Auteur de Mémoires d´Hadrien : Réception critique (1951-1952)
Née le 26 février 1948, à Bruxelles, Michèle Goslar obtient le titre d’agrégée de l’enseignement secondaire inférieur en 1968. Séduite par la littérature et la linguistique françaises, malgré une formation de base de secrétariat quadrilingue, elle poursuit des études universitaires à l’ULB dans cette voie et obtient le titre de licenciée en philosophie et lettres (philologie romane) et agrégée de l’enseignement secondaire supérieur en 1973.
Son Mémoire de fin d’études portait sur la rhétorique et concernait l’analyse linguistique et stylistique de deux tropes : la métonymie et la synecdoque. Le directeur en était l’éminent professeur de linguistique et stylistique Albert Henry.
Dès 1973, elle s’engage dans une carrière de professeur qui dure 16 ans et lui permet d’enseigner à tous les niveaux : du primaire à l’universitaire, en passant par le spécial, le secondaire (tous types) et l’enseignement normal. Elle fut nommée définitivement à l’Athénée Royal de Molenbeek-St-Jean en 1984.
Quatre ans plus tard, et quelques mois après l’annonce du décès en Amérique de Marguerite Yourcenar, elle décide d’interrompre sa carrière pour se consacrer à des recherches biographiques sur l’auteur de Feux. Celles-ci lui permettent d’accumuler des documents qu’elle décide de mettre à la disposition du public en créant, à Bruxelles, le Centre International de Documentation Marguerite Yourcenar. Il est créé officiellement le 16 septembre 1989 et présidé par Georges Sion, Secrétaire Perpétuel honoraire de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises. Jacques De Decker lui succède et est l’actuel président du Cidmy.
En octobre 1990, le Centre obtient des locaux aux Archives de Bruxelles et y installe bibliothèque, vidéothèque et bureaux.
Depuis la création du C.I.D.M.Y. (dorénavant Cidmy), Michèle Goslar en assure bénévolement la permanence et en organise les activités : colloques, expositions, spectacles, conférences, visites guidées, voyages, animations scolaires...etc.
Elle a publié sur l’auteur de "Mémoires d’Hadrien", outre ses participations aux colloques internationaux, quelques livres, en plus des bulletins annuels du Cidmy, dont les principaux sont :
"Yourcenar. Biographie. « Qu’il eût été fade d’être heureux »", Bruxelles, Racine, 1998, 407p. (Epuisé), nouvelle édition revue, corrigée et augmentée à l’Age d’Homme, (février 2014) Traduit en italien et espagnol et en serbo-croate. Le livre a obtenu le prix littéraire du Cercle Gaulois en 2000.
"Marguerite Yourcenar, état civil", Bruxelles, Cidmy, 2000, 159 p.
"Le Visage secret de Marguerite Yourcenar", La Renaissance du Livre, 2001 (publication d’une conférence tenue aux Midis de la Poésie) (épuisé)
"Marguerite Yourcenar, Regards sur la Belgique", Ed. Racine, 2003 (illustré) (à l’occasion du centenaire de la naissance de l’auteur) (épuisé)
"Antinoüs, de la pierre à l’écriture de Mémoires d’Hadrien", Cidmy, 2007 (illustré) (épuisé, en cours de réédition)
"Marguerite Yourcenar en questions", Bruxelles, Cidmy, 2008, 130 p. (Réponses à des questionnaires)
"Marguerite Yourcenar. Le bris des routines", La Quinzaine littéraire/Vuitton, 2009, 322 p.
"Marguerite Yourcenar et les von Vietinghoff", Cidmy, 2012 (illustré)
"« C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt ». Yourcenar. Aphorismes", Bruxelles, Cidmy, 2013, 109 p.
"Marguerite Yourcenar, Du Hainaut au Labyrinthe du Monde", exposition Mons 2015.
Michèle Goslar est l’auteur de l’entrée Yourcenar de la Nouvelle Biographie nationale.
