Marguerite Yourcenar : Première académicienne française (L'Article n°42)

RÉSUMÉ

La nuit est tombée. En haut d’une colline, à l’entrée d’une grotte deux figures sombres nous attendent. Nous montons vers elles avec des bougies. Arrivés à leur hauteur, un grand souffle de vent éteint nos lumières. « Elles ne sont pas nécessaires », disent en chœur les deux gardes du temple. « Michèle marchera devant vous, moi je marcherai derrière et ma voix vous guidera. » Dès lors, nous entrons dans la grotte et la pleine obscurité. Nous serpentons parmi des parois qui suintent, qui respirent. Une odeur moite d’un vivant qui semble à la fois se putréfier et déborder d’énergie. Parfois, quelques pierres précieuses illuminent ce monde souterrain. « Elles ont été ciselées par la grande prêtresse », nous dit Véronique. Nous ne descendons pas, nous sommes toujours en train de monter.
Quand arriverons-nous à l’air libre, au sommet du rocher ? Véronique poursuit son récit, les images de nombreuses époques, de nombreux êtres humains se mêlent dans notre esprit, y prennent racine et s’y développent. Notre conscience transmute dans ce voyage. Tout ce que nous mettions dehors devient le dedans. Nous allons enfin pouvoir communier, être initiés aux mystères de la grande prêtresse. Michèle s’arrête. Sommes-nous arrivés ? Une voix profonde emplit l’espace, fait vibrer nos poitrines. Une voix qui nous emplit d’une force éternelle, l’Aiôn. Nous aspirons, nous entrons en contact avec cette puissance unique. Mais le plafond se met à craquer… des fissures apparaissent et la lueur de la Lune pénètre dans ce monde préservé. « Ne craignez rien, il tente à nouveau de nous détruire », dit la grande prêtresse, Marguerite Yourcenar. « Qui ça ? Quel est le nom de notre ennemi ? » Nous attendons la dernière révélation. « Il n’est pas notre ennemi, il est celui qui veut réguler toute chose. L’Apeiron se tient prêt à nous engloutir, comme il est prêt à nous recracher. Sa puissance est opaque et informe, elle n’a pas la vitalité et la précision de l’Aiôn. Elle est inintellectuelle, inorganique et froide. Elle n’en demeure pas moins une force qui frappe notre univers.
Soyez courageux, chers initiés. Soyez passionnés et vivez l’existence en incorporant le dehors dans le dedans. Alors, vous ne mourrez pas vainqueurs mais vous aurez combattu. »

À PROPOS DE L'AUTRICE
Véronique Bergen

Autrice de Marguerite Yourcenar : Première académicienne française (L'Article n°42)

