Deux plumes pour un recueil qui, de page en page, renouvelle le seuil des éveils à la croisée des mots mis en images sur les pas du silence, à l’écho de deux âmes
La connivence entre Martine Rouhart et Patrick Devaux, se concrétise pour la première fois par un recueil en commun, où les poèmes et les voix se répondent. Ces textes sont le fruit poétique d’une correspondance quotidienne, dont les oiseaux seraient les intercesseurs, les messagers. Le livre est d’ailleurs traversé par une multitude d’oiseaux, et par le chant joyeux du partage.
Auteur de Mouvances de plumes
Illustrateur de Mouvances de plumes
Auteur de Mouvances de plumes
Illustrateur de Mouvances de plumes
Dans l’ « avant-lire » qui ouvre le recueil paru aux éditions Le Coudrier, Anne-Marielle Wilwerth cite opportunément Chateaubriand : Les poètes sont des oiseaux : tout bruit les fait chanter. Les (trop rares) illustrations de Catherine Berael nous donnent à voir de ces oiseaux quelques crayonnés, de rouge et de noir, composés dans ces attitudes qui sont familières et que certains poèmes évoquent.Patrick Devaux et Martine Rouhart déposent dans ce volume allègre et heureux, feuille à feuille, des poèmes composés à quatre mains. Quatre mains enlacées, complices, solidaires de l’émotion poétiques : elles ne sont pas identifiées. Au lecteur de tenter le jeu d’attribuer à l’une ou à l’autre telle ou telle fulgurance, telle ou telle…
Marcher loin des écrans fait de nous des oiseaux
Poète voyageur « aux semelles de vent », arpenteur de la poésie du cosmos, grand errant du verbe sauvage, Timotéo Sergoï n’a jamais pactisé avec les écrivains institutionnels, cotés en bourse, avec les assis et les fondés de pouvoir du poétique. Dans son dernier recueil poétique Marcher loin des écrans fait de nous des oiseaux , il délivre un protocole d’action poétique qui prend la forme d’un texte s’étirant sur 801 kilomètres. L’exergue condense la visée du voyage géographique, esthétique et politique : « 801 km de poésie / pour un marchand de yaourt / qui a voulu changer le monde ». Rupture avec le joug des routines, opération de guérilla, plastiquage des formes d’oppression du néolibéralisme et du dire-penser qu’il impose… marchant durant deux mois et demi, de Namur à Brive-la-Gaillarde où vivent ses petits-enfants, Timotéo Sergoï a épousé le cycle circadien, longé la Meuse, dormi à la belle étoile, chez l’habitant, déposé sur huit cents kilomètres des textes qu’il a collés sur les murs, les fenêtres, sur des arrosoirs, des containers ou des panneaux routiers. Le recueil comporte les photos des bancs, des plaques d’égout, des portes, des poteaux, des pneus, des bulles de verre, d’un Christ en croix sur lesquels le poète errant a gravé ses pensées, des éphémérides de l’insurrection, de la désobéissance qui font songer à la poésie action, à la poésie-éveil de Serge Pey, à ses bâtons, avec une touche de puissance vaudou à l’écoute des mondes invisibles. L’ode à la Terre, à sa beauté est d’autant plus vibrante qu’elle s’élève sur une Terre saccagée par l’Anthropocène. La Terre est morte, mes cieux,Blessée par la lame du tracteur,Soignée à l’eau de Javel,Nourrie d’insecticides,D’alcools et de mégots, Piquée d’ondes lascives. Charleville, Reims, Troyes, Nevers, Peyrat-le-Château, Tarnac, Tulle, Aurillac… autant de stations, de traversées de villages, de bois, de prairies, autant de poèmes libertaires gravés, saupoudrés, semés, autant de rencontres avec l’ombre de Rimbaud, avec Raoul Vaneigem, avec Miss Univers, avec le langage des étoiles, des champs, du « grand bal des montagnes bleues », histoire de dénouer les lacets de la rage de se heurter à un monde pollué, à une nature