En préparation :
"Réception critique de L’Œuvre au Noir", 1968-1969. (avec celle du Prix Fémina et un compte-rendu de l’adaptation cinématographique d’André Delvaux. 2017
"L’Album de Marguerite Yourcenar". 2017
Outre ces publications, Michèle Goslar a donné de nombreuses conférences sur la première académicienne, dont les plus récentes :
Les coulisses d’une élection (Saint-Jans-Cappel, 12.3.2010)
Marguerite Yourcenar et l’écologie : le combat de toute une vie (Bailleul, 17.11.2012)
Marguerite Yourcenar : écriture et philosophie (Tourette, France, 20.9. 2013)
Marguerite Yourcenar : une vie et une œuvre en dehors des sentiers battus (Fayence, 21.9. 2013)
Marguerite Yourcenar et le Japon (Bruxelles, 19.3.2014)
Marguerite Yourcenar (Cercle littéraire de Gand, 5.5.2015)
Elle organise également des visites guidées « Sur les pas de Yourcenar » à Bruxelles/Bruges (thème de L’Œuvre au Noir), au Mont-Noir (France, sur les traces de son enfance), en Hainaut et dans le namurois (la tournée des châteaux de la famille maternelle).
Prochain événement : 30e anniversaire de la disparition de Marguerite Yourcenar. Décembre 2017. Album Yourcenar, exposition à l’Atrium, journée d’étude à l’Académie, nouveau documentaire (Flagey), adaptations théâtrales (Poème 2) et soirée commémorative le 18 décembre à l’hôtel Halley de Victor Horta.
C’est à partir de 1998 que Michèle Goslar entame les recherches pour une biographie de Victor Horta, autre de ses passions.
Au cours du temps, elle élargit la recherche à l’œuvre architecturale de Victor Horta (quelque 150 réalisations, dont une trentaine de projets non réalisés et des inédits). Choquée par la destruction d’œuvres majeures de l’architecte (notamment la Maison du Peuple et l’hôtel Aubecq), elle décide d’intégrer à sa biographie le sort qui fut réservé à toutes les constructions de l’architecte jusqu’à la publication, en 2012, et qu’aucune monographie ou anthologie n’abordait jusqu’ici. Elle y cerne également la conception de l’Art Nouveau dans le chef de l’architecte gantois.
Le livre "Victor Horta. L’homme, l’architecte, l’Art Nouveau" sort au Fonds Mercator en mai 2012. 567 p et 600 illustrations. Grand livre. Il existe également en version néerlandaise : "Victor Horta. Leven, werken, Art Nouveau".
Le livre a reçu le Prix littéraire du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2015 et le Prix Arthur Merghelynck de la Classe des Arts de L’Académie royale, 2015.
Avant cette publication, elle rédige articles et monographie sur Victor Horta :
"Victor Horta, architecte de l’hôpital Brugmann. Histoire mouvementée d’une construction officielle", Bulletin de la Classe des Beaux-Arts, Académie royale de Belgique, Tome XVI, 2005, 31 p.
"Des Amis qui firent Horta", in "Franc-maçonnerie et Beaux-Arts", La Pensée et les Hommes, n°s 62-63, 2007, 27 p.
"Hôtel Hallet, signé Horta", Bruxelles, Avant-Propos, 2011, 96 p.
Le livre a été présenté à Espace livres.be (avec Edmond Morel), à la bibliothèque des Riches Claires (Bruxelles), à l’Académie royale, Classe des Beaux-Arts (Bruxelles), à Télé Bruxelles, TV Brussel, à la RTB 1, sur Espace-Livres et lors de sa sortie, en conférence de presse, à la Rotonde du Palais des Beaux–Arts de Bruxelles.