Véronique Bergen (pseudonyme de Vankeerberghen) est née le 3 avril 1962. Elle fréquente, en secondaire, la fameuse école Decroly qui favorise l’expression de la personnalité de chacun et la réalisation des vœux les plus intimes. Elle poursuit ses études à l’Université libre de Bruxelles en philologie romane puis en philosophie. Elle obtiendra le titre de docteur en philosophie. Son mémoire de philologie (défendu à l’ULB), Jean Genet, Entre mythe et réalité, sera publié dans la collection «Littérature» de Pierre Mertens aux éditions De Boeck, un essai qui obtiendra le prix Franz De Wever de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Côté philosophie, sa thèse sur Gilles Deleuze (L’Ontologie de Gilles Deleuze) a été présentée à Paris 8 et paraît chez L’Harmattan en 2001. Sa passion pour la musique la conduit à apprendre le piano à l’âge adulte à l’Académie de Bruxelles et ensuite avec Éliane Reyes. Elle enseigna brièvement la littérature théâtrale au Studio Herman Teirlinck d’Anvers. Elle est élue en 2018 à l’Académie royale de langue et de littérature françaises au siège de Philippe Jones. Son œuvre couvre tous les domaines : roman, poésie, essais, monographies, et même scénario de bande dessinée… Elle est aussi membre du comité de rédaction de la revue Lignes, membre du comité d’administration des éditions le Cormier, critique pour diverses revues (La Nouvelle Quinzaine littéraire, Marginales, Artpress, Diacritik, Flux News, L’Art même, Le Carnet et les Instants, Lignes, Septentrion, Espace de Libertés…). Parmi les rencontres qui la marqueront sur le plan de la création, de la pensée, citons Pierre Verstraeten, Pierre Mertens, Jacques De Decker, Marcel Moreau et Hélène Cixous. Après la parution de son mémoire sur Jean Genet, son œuvre commence par la poésie en 1994 avec le recueil Brûler le père quand l’enfant dort (La Lettre volée), dont le titre témoigne déjà de son originalité. Il sera suivi d’une quinzaine d’autres recueils poétiques dont L’Obsidienne rêve l’obscur, préfacé par Pierre-Yves Soucy (1998), Habiter l’enfui, préfacé par Claire Lejeune (2003), Plis du verbe (2006), Alphabet sidéral. Dans les pas d’Anselm Kiefer (2008), Gang Blues Ecchymoses avec les photographies de Sadie von Paris (2017), Alphabets des loups (2018). Une autre partie importante de son œuvre poétique est constituée de dialogues avec des artistes, peintres, photographes… On y rencontrera Anselm Kiefer, Gundi Falk, Charlotte Perriand, Pilar Albarracin, Marie-Jo Lafontaine, Sophie Cauvin, Bernard Gilbert, Sophie Podolski et bien d’autres dont Javier Vallhonrat ou Jacqueline Devreux. Ses romans donnent voix aux oubliés, aux êtres fissurés, aux muselés de l’Histoire et aux grands révoltés : Kaspar Hauser dans Kapsar Hauser ou la phrase préférée du vent, Unica Zürn dans Le Cri de la poupée, Janis Joplin dans Janis. Voix noire sur fond blanc, Marilyn dans Marilyn, naissance année zéro, Edie Sedgwick dans Edie. La danse d’Icare, Ulrike Meinhof dans Ulrike Meinhof, Louis II de Bavière dans Requiem pour le roi… Ce qui caractérise Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent (Denoël, 2006, prix Félix Denayer de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, prix triennal de la Ville de Tournai, finaliste du prix Wepler et du prix Rossel, réédité chez Espace Nord en 2019, postface de Charline Lambert), c’est son style, l’inventivité de l’écriture et de la pensée : l’incroyable capacité de Véronique Bergen de pénétrer la sensibilité de n’importe quel personnage, réel ou fictif. Ici, elle fait parler Kaspar Hauser, un enfant qui a été emprisonné toute sa jeunesse, en qui on vit un descendant de la famille royale de Bade tandis que d’autres le diagnostiquèrent autiste et qui fut libéré, jeté dans la société des hommes à l’adolescence. Kaspar Hauser se frotte tout à coup au monde qui le heurte. Le ton s’adapte et change quand il s’agit de la voix de la mère ou de celle de la comtesse H. ou du geôlier ou de l’assassin de Kaspar. Étonnante capacité à se fondre dans tous les registres et qui contraste terriblement avec les livres à une seule voix et un seul ton. Il serait impossible d’établir la liste de tous les écrits de Véronique Bergen depuis son premier recueil poétique de 1994, soit sur près de trente années, tellement ses intérêts sont divers, ses préoccupations nombreuses, ses talents innombrables. Signalons qu’avec Tous doivent être sauvés ou aucun (encore un titre qui laisse pressentir un univers singulier), édité chez Onlit fin 2018, on voit nettement poindre une autre préoccupation de Véronique Bergen : la dénonciation des agissements de l’humain, son agressivité à l’égard de la nature et des espèces animales. Et elle conclut en faisant disparaître l’homme et en donnant tout pouvoir aux animaux et, ici, particulièrement aux chiens auxquels elle donne voix tout au long du roman. «Flamboyante d’énergie, de colère et d’humour, cette fable donne de l’humanité et de l’univers en général une vision d’autant plus convaincante dans sa violence que Véronique Bergen y déploie une énergie féroce et tous ses talents de conteuse, de visionnaire et de poète» analyse Jeannine Paque dans Le Carnet et les Instants. Son œuvre philosophique interroge essentiellement la philosophie contemporaine (Deleuze, Sartre, Badiou), questionne les champs de l’esthétique, de la métaphysique (Résistances philosophiques, Comprendre Sartre, Le Corps glorieux de la top-modèle…). Elle a consacré des essais à Visconti (Visconti. Les Promesses du crépuscule), Hélène Cixous (Hélène Cixous. La Langue plus-que-vive), aux Roms, à Patti Smith, faisant éclater les frontières entre la fiction, la philosophie et la poésie, entre culture savante et culture populaire. Gageons, face à cette écrivain(e) aux mille visages, que le souci écologique n’échappera plus aux livres à venir et que l’animal, quel qu’il soit, excepté l’homme, y aura sa part. Lauréate d’une bourse de la Fédération Wallonie-Bruxelles - Bourse semi-sabbatique 2021

AVIS D'UTILISATEURS

FIRST:xfirstword - "Marguerite Yourcenar : Première académicienne française (L'Article n°42)"
stdClass Object ( [audiences] => [domains] => Array ( [0] => 9174 ) )

Ceci pourrait également vous intéresser...

