Le paysage défile dans la nuit sombre, l’auto-radio chante Blackbird. Dans le taxi, Fany roule vers le camping du Ruisseau. Un endroit hors du temps où se réfugier pour soigner ses blessures et tenter de chasser ses oiseaux noirs.
Auteur de Paysage après la bataille
Illustrateur de Paysage après la bataille
Marqué par les nouveaux courants espagnol ou italien qui émergent dans le milieu des années quatre-vingt, mais aussi par Alberto Breccia, Éric Lambé publie son premier album chez Amok (l’une des deux futures branches du Frémok) à partir de travaux réalisés pour différentes revues européennes (Oro clinico, Boxer…), preuve de son attachement à une autre bande dessinée. Il a travaillé pour Casterman, Futuropolis ou en co-édition avec le Seuil, tout en restant fidèle à FRMK où il publiera bientôt un récit entièrement dessiné au bic, Le Fils du roi. (T.B.)
En s’ouvrant sur un paysage après la bataille, scène reconstituée d’un combat historique exposée dans un musée régional, le récit, d’emblée, donne le ton. La scène est figée, le temps s’est arrêté après un moment d’extrême violence. Il en est de même pour la vie de Fany, le personnage central de cet album, dont on comprend vite qu’un douloureux événement, que l’on découvre au fil de quatre-cent-trente-deux pages de ce roman graphique, a dévié sa vie de sa trajectoire. Depuis, elle semble assister à son existence en spectatrice muette.Fany se réfugie dans un camping-caravaning, loin du monde, loin de sa vie d’avant. Elle tente de s’y reconstruire à l’écart de tout, nouant un semblant de vie sociale avec les rares habitants…
Éric Derkenne a fait du visage le théâtre de ses précises opérations.Jour après jour cerné de lignes ombrageuses, le siège du combat se disloque en de sombres cavités. Les yeux, les oreilles, les narines, la bouche sont autant de gouffres que l'artiste sonde inlassablement et qui emportent celui qui les scrute dans des tourbillons vertigineux. Les têtes prennent corps et dans ce bataillon de figures totémiques, chaque soldat se distingue grâce à une infinité de détails graphiques.Parti d'un bigbang de formes colorées et isolées dans l'espace, Éric Derkenne a mis en place au fil des ans une méthode précise et immuable, un réseau de circonvolutions de cercles et de serpentins qui envahit la feuille blanche, donnant naissance à d'énigmatiques portraits. Tel une « dentellière du stylo à bille », il s'est abîmé avec application dans ce lent ouvrage de tissage, d'entrelacement de lignes, ceignant sa propre image, par maints assauts répétés. À l'identité qui défaille, Éric Derkenne a répondu…