«Sortir de la séduction ». Nouveaux regards sur Dominique Rolin
Francofonia est une revue semestrielle consacrée aux littératures de langue française qui paraît grâce à la contribution du Département de Langues, Littératures et Cultures modernes de l’Université de Bologne et, pour ce numéro, de la Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La rédaction avait depuis quelque temps l’intention de consacrer un numéro de la revue à Dominique Rolin (1913-2012). Pour fêter le centenaire de sa naissance et, pourquoi pas ? célébrer son centième anniversaire. Elle est morte quelques jours avant son 99e anniversaire. Une disparition qu’elle-même avait négociée comme un compromis, ce que rappelle Maria Chiara Gnocchi, maître d’œuvre de ce volume, par une citation des Éclairs : Le jour de ma disparition ne pourra jamais être considéré comme une prise de la mort sur moi mais une saisie de moi sur la mort. L’écrivaine a traversé le siècle et publié quelque quarante livres, sans compter les nouvelles, le théâtre, les entretiens et les conférences ; son dernier ouvrage, Lettre à Lise , est sorti en 2003. Le premier roman, Les Marais , est publié en 1942 à Paris, chez Denoël. Elle quitte alors la Belgique pour la France. Elle deviendra française à la suite de son mariage (le 2ème) avec le sculpteur Bernard Milleret. Elle obtient le prix Femina en 1952 pour Le Souffle . On lui reconnaît des thèmes constants : la famille, la filiation, le temps, la mort, l’amour (et l’aimé) et enfin l’écriture elle-même. Un style riche en référence physiques et autoréférentielles, mais aussi, de plus en plus, en réflexions métanarratives : elle observe son travail se faisant et le commente. Pour la connaissance, l’analyse et l’exégèse de son œuvre, on ne peut que se reporter aux nombreux articles de Frans de Haes et à ses deux publications majeures : Le Bonheur en projet . Hommage à Dominique Rolin (1993) et Les Pas de la voyageuse (2006).L’objet de ce numéro de Francofonia qui est de rassembler de « Nouveaux regards sur Dominique Rolin » annonce d’emblée, dès les premiers mots du titre, une intention : « Sortir de la séduction ». Étonnant constat en même temps qu’une volonté toute catégorique de changement, que Maria Chiara Gnocchi développera dans son introduction : on aurait eu tendance jusqu’à présent à se laisser porter par un discours admiré et à le paraphraser plutôt que de le soumettre à un réel examen critique. Les études passées, plutôt rares, ont généralement considéré la biographie et l’œuvre en parallèle et eu le plus souvent recours à une lecture psychanalytique de ce qu’elles réduisaient à la seule écriture de soi.Comment les différents auteurs qui ont participé à l’entreprise présente ont-ils adopté la nouvelle ligne critique proposée par l’initiatrice du projet ?Les contributions qui ouvrent et referment le volume adoptent résolument une perspective « centrifuge ». La première, que signent Paul Aron et Cécile Vanderpeelen-Diagre, puise dans la matière familiale si dense dans l’œuvre de Rolin pour évoquer plus spécialement une figure peu présente, Judith Cladel, sa tante, fille de Léon Cladel, auteur naturaliste belge établi à Paris. Une authentique femme de lettres, indépendante, autonome, dont l’évocation nourrie des correspondances diverses, dont celle qu’elle a entretenue avec Edmond Picard, aide à retracer son parcours dans l’institution littéraire. Et partant, celui de Dominique Rolin qui s’en est inspirée dans plusieurs de ses romans familiaux. Plus inattendue, la deuxième (et dernière du cahier) invite à une lecture comparée de William Faulkner et Dominique Rolin, qu’entreprend Maria Chiara Gnocchi. À partir des préférences avouées de Rolin elle-même, dans la littérature anglophone moderniste, soient deux romans de Virginia Woolf, Les Vagues et La Chambre de Jacob , et Tandis que j’agonise de l’écrivain américain, elle va rapprocher de ce dernier La Maison, la Forêt. On sait que Rolin découvre Faulkner au début des années 30, lorsque paraissent les premières traductions. Mais l’époque du Nouveau Roman en France se signale par un renouveau d’intérêt pour le roman américain, et notamment Faulkner, remarquable par un traitement libre de la narration, des personnages et l’emploi systématique du monologue intérieur, pratique qu’adoptera souvent Rolin, sans appartenir pour autant à ce groupe du Nouveau Roman, s’il existe. Cette influence est signalée par la critique à propos du For intérieur . Notons que, l’année de la parution de La Maison, la Forêt , Rolin se fait évincer du Jury Femina où elle avait succédé à Judith Cladel.Entre ces textes liminaires, trois articles constituent le cœur de