Marc Levy : Et si c'était lui... (L'Article n°12)

RÉSUMÉ

Editorial : 

Au travers du récit, Xavier Huberland entreprend la défense de l’œuvre de Marc Levy, un des symboles de l’une des trois tendances majeures de la littérature. En effet, ce n’est que récemment avec la possibilité ouverte par les réseaux sociaux de faire entendre sa voix de lectrice ou de lecteur et de tracer une carrière singulière de critique littéraire, que la littérature injustement réduite au statut de « divertissement » commence à revendiquer une légitimité face aux deux autres tendances principales. Les critiques classiques refusent de se pencher sur des textes où ils ne pourront trouver ni une motivation politique, ni un objectif de travailler le matériau littéraire (travail sur la forme, le langage et la littérature en tant qu’objet). Les nouveaux critiques, eux, considèrent que la force d’un livre n’est pas son engagement politique ni sa portée révolutionnaire au sein d’une tradition littéraire. Il faut avant tout que le livre leur plaise, les emmène autre part. L’auteur de la troisième tendance doit veiller à cette simple demande, ce qui signifie qu’il serait enfin débarrassé de la mauvaise conscience qui inaugurait, selon Barthes dans Le degré zéro de l’écriture, le début de la crise en littérature. Il est intéressant de voir que ce sont justement ces écrivains, en apparence sans « mauvaise conscience », qui sont les plus travailleurs, comme le souligne à plusieurs reprises Xavier Huberland en parlant de Marc Levy. Or, chez Barthes, la valeur « travail » était justement celle qui qualifiait Flaubert et qui marquait la rupture avec l’écriture de l’âge classique. Ainsi, la troisième tendance de la littérature serait une fille directe de Flaubert que la déroute engendrée par Mallarmé aurait épargnée. Il n’en est évidemment rien. Ceux et celles qui appartiennent à cette troisième tendance éprouvent une tout autre « mauvaise conscience » : ils écrivent et ne font cependant pas partie de la littérature engagée ou de la « grande » et « vraie » littérature. Leurs écrits se voient encore aujourd’hui dénier le titre de « textes littéraires ». Pourtant, l’énergie solaire qui imprègne les écrivains de la troisième tendance leur permet de résister à cette disqualification. Ils reçoivent aussi un grand soutien de leur public. Et c’est ce soutien qui effectue enfin un renversement des valeurs, puisque le lecteur conquis se montre prêt à affronter le regard glacial du critique classique. Le succès est le succès et il faut qu’il soit reconnu comme tel. L’écrivain qui vend une somme astronomique d’exemplaires, traduits dans une vingtaine de langues, a aussi le droit de se faire appeler « écrivain », même s’il ne revêt pas les apparences d’un intellectuel perdu dans ses pensés et frôlant la folie à force de vouloir innover un champ littéraire clos. Notons également que le récit de Xavier Huberland insiste sur le fait que la littérature, comme presque toute activité humaine menée à un certain niveau de virtuosité, est également un travail d’équipe – résultant de l’efficacité des collaborateurs et de l’appui des proches. Et que dans le cas de Marc Levy, il faut « chercher la femme » dont le nom est Susanna Lea.

Maxime Lamiroy


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Le fantastique dans l’oeuvre en prose de Marcel Thiry