saccagée, histoire de haler des mots sauvages le long des fleuves, le long d’un monde qui s’effondre. Le monde s’écroule, le monde se noie et nous tentons de sauver le peu que nous possédons. Une rame. Une bouée de caoutchouc. Une botte. C’est vain (…) J’écris sur le poteau : « Je veux quitter le sang des capitales ». Il y a aussi la présence en filigrane d’Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone qui a été évincé, la complicité entre le langage des arbres, des oiseaux, des lézards, de l’eau et le langage du poète, le choix de la désertion loin d’un monde « carnassier », la souche d’arbre qui accueille un texte signé Timotéo après 252 kilomètres de marche. Tout le monde se lève pour la Terre,Pour l’eau, les zèbres, les mainates,Les coquelicots et les lombrics,Les neiges mortes et les phosphates.Nos vies ont goût de guérillas.Pas d’actions chez les actionnaires. Leur chaises sont en plein soleilEt le Soleil a goût se rouille Le soulèvement de la Terre passe par celui de mots qui, ôtant la rouille des corps, des consciences, des désirs, nous reconnectent avec les formes du vivant, avec l’énergie d’un langage traversé par la vie. Timotéo Sergoï expérimente un nouvel écosystème poétique, au plus loin de vocables sous contrôle, ogémisés. Véronique Bergen Plus d’information Timotéo Sergoï a marché trois mois durant, dormi dehors souvent, croisé des sourires et des colères, pris des nouvelles des voisins. Nous sommes tous voisins ici, puisque venus à pied dans ce café, cette forêt ou ce marché. Pourquoi a-t-il marché ces 801 km ? Pour porter un cadeau d’anniversaire à ses petits-enfants. « Car il s’agit avant tout d’habiter poétiquement le monde » disait Hölderlin, chaque jour, les marqueurs sont sortis pour écrire sur les murs, les plaques d’égout ou les fenêtres. Mot d’amour ou réflexion sur le monde d’aujourd’hui, sur cette insupportable pression des porte-monnaies, sur nos poches sous les yeux. La marche finit en danse pourvu…
Mon corps est une armoire. Je vis dedans. Quand elles viennent, je voudrais me cacher ailleurs. Je pourrais m’enfuir et elles ne verraient rien, je serais toujours là. Juxtaposées dans leur écrin blanc et noir, les phrases de Françoise Lison-Leroy ricochent sur les estampes de Pascaline Wollast , également magnétiques et sibyllines, à mi-chemin entre l’énigme et l’évidence. Ce bref récit poétique contient deux parties : « On a changé de pays » et « L’autre nuit » – deux parties qui se présentent comme les rives d’un fleuve, entre lesquelles serpente une histoire millénaire et pourtant toujours neuve. On a changé de pays introduit l’idée d’un mouvement, peut-être une fuite, un départ en tout cas qui bute d’emblée sur les murs d’une étrange maison, dont on ne sait s’il s’agit d’une prison ou d’un centre de soin – voire, de tout autre chose. Mais s’agit-il seulement d’échapper à quelque chose ou quelqu’un ? Peut-être est-il plutôt question de se soustraire aux regards, pour mieux retrouver ses souvenirs et les parfums tactiles du premier nid (ou premier lit) à l’approche du dernier. J’apprends par cœur une langue étrangère et quand je la connaîtrai, je pourrai sortir. Il ne faut pas se lancer dans le vide. Les deux autres, qui dorment à côté, ne parlent pas. Écoute ce silence. Le premier sous-titre est aussi la première phrase de l’ouvrage, il enclenche le principe de répétition qui ponctue le récit : succession de litanies obsédantes qui participent à piéger l’attention des lecteurs dans la toile tissée par l’autrice. On rencontre alors des hypothèses qui deviennent le réel, « on part quand on veut mais il faut remplir le formulaire », des injonctions incongrues, « je