l’étude et abordent l’œuvre de Rolin selon une approche critique spécifique jamais pratiquée, alors qu’aucun des auteurs n’est spécialiste de Rolin. C’est donc avec un regard nouveau que Juline Hombourger, Jean-François Plamondon et Katia Michel lisent et commentent ses ouvrages. La première, auteure d’une thèse sur le travail du négatif, examine Dulle Griet sous cet angle et le deuxième, spécialiste de l’écriture du moi, applique à la Lettre au vieil homme une méthode de lecture originale. Quant à la troisième, elle traite plus précisément de la féminité dans deux romans, Les Marais et Le Souffle .Puissent ces cinq approches carrément nouvelles de l’œuvre rolinienne ouvrir la voie à d’autres études. D’autant mieux que la matière ne manque pas. À l’œuvre abondante de l’auteure il faut ajouter le dépôt récent de la Fondation Roi Baudouin à la Bibliothèque Royale de la correspondance croisée (1958-2008) de Dominique Rolin et Philippe Sollers, le Jim incontournable des romans, ainsi que la totalité du journal intime de l’écrivaine (35 volumes), actuellement en cours de catalogage, transcription et numérisation.Enfin, on soulignera la publication dans ce numéro de Francofonia de la dernière interview de la romancière, accordée à Jean-Luc Outers,…
Daniel Fano : chroniqueur de réel / poète exponentiel (in Varia)
Daniel Fano est un poète – « chroniqueur » , dit-il – belge et inclassable. Né en 1947, longtemps journaliste (de 1971 à 2007), il a été découvert par Marc Dachy, adoubé par Henri Michaux et Dominique de Roux. Fano désamorce nos idéologies, nos mythes, décape nos idoles à l'humour noir. Fulgurants à l'origine, ses poèmes aux accents yéyé (dans Souvenirs of you, édité au Daily-Bul en 1981, Gainsbourg résonne aux oreilles du personnage de Typhus) s'amplifient avec le temps, deviennent de longues proses, où Fano se fait chroniqueur du cauchemar de l'Histoire, désorchestre la censure manichéiste du moment. Rencontre avec un auteur culte en équilibre instable, pour la plus grande joie des quêteurs de lucidité. - À la lecture de vos poèmes courts, de vos longues proses, il semble que vous décloisonniez les genres, leur hiérarchie. Ce qui n'est pas une démarche volontaire. Ça m'est naturel. Tout ça s'est accumulé au fil du temps. Comme tout le monde, j'ai eu ma phase d'imitation, dans l'adolescence. La plus profonde a été celle des surréalistes. Curieusement, pas des surréalistes belges que je ne connaissais pas. Je vivais en province, et j'étais plutôt tourné vers Paris. Mon poète préféré, c'était Benjamin Péret, par exemple, qui était plus proche du nonsense, que j'avais déjà un peu intégré, accidentellement. Et j'ai écrit dans un esprit qui a fait dire à certains que j'étais proche des frères Piqueray, poètes que j'ai connus par après. Mais ils ne m'ont pas du tout influencé. Donc, c'est par des chemins détournés... en allant vers le nonsense anglais, et en le retrouvant chez certains surréalistes français, chez Péret, ou Desnos (à cause de La Complainte de Fantômas, Les quatre sans cou), dont les poèmes allaient vers le populaire, faisaient référence aux paralittératures, qui m'intéressaient déjà, et m'intéresseraient de plus en plus, sans parler de Soupault... Ces gens n'étaient jamais fixés dans une formule définitive. Ensuite j'étais en France, en 1966. J'étais garçon de course à Paris, pour une maison d'édition. J'ai eu accès à des tas de choses. On parle des années 60, d'années assez extraordinaires. J'ai découvert des auteurs américains comme Burroughs, évidemment, mais aussi Claude Pélieu, Dylan Thomas. Trois découvertes par jour. C'était un bombardement permanent. Et là, déjà, il y a eu les objectivistes américains, que très peu de gens connaissaient à l'époque – pour le moment, on publie des choses sur eux. Les objectivistes m'ont tout de suite paru intéressants. Car ce qui ne m'intéressait pas, c'était l'emphase, le lyrisme. Chez les objectivistes, je trouvais la distance qu'il fallait. Puis il y a eu des coïncidences assez étonnantes. En 66/67, à la même période, Serge Gainsbourg sort un album de chansons où l'on trouve notamment le titre Torrey Canyon, qui évoque l'un des tout premiers pétroliers qui se sont fracassés en déclenchant des marées noires. Il n'y a pas un gramme de sentiment, on ne sait pas ce qu'il pense, lui. Il raconte. C'est l'histoire du bâtiment : qui l'a construit, sous quel pavillon il naviguait, et ainsi de suite. En même temps, sur le même album, il y a Comic Strip, avec les onomatopées. Et tout cela est dans l'air du temps. J'aimais bien les Kinks, aussi, qui décrivaient la vie sociale en Angleterre. Au lieu de raconter des histoires de stars, ils racontaient