Le paysage, cette permanence, m’accompagne depuis mes premiers dessins, en 1981. Dessiner un paysage à Terpillos, c’était pendant le séjour au village, quand je rendais visite à ma famille pour les vacances d’été.
La pratique du dessin du paysage survient et s’impose en moi périodiquement, sans aucun a priori, ni but précis, toujours renouvelée à des moments et dans des contextes variés. Avec le temps, cette pratique a pris une forme particulière pendant chaque séjour en Grèce, comme une activité d’été, une sorte « d’activité saisonnière », irrégulière, une pratique arythmique. Oui, une arythmie du temps, provoquée, déterminée, aussi, par chaleur du soleil, la lumière, l’ombre d’un arbre, la sieste. Faire quelque chose pour remplir le vide qui s’installe doucement, faire face à l’ennui qui commence à se manifester, faire quelque chose et se mettre à l’abri du réel pour résister au « rythme parfait » du temps.
Le paysage est, en grec, un topio et un topos, un lieu. Ainsi cette présence, cette permanence, ne sont pas seulement celles des paysages, mais aussi celles des lieux, connus, vécus pendant de nombreuses années et à des moments différents. Une unité géographique présentant des caractéristiques physiques et sensibles communes. Une « topo-graphie » sensible, physique.
Auteur de Paysages : L'arythmie du temps
Eugène SAVITZKAYA et Babis KANDILAPTIS, Paysages. L’arythmie du temps, Yellow Now, coll. « Côté Arts », 2024, 128 p., 25 €, ISBN : 978-2-873405076Il y a une vingtaine d’années déjà, l’auteur d’On n’y voit rien, l’écrivain et historien de l’art Daniel Arasse (1944-2003) notait avec un fatalisme désabusé que la plupart des petites chapelles italiennes qu’il affectionnait avaient été restaurées. Autrefois, disait-il, on pouvait y passer des heures à regarder les motifs, les personnages, les détails, les couleurs passées, et les inscrire dans un temps lentement écoulé. Depuis les restaurations, l’entrée était monnayée et réglementée, le temps de visite réduit à un quart d’heure. Le visiteur voyait peut-être…
« Chaque couche d’impression reflète une variation dans la texture, la couleur ou la profondeur, évoquant les modulations d’un son à travers le temps et l’espace. Cette approche crée une analogie visuelle et sensible entre l’invisible du son et sa transcription graphique tangible. Ainsi, je transforme les sons, habituellement perçus comme immatériels et fugaces, en éléments concrets et perceptibles, traduisant l’évolution et les nuances d’un paysage sonore par un travail d’impression et de gravure. » Telle est la démarche adoptée par Éléonore Scardoni pour ses Fragments d’écoute offerts aux regards . Réalisées entre 2022 et 2024, les œuvres transcodent des perceptions auditives recueillies dans des jardins (celui d’Etterbeek, des éditions CotCotCot, de Camille Lemonnier), des parcs (de Forest, Léopold, Duden), du vallon du Meylemeersch, du marais Wiels, de l’avenue Wielemans Ceuppens et de la fenêtre de sa chambre. Ces lieux bruxellois en légère périphérie (Forest, Anderlecht, Uccle, Saint-Gilles, Etterbeek, Ixelles) recèlent une précieuse biodiversité, inspirante. Pluie qui tambourine, perruches veuves qui s’agitent, tourterelles turques et pigeons bisets qui dialoguent, mésange charbonnière qui salue le matin, grimpereaux des jardins qui cherchent leur nourriture, chardonnerets élégants qui s’enorgueillissent de leur beauté, ouettes d’Égypte qui se prélassent sur l’eau, corneilles qui battent le rythme des travaux du voisin, multitude d’oiseaux qui tiennent conférence, train qui passe. Autant d’atmosphères acoustiques d’écosystèmes urbains que Scardoni a sensiblement, consciencieusement, recensées dans des linogravures ondulantes et colorées, et deux dessins à la mine.Verlaine, dans son Art poétique , annonçait en incipit : « De la musique avant toute chose. » Carl Norac , incorporant cette affirmation, a pénétré les sonogrammes de Scardoni pour les accompagner de ses explorations poétiques. Sa composition suit une partition en moments : un début, sept entrées en musique, un milieu, sept entrées en paysage, une fin. Le mouvement s’esquisse linéairement dans sa progression (croissante puis décroissante), mais se dissout dans sa concrétisation : les temps marqués se distendent dans un non-espace-temps et apparaissent comme des touches couleur textuelle parfaisant les illustrations à l’honneur. Dans les notes de Norac, il est question, entre autres, de cellules, de vagues, de chemins, de nuages, d’élytres, de coton, de fleurs, de voiles, d’instruments, de danse, de cailloux, de lunes, de nénuphars, de flaques. De silence. D’horizons. Ce qui unit les deux artistes ici, c’est une manière d’être au monde. « Entrer dans », en conscience et humilité, en sensitivité et réceptivité ; s’affranchir des cadres attendus ; (s’) interroger, (se) rencontrer, (s’)absorber, (se) proposer. Avant toute chose . Samia Hammami Plus d’information a poésie, la gravure, deux pratiques artistiques se retrouvent dans ce carnet et creusent un sillon ensemble pour rejoindre la musique. Celle de L'Art poétique de Verlaine, celle des marais et des parcs, celle des oiseaux qui les habitent. Une exploration fascinante qui propose d’aborder l’existence par les sons et par les paysages qu’ils évoquent, en…