La campagne flamande, début du XXe siècle. Cinq familles aux destins entrelacés cherchent à s’affranchir des traditions et des erreurs du passé. Dans les paysages balayés par le vent, deux jeunes gens se rencontrent. Mais les réminiscences des péchés d’autrefois autant que les superstitions opposent les deux familles et empêchent les épousailles. Les haines sont-elles héréditaires ? Faudra-t-il toujours que les morts pèsent sur les vivants ?
Autrice de Paix sur les champs
« Il a réglé la course, est sorti en sifflotant et, sans se retourner, il a soulevé son chapeau en guise d’adieu », telle est la dernière image qu’a laissée Soren. Nous sommes à Bordeaux, en novembre 2017, et ce musicien et producteur âgé de cinquante-huit ans a demandé au chauffeur de taxi de le déposer à l’entrée du Pont de pierre. Après, plus rien… plus de Soren. Qu’est-il advenu ? Le roman de Francis Dannemark et Véronique Biefnot s’ouvre sur cette disparition et met en récit plusieurs voix. Elles ont toutes connu Soren, de près ou de loin. Chacune d’elles plonge dans ses souvenirs, exhume des moments passés en sa compagnie, des instants de sa vie et, dans une polyphonie où les sonorités tantôt se répondent tantôt dissonent, elles livrent au lecteur une reconfiguration de ce mystérieux Soren, tentant de lui éclairer le mobile de son départ. Chacune y va de sa modulation. « On dira Soren ceci, Soren cela.. on dit tant de choses, mais au fond, qu’est-ce qu’on sait ? » Lire aussi : un extrait de Soren disparu La construction du roman joue sur un décalage entre temps de narration et temps de récit. Tandis que cette volatilisation du personnage principal orchestre les interventions des différents narrateurs – celui-là l’a appris par téléphone, l’autre en écoutant la radio, celui-ci l’annonce à son père, un autre encore y songe à partir d’une photo de chanteuse dans un magazine etc. –, les récits font appel à une mémoire narrative qui reconstruit, rend présente une antériorité qui parcourt la vie du disparu, de son enfance à cette nuit sur le pont. « Un souvenir entraîne l’autre. Quand on commence, on n’en finirait plus… »Cette temporalité se déploie dans une spatialité qui accroît le côté mémoriel des interventions. Le lecteur arpente un Bruxelles d’autrefois ; de l’auditoires de l’ULB au Monty, le piano-bar-cinéma d’Ixelles, près de Fernand Cocq, de la chaussée de Ninove au Mirano Continental, la capitale se fait le lieu de ce festival narratif. [L]es soirs où je glandais, on traînait ici ou là, au Styx, on attendait une heure du mat’, avant ça, rien de bien ne se passait nulle part. À pied la plupart du temps, on allait jusqu’à la Bourse, au Falstaff, à l’Archiduc…, on se faisait parfois refouler à l’entrée quand on était trop murgés ou trop nombreux, ou qu’un truc nous avait énervés, un film ou un bouquin, et que la discussion déraillait. On buvait du maitrank ou des half en half, ou rien, ça dépendait de qui payait la tournée, ensuite, on montait le nord, sous le viaduc, vers l’Ex, ou alors à la rue du Sel parfois. Cent-douze récits rythment ce roman choral où la musique est omniprésente . Fitzgerald, Les Stranglers, Wire, Chet Baker, Branduardi, Kevin Ayers, Neil Young, … La compilation forme une constellation où luisent les traits saillants qui permettent d’appréhender, par fragments, le disparu, de retracer son parcours, avec, en fond, ces musiques qui résonnent et accompagnent la lecture.Le duo Biefnot-Dannemark, déjà connu pour La route des coquelicots (2015), Au tour de l’amour (2015), Kyrielle Blues (2016) et Place des ombres, après la brume (2017), offre un nouveau quatre mains avec Soren disparu . Un roman kaléidoscope où se font échos les témoins de la vie de Soren ; lesquels, dans l’exploration du pourquoi et du comment d’une perte, mettent en lumière le temps qui passe, la complexité de l’existence et sa fugacité.Une nuit, traversant un pont, Soren disparaît. Tour à tour producteur, musicien, organisateur de festivals, cet homme multiple n'a eu de cesse d'arpenter le monde de la musique. Pour percer le mystère de sa disparition, une centaine de témoins…
Julien Noel
05 mars 2020
J’ai été un rien déçu par ce roman du terroir, dans lequel je n’ai pas trouvé l’élan poétique qui me plait tant chez Gevers. Il met en scène un drame interfamilial dans le décor de la Campine (qui s’y prête bien : pensons à La Maison du canal de Simenon). Louis Vanasche veut épouser Lodia Deryck, or il ignore que son père Stanne tua jadis la sœur de celle-ci, également appelée Lodia et sur le modèle de laquelle la Mère Deryck, folle de chagrin, tente à tout prix de modeler sa fille cadette, en guise de palliatif. Stanne fut poussé à ce crime par atavisme : sa propre mère était une mauvaise sorcière qui, à sa mort et contre son gré, lui a transmis ses pouvoirs, comme une malédiction. Sa fiancée Lodia voulut pour cela le quitter ; il répondit par une pulsion meurtrière proprement démoniaque.
À présent, l’amour de leurs enfants force le Père Vanasche et la Mère Deryck à faire face à un passé qu’ils ont longtemps fui. En sus, le guérisseur Aloysius les a convoqués au chevet de son lit de mort pour les prévenir : à moins qu’ils ne trouvent la force de se demander et de s’offrir le pardon, tous deux seront damnés. Une telle chose ne peut se faire en un jour or, plus le temps passe, plus Stanne se sent acculé par sa malédiction, sujet à des souffrances surnaturelles tant physiques que psychiques. Craignant de trépasser, il urge Johanna Deryck de le pardonner. Pendant ce temps, Louis Vanasche est également tenaillé par sa conscience car il a fait un enfant à une seconde jeune fille, qu’il refuse d’épouser. Les déboires de celle-ci et le soutien qu’elle trouve auprès de parents éloignés constituent une intrigue secondaire du roman.
Ce livre est une réussite, eu égard à la psychologie qui le sous-tend, qu’elle soit individuelle ou collective (puisque, chez cette autrice, même les paysages ont une psychologie). Malheureusement, il manque un peu de rythme et je n’y ai pas trouvé la chaleur qui me fait tant aimer les récits autobiographiques de Gevers.