Singulière, originale, indépendante, telle apparaît de prime abord l’héroïne de ce livre plaisant et enlevé. Noiraude, elle détonne par ce trait physique dans une famille dont tous les membres, ses parents et ses trois sœurs cadettes, sont blonds comme les blés. Son caractère indépendant, volontaire est tout à l’opposé de celui de sa mère, apathique, soucieuse seulement de cultiver avec modération les quelques arts d’agrément qu’elle a appris en même temps que les bonnes manières dans l’internat religieux dont elle fut retirée, avant la fin de ses études, pour un mariage précipité avec un homme costaud, stokas´, et bon vivant.
L’auteur tire de l’opposition entre ces deux conjoints tout à fait imprévus des effets comiques du meilleur aloi. Une sorte de goguenardise empreint, d’ailleurs, tout le récit.
Voyez, par exemple, la scène de la visite au cours de laquelle se fera la proposition de mariage, dont nous ne citerons que le portrait…
Éric Derkenne a fait du visage le théâtre de ses précises opérations.Jour après jour cerné de lignes ombrageuses, le siège du combat se disloque en de sombres cavités. Les yeux, les oreilles, les narines, la bouche sont autant de gouffres que l'artiste sonde inlassablement et qui emportent celui qui les scrute dans des tourbillons vertigineux. Les têtes prennent corps et dans ce bataillon de figures totémiques, chaque soldat se distingue grâce à une infinité de détails graphiques.Parti d'un bigbang de formes colorées et isolées dans l'espace, Éric Derkenne a mis en place au fil des ans une méthode précise et immuable, un réseau de circonvolutions de cercles et de serpentins qui envahit la feuille blanche, donnant naissance à d'énigmatiques portraits. Tel une « dentellière du stylo à bille », il s'est abîmé avec application dans ce lent ouvrage de tissage, d'entrelacement de lignes, ceignant sa propre image, par maints assauts répétés. À l'identité qui défaille, Éric Derkenne a répondu…