À propos du livre Il est toujours périlleux d'aborder l'oeuvre d'un grand écrivain en isolant un des aspects de sa personnalité et une des faces de son talent. À force d'examiner l'arbre à la loupe, l'analyste risque de perdre de vue la forêt qui l'entoure et le justifie. Je ne me dissimule nullement que le sujet de cette étude m'expose ainsi à un double danger : étudier l'oeuvre — et encore uniquement l'oeuvre en prose de fiction — d'un homme que la renommée range d'abord parmi les poètes et, dans cette oeuvre, tenter de mettre en lumière l'élément fantastique de préférence à tout autre, peut apparaître comme un propos qui ne rend pas à l'un de nos plus grands écrivains une justice suffisante. À l'issue de cette étude ces craintes se sont quelque peu effacées. La vérité est que, en prose aussi bien qu'en vers, Marcel Thiry ne cesse pas un instant d'être poète, et que le regard posé sur le monde par le romancier et le nouvelliste a la même acuité, les mêmes qualités d'invention que celui de l'auteur des poèmes. C'est presque simultanément que se sont amorcées, vers les années vingt, les voies multiples qu'allait emprunter l'oeuvre littéraire de M. Thiry pendant plus de cinquante années : la voie de la poésie avec, en 1919, Le Coeur et les Sens mais surtout avec Toi qui pâlis au nom de Vancouver en 1924; la voie très diverse de l'écriture en prose avec, en 1922, un roman intitulé Le Goût du Malheur , un récit autobiographique paru en 1919, Soldats belges à l'armée russe , ou encore, en 1921, un court essai politique, Voir Grand. Quelques idées sur l'alliance française . Cet opuscule relève de cette branche très féconde de son activité littéraire que je n'étudierai pas mais qui témoigne que M. Thiry a participé aux événements de son temps aussi bien sur le plan de l'écriture que sur celui de l'action. On verra que j'ai tenté, aussi fréquemment que je l'ai pu, de situer en concordance les vers et la prose qui, à travers toute l'oeuvre, s'interpellent et se répondent. Le dialogue devient parfois à ce point étroit qu'il tend à l'unisson comme dans les Attouchements des sonnets de Shakespeare où commentaires critiques, traductions, transpositions poétiques participent d'une même rêverie qui prend conscience d'elle-même tantôt en prose, tantôt en vers, ou encore comme dans Marchands qui propose une alternance de poèmes et de nouvelles qui, groupés par deux, sont comme le double signifiant d'un même signifié. Il n'est pas rare de trouver ainsi de véritables doublets qui révèlent une source d'inspiration identique. Outre l'exemple de Marchands , on pourrait encore évoquer la nouvelle Simul qui apparaît comme une certaine occurrence de cette vérité générale et abstraite dont le poème de Vie Poésie qui porte le même titre recèle tous les possibles. Citons aussi le roman Voie-Lactée dont le dénouement rappelle un événement réel qui a aussi inspiré à M. Thiry la Prose des cellules He La. Je n'ai donc eu que l'embarras du choix pour placer en épigraphe à chaque chapitre quelques vers qui exprimaient ou confirmaient ce que l'analyse des oeuvres tentait de dégager. Bien sûr, la forme n'est pas indifférente, et même s'il y a concordance entre les thèmes et identité entre les motifs d'inspiration, il n'y a jamais équivalence : le recours à l'écriture en prose est une nécessité que la chose à dire, à la recherche d'un langage propre, impose pour son accession à l'existence. C'est précisément aux «rapports qui peuvent être décelés entre ces deux aspects» de l'activité littéraire de Marcel Thiry que Robert Vivier a consacré son Introduction aux récits en prose d'un poète qui préface l'édition originale des Nouvelles du Grand Possible . Cette étude d'une dizaine de pages constitue sans doute ce que l'on a écrit de plus fin et de plus éclairant sur les caractères spécifiques de l'oeuvre en prose; elle en arrive à formuler la proposition suivante : «Aussi ne doit-on pas s'étonner que, tout en gardant le vers pour l'examen immédiat et comme privé des émotions, il se soit décidé à en confier l'examen différé et public à la prose, avec tous les développements persuasifs et les détours didactiques dont elle offre la possibilité. Et sa narration accueillera dans la clarté de l'aventure signifiante plus d'un thème et d'une obsession dont son lyrisme s'était sourdement nourri.» Car, sans pour autant adopter la position extrême que défend, par exemple, Tzvetan Todorov dans son Introduction à la littérature fantastique, et qui consiste à affirmer que la poésie ne renvoie pas à un monde extérieur à elle-même, n'est pas représentative du monde sensible (et d'en déduire — j'y reviendrai dans la quatrième partie — que poésie et fantastique sont, pour cette raison, incompatibles), on peut cependant accepter comme relativement sûr que la traduction en termes de réalité ne s'opère pas de la même façon lors de la lecture d'un texte en prose ou d'un poème. C'est donc tout naturellement qu'un écrivain recourra à la prose, dont l'effet de réel est plus assuré, dont le caractère de vraisemblance est plus certain, chaque fois qu'il s'agira pour lui, essentiellement, d'interroger la réalité pour en solliciter les failles, d'analyser la condition humaine pour en déceler les contraintes ou en tester les latitudes. Le développement dans la durée permet l'épanouissement d'une idée, la mise à l'épreuve d'une hypothèse que la poésie aurait tendance à suspendre hors du réel et à cristalliser en objet de langage, pour les porter, en quelque sorte, à un degré supérieur d'existence, celui de la non-contingence. Il n'est sans doute pas sans intérêt de rappeler que, dans un discours académique dont l'objet était de définir la fonction du poème, M. Thiry n'a pas craint de reprendre à son compte, avec ce mélange d'audace et d'ironie envers lui-même qui caractérise nombre de ses communications, cette proposition de G. Benn et de T. S. 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Révolte contre l'irréversibilité du temps humain dans Échec au Temps , révolte contre le caractère irréparable de la mort qui sépare ceux qui s'aiment dans Nondum Jam Non , dans Distances , révolte contre l'injustice des choix imposés à l'homme dans Simul , révolte contre les tyrannies médiocres du commerce dans Marchands … Nostalgie du temps passé, du temps perdu, du temps d'avant la faute, nostalgie de tous les possibles non réalisés, de la liberté défendue, de la pureté impossible. Nostalgie complémentaire de la révolte et qui traverse toute l'oeuvre de Marcel Thiry comme un leitmotiv douloureux. Comme l'écrit Robert Vivier, «le thème secret et constant de Thiry, c'est évidemment l'amour anxieux du bonheur de vivre ou plus exactement peut-être le désir, perpétuellement menacé par la lucidité, de trouver du bonheur à vivre». Où trouver, où retrouver un bonheur que la vie interdit sinon dans la grande surprise du hasard qui suspendrait les lois du monde? 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