Le Voyage au bout de la nuit de Céline : roman de la subversion et subversion du roman

À propos du livre À travers les différents niveaux de sens que le texte romanesque du Voyage au bout de la nuit superpose, cet ouvrage serre de près le processus d'instauration du langage célinien, de la surface des mots à la totalité de la création. Transposant la rhétorique de l'argot en un formidable discours subversif, ce langage fonde l'identité symbolique de Bardamu, le héros-narrateur, mais aussi celle de Céline dans cette Nuit de l'écriture où, entre vécu et imaginaire, durée et Histoire, désir et néant, l'écrivain triomphe des discours sociaux de son temps par l'affirmation souveraine d'un style. Mythe romanesque du voyageur de la Nuit, hallucinant de vérité désespérée et de révolte ; mythe littéraire de l'écrivainargotier dont le propos embrasse dans sa revanche verbale toute la honte, toute la souffrance du Mal contemporain : deux niveaux de cette «écriture de la parole» qui entretiennent un subtil trompe-l'oeil entre le sens et la représentation. C'est dans ce travail que résident la modernité de Céline, son art réel d'écrivain comme sa compromission authentique de sujet face à la société et à l'Histoire. Cette étude est le fruit d'une technique magistrale et…

De l'inhumanité de la religion

Sans jamais adopter le ton du pamphlet, R. Vaneigem recompose…

Le mouvement romantique en Belgique (1815-1850). II Vers un romantisme national

À propos du livre Nonum prematur in annum… L'exigeant précepte d'Horace a trouvé, cette fois, sa rigueur dépassée, puisque c'est de 1948 qu'est daté le premier tome du présent ouvrage. Bien malgré nous, il est vrai : des occupations professorales absorbantes, la maladie ensuite, puis de cruelles épreuves familiales ont, trop longtemps sans doute, retardé la rédaction, la mise au point et l'achèvement de ce tome II et dernier. On s'en excuse. Après un tel délai, peut-être n'est-il pas inutile de rappeler à cette place le dessein qui n'a pas cessé d'être le nôtre. C'est de poursuivre, dans le milieu belge, entre 1815 et 1850, une enquête attentive sur l'évolution des idées, des tendances et des réputations littéraires. La suivant à la trace, nous avons cherché à en préciser la marche dans les esprits et dans les écrits de ce temps. Revues et journaux, préfaces et critiques nous ont fourni l'essentiel de notre documentation. Nous avons tenu le plus grand compte des influences étrangères, et singulièrement de celle du romantisme français, dont la contrefaçon multiplie alors les oeuvres parmi nous. Et nous n'avons pas négligé de mesurer, quand il y avait lieu, les répercussions des événements politiques ou sociaux sur le devenir, en nos provinces, de la «chose littéraire». Notre propos a donc été, dans l'essentiel, l'étude d'un mouvement d'idées. On aurait tort de chercher ici un relevé complet des auteurs belges de l'époque romantique et un catalogue de leurs ouvrages. Nous avons, pour notre modeste part, essayé de tracer un tableau abrégé de cette époque de notre passé littéraire dans quelques chapitres de la grande Histoire illustrée des lettres françaises de Belgique, dont nous avons naguère dirigé la publication avec notre savant confrère et collègue, M. Joseph Hanse. On nous permettra d'y renvoyer. Ici, la production nationale nous intéresse avant tout dans la mesure où elle rend témoignage de la marche des idées littéraires ou en illustre le cheminement. Volontairement réduites au minimum, nos indications bibliographiques sont, strictement, celles des textes qui ont fourni nos citations ou autorisé nos conclusions. En d'autres termes, notre dessein a été ici, avant tout d'apporter une contribution valable à l'histoire des idées, er souhaitant qu'elle puisse servir à illustrer un jour ce que notre regretté maître Fernand Baldensperger appelait «une sorte de philosophie de la vie et du mouvement en littérature». Nous ne nous flattons pas d'y avoir réussi. Du moins espérons nous qu'on pourra trouver aux pages du présent tome, comme à celles du précédent, des citations nouvelles ou peu connue: et des témoignages inédits,…