de retracer cinquante ans de bouleversements techniques, artistiques et sociaux dont les écrivains ont été des témoins privilégiés.
Richement illustré par des documents d’époque, ce livre prolonge et réinvente l’héritage du Projet d’histoire littéraire d’Aragon, des Mythologies de Roland Barthes, mais aussi des Je me souviens de Georges Perec.
Alexandre Vialatte se plaisait à utiliser le terme de « chosier » pour désigner ce rassemblement d’objets hétéroclites que leur aspect biscornu, leur utilité surannée, leur parfaite inactualité vouent à être expulsés de l’usage courant pour aussitôt entrer dans l’éternité de la poésie. Nadja Cohen et Anne Reverseau ont compris qu’il en allait des choses comme des mots, et qu’un musée n’était pas de trop pour rendre hommage à ces éléments de mobilier, attributs vestimentaires, moyens de locomotion et autres gadgets qui révolutionnèrent la « vie moderne » de jadis, plus particulièrement entre 1900 et 1950.Mais se contenter d’agrémenter quelques photos de notices…
Des lucioles et des ruines : Quatre récits pour un éveil écologique
Athane ADRAHANE , Des lucioles et des ruines. Quatre récits pour un éveil écologique , Le Pommier, 2024, 336 p., 22 € / ePub : 14,99 € , ISBN : 9782746526891Il est des livres qui bondissent comme des chiens-loups, qui prennent à bras le corps la question de nos rapports au vivant et lancent un chant en faveur de nouveaux dialogues avec le monde, les humains, la faune, les arbres, les océans. Philosophe, artiste pluridisciplinaire, écrivaine, photographe, chanteuse, Athane Adrahane ouvre un chantier de réflexions, de pratiques éthopoétiques qui, s’appuyant sur les puissances du récit, délivre des cailloux de Petite Poucette afin de ne pas se résigner au monde des ruines qui compose notre présent. Les alliés qu’Athane Adrahane choisit afin de retisser des liens harmonieux avec les formes du vivant, afin d’habiter autrement la Terre, de retisser le monde compose comme un portrait en creux (au-delà du « Je » personnel) de l’autrice. Les quatre voix littéraires élues forment une boussole de textes-actions afin de nous orienter dans un monde qui sombre. Il s’agit de Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier, de L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono, de Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… de Christiane Flescherinow et du Petit Prince de Saint-Exupéry. Ces quatre éco-récits hétérogènes se livrent comme des intercesseurs nous éveillant aux manières de nous déprendre de la pensée dualiste opposant l’humain au monde, d’en finir avec la hiérarchie au sommet de laquelle trône l’homos sapiens. Ce qu’ils nous révèlent, chacun avec leurs harmoniques, c’est notre appartenance au monde. La disparition des mondes du rhinocéros blanc, des bonobos, des forêts, des êtres sacrifiés par le néolibéralisme signera immanquablement celle des humains. Désastres écologiques, désastres relationnels, désastres économiques. Ces effondrements et saccages hantent nos actualités (…) Il arrive aussi qu’au sein de ce que l’on pense totalement sec et éteint survivent des graines de possible, des braises de rêve, des sources en dormance. Dans le désert, il y a de la vie et des oasis. Armée d’une lucidité sans faille, Athane Adrahane sait que les actions militantes, les combats écologiques n’endigueront pas les mégadestructions en cours, ne feront pas revenir les milliards d’animaux disparus, d’arbres partis en fumée. Ranimant la question spinoziste « que peut un corps ? », elle interroge ce que peuvent les corps des récits (humains mais aussi non-humains), le corps de la Terre blessée, aux abois. Si, creusant une pensée engagée qui excède la pensée du soin, du « care », si, face à l’urgence à agir, elle mesure la fragilité, la puissance impuissante des dispositifs narratifs, elle en explore la capacité à réinventer le dialogue, tissé d’affects et d’une pensée sensible, avec la planète. À la Terre vue comme une esclave, une manne de ressources, un objet à exploiter jusqu’à ce que mort s’ensuive, Tournier, Giono, Christiane F., Saint-Exupéry mais aussi Isabelle Stengers, Vinciane Despret, Starhawk, UrsulaK. Le Guin, Gilles Deleuze, Félix Guattari, David Abram, Baptiste Morizot, Aldo Leopold, Davi Kopenawa, les peuples autochtones… opposent la perception de la Terre comme sujet, comme « personne à honorer ». À toutes celles et tous ceux qui écrivent les dernières mesures du requiem du vivant, qui se pensent encore maîtres et possesseurs de la nature, Athane Adrahane lance un contre-chant de vie — des vies souvent minuscules —, de victoires sur la bétonisation des sols et des esprits. Les appels à un archipel d’actions locales, à des réinventions de lien avec le cosmos, les questionnements sur les manières harmonieuses, respectueuses d’habiter la Terre n’engagent rien moins qu’une remise en question de la propriété privée. Chacun des chapitres des Lucioles et des ruines. Quatre récits pour un éveil écologique se présente comme un massif de graines qui fécondent des alliances, qui « repeuplent le paysage » (Isabelle Stengers). Cesser de penser à échelle d’homme, « penser ‘comme une montagne’ exige de se décentrer, de ‘prendre en conte’ non seulement le point de vue humain, mais aussi la diversité des points de vie qui façonnent un biotope et qui, de par leur interaction, en assurent (ou non) la grande santé. ». Il n’y pas d’égalité entre forces de destruction et forces de créations, entre ruines et lucioles. Même au cœur de la dévastation actuelle, de la destruction sans retour de l’environnement, des écosystèmes, il y aura toujours des lucioles, des agencements improbables, têtus, qui surgiront des ruines. L’art du combat poético-politique, l’éthique de la terre, Athane Adrahane les met en œuvre non seulement dans ses recherches, ses textes, mais aussi dans ses engagements avec d’autres collectifs humains ou non-humains. Écrit par une sœur du Petit Prince, cet essai fulgure comme une luciole. Ou plutôt comme un essaim de lucioles qui, souvent, déjouent les mégaprojets écocidaires et réensauvagent les corps et les consciences. Véronique Bergen Depuis des siècles, nous nous orientons avec la boussole de l’exception humaine, qui émousse notre rapport au vivant, notre sensibilité. Quand ce n’est pas l’ampleur sidérante des enjeux écologiques qui nous anesthésie. Athane Adrahane nous engage ici, par l’art du récit, à raviver notre dialogue intime avec le monde. Entrelaçant les voix de grands intercesseurs (Giono, Tournier, Saint-Exupéry, Christiane F.), elle dessille notre regard sur sa beauté, comme sur notre pouvoir de le ravager – soulignant ainsi quel rôle essentiel la littérature peut jouer aujourd’hui. Car au sein d’un monde en ruines où tant de voix disparaissent, il est encore des foyers de lumière et de vitalité, quelques précieuses lucioles, à préserver, et d’autres histoires que celle…