l'histoire de filles qui sortent de l'usine. Donc, tout ça s'est mêlé, avec d'autres curiosités que j'avais à l'époque, notamment la bande dessinée, qui était en train de se légitimer. Tout ce qui passait, les magazines, tout ça m'a influencé, l'époque, l'air du temps. Le problème est que l'air du temps vieillit très vite. Il ne fallait pas suivre toutes les modes. Avoir une distance ironique, éventuellement. C'est une différence qui fait que je ne peux pas être un véritable objectiviste. Je mets de l'humour et de l'ironie dans ce que je fais. C'est mon apport personnel – question de tempérament. Mais aussi le mélange de toutes ces influences, qui fait que, si l'on me met une étiquette, elle ne colle pas . En partie peut-être, mais je serai toujours ailleurs. Je serai toujours en mouvement. - Est-ce que vous considérez qu'il y a eu différents Daniel Fano, différentes périodes que vous pourriez délimiter, a posteriori ? Des périodes à la Picasso ? [rires]. C'est un peu difficile. Je crois qu'on se rendrait compte, si l'on voulait faire le travail sérieusement, que ce serait toujours lié à des rencontres. C'est clair qu'il y a la période Marc Dachy XX , qui va de 1971 à 1978, au moment où il part pour Paris. C'est la création de Transédition, sa passion pour Dada. Je suis relativement peu publié dans la revue Luna-Park, mais en réalité j'écris beaucoup. Ce qui est important, sans doute, pour cette première période, c'est l'entrée dans le journalisme, ce qui n'était pas du tout prévu à l'origine. Mais c'est encore une question de rencontre, puisque Marc Dachy me faisait rencontrer des gens que je n'aurais peut-être pas rencontrés, dont Françoise Collin XX , qui a créé par la suite les Cahiers du Grif. Elle s'occupait de pages culturelles dans un hebdomadaire et m'a invité à collaborer. Au début, c'était très pointu, sur des avant-gardes américaines. Puis après, ça a été tout ce qui m'intéressait en paralittérature. Cela m'a donc permis d'approfondir des curiosités. Mais l'évolution des techniques a aussi son importance. Évidemment, au départ, c'est la machine à écrire mécanique. Écrire, ça fait mal. Et donc, il y a surtout des textes courts qu'on retrouve dans des anthologies de l'époque. De plus en plus, on voit revenir des personnages récurrents, comme Monsieur Typhus. Je crée toute une série de personnages, parce que ça permet de les confronter aux éléments du réel que je capte. Notamment dans toute la série qui est parue aux Carnets du Dessert de Lune. Là, c'est vraiment le cauchemar de l'Histoire. Et donc, il y a des tas de crapuleries qui sont reprises dans tous les camps. Il n'y a pas de manichéisme. Et ces personnages, Monsieur Typhus, Rita Remington, Patricia Bartok, Jimmy Ravel, Rosetta Stone... ce sont des personnages qu'on pourrait dénommer « marionnettes plates », des personnages qui pourraient rentrer dans tous les rôles possibles. Il y a une référence au dessin animé, puisqu'ils meurent, mais trois lignes après, ils sont de nouveau tout à fait intacts, ils repartent. C'est le principe du personnage qui tombe d'une falaise, et qui remonte. Ou sa tête explose, et il réapparaît. Assez curieusement, alors que j'essaye parfois de leur faire des choses assez abominables, ils ne parviennent jamais à rivaliser avec les atrocités du monde. À la limite, la fiction galope derrière le réel, et ne parvient jamais à le rattraper. - Mais cette tétralogie que vous évoquez, parue aux Carnets du Dessert de Lune, prend une forme un peu différente du reste... Oui, il est clair que les longues proses, qui sont une accumulation de choses, comme du bruit, une espèce de cataracte, sont facilitées par l'ordinateur, qui permet de travailler sur la longueur. Si l'on ne voyait que deux grandes époques dans mon parcours, ce serait certainement celles-là. Je crois que je n'aurais pas pu faire, avec la machine à écrire mécanique, des choses comme Sur les ruines de l'Europe ou Le privilège du fou. - À propos de votre rapport à l'Histoire, quel sens politique se cache derrière cette poésie qui s'affranchit, se libère des hiérarchies? Il est clair que les situationnistes m'ont marqué. C'est indéniable. Et, aussi, ce qu'il y avait autour. Les livres de Baudrillard, La Société de consommation, ou de Vance Packard, La Persuasion clandestine... Des livres sur la société. Je n'ai pas été quelqu'un de politique, même dans ces années-là. Mais j'ai observé, j'ai absorbé comme une éponge. J'ai toujours été un voyeur, un écouteur. Et en critiquant, justement, comme je le disais tout à l'heure, le…
Cette grande dame du wallon nous a quitté·e·s le 25 juin 2020. Elle était née à Liège, au quartier Sainte-Marguerite,…