dois leur rapporter le livre de géométrie », une histoire comme un jeu de plateau à échelle humaine dont le cours n’est pas tant déterminé par les volontés que par les coups de dés. Un très grand jeu dont il faut respecter les règles bizarres, les rites insaisissables et les hasards ; un jeu d’enfant, peut-être : celui qui engage le faire-semblant , le faire-comme si , les on-dit-que . Elles vont revenir. Cache-toi car elles vont revenir et me mettre dehors. Mes parents seront fâchés, il faut les appeler. Prends mon téléphone. On va dire qu’on ne comprend pas leur langue. On va dire que je n’ai rien fait. Mais cache-toi. Les autres sont déjà en route. Il ne pleut plus. On va pouvoir parler. « On », « elles », « tu », « mes parents », « les autres » : autant d’entités plus ou moins définies qui accompagnent le « je » de la première partie et circonscrivent un territoire familier, où tout départ se trouve différé par un quotidien discipliné, l’échappée enrayée par une suite d’actions méthodiques. Pour autant, la fuite n’en est pas moins véritable : elle migre dans l’espace mental, se déploie à travers l’imaginaire et le souvenir qui ouvrent la deuxième partie. Le ou la narratrice s’adresse alors à un « tu » qui se présente comme un oiseau : fragile mais déterminé, coutumier des territoires sans frontière. Le moineau que tu fus, sauvage et siffleur, se savait intouchable. Il épousait le mouvement d’une haie, évoluait comme elle entre ciel et terre. Ainsi étendait-il son domaine, cherchant des yeux les premiers remparts. Il les éloignait d’un pas, comme on chasse un horizon maudit. Nid peut se lire comme une boucle infinie reliant l’enfance à la vieillesse, réinventant leurs prisons respectives et mêlant les expériences jusqu’à ce que les deux états se fondent l’un à l’autre, créant un ou une narratrice sans âge, de la même manière que les figures tracées par Pascaline Wollast fusionnent jusqu’à partager leurs contours. C’est un espace-temps cyclique qu’écrit Françoise Lison-Leroy, où l’on mesure les murs pour mesurer le temps, voyageant à travers une enfilade de maisons dans lesquelles la voix narrative a laissé des plumes. Une mémoire des nids, des lits et des bras qui se retrouve à travers l’errance d’un esprit vagabond, “ sans serrure ni lisière ”. Louise Van Brabant Plus d’information Nid. Trois petites lettres à définir. On a changé de maison , dit le personnage dans un monologue à la fois précis et hâché. Mais pour aller où ? Clinique, maison de repos, pensionnat, prison, monastère... la définition du lieu est floue, mais ce qui est sûr, c’est qu’il est fonctionnel, cadré, défini géométriquement, identique de pièce en pièce... bref, institutionnel. Au fil des fragments poétiques, la géographie de l’espace se dessine et se répète, carrée, divisée. Tangible, elle apporte structure et apaisement. Ramène-t-elle de la sécurité dans la confusion ? ou accentue-t-elle l’impression de malaise, de perte de repères ? L’autrice nous emmène sur ce terrain glissant et, en douceur, nous ouvre les questions d’identité, de quête et de définition de soi. Dans ce pays, toutes les constructions sont comme celle-ci. Un mur, une chambre, une salle de bain avec les toilettes. Et la douche. Les lavabos sont à l’avant-plan. Et c’est pareil jusqu’au bout de la rue, très loin. Jusqu’au bout du pays. On reçoit à manger tous les jours. Est-ce que mes parents vont venir me chercher ? Il faudra leur téléphoner. Le personnage, qu’on devine être un parent – un patient ? –, désorienté, cherche qui il est, qui elle est, perdu dans l’espace de ce lieu inconnu et peut-être aussi un peu perdu dans sa tête, mais chez qui la vie pulse et qui…