Professeur de français Debout sur le seuil bleu du doux palais de craie, dérober les étoiles, tatouer des brasiers, et tracer, indocile, sur l’îlot de papier des liens d’éternité où l’on peut s’amarrer.
Avec une trentaine d’albums à son actif, J.-L. Englebert jongle habilement avec les techniques d’illustration. Voyage dans son univers suite à la carte blanche qui lui a été donnée au centre de littérature de jeunesse de Bruxelles le 23 octobre 2018.
Isabelle Decuyper: Qui êtes-vous?
Jean-Luc Englebert: Je suis né à Herve d’une mère institutrice et d’un père boucher-charcutier. Dans ma famille, il y avait très peu d’images. Mon père m’offrait des BD, des Gaston Lagaffe et des Tintin. Je suis donc entré dans le dessin par la BD. J’avais 9 ans quand j’ai su que je voulais être dessinateur. Ce qui me plaisait, c’était raconter une histoire. Sans qu’on ait besoin de lire les textes, Hergé arrivait à faire comprendre son histoire par son découpage, comme dans Les Bijoux de la Castafiore.
J’ai appris à dessiner en recopiant les dessins. Plus tard, vers 12 ans, j’ai rencontré Walthéry, qui m’a montré les techniques pour réaliser une BD, notamment la respiration d’une case ou comment ne pas coller la bulle au personnage. Lors de mes 5e et 6e secondaires à l’école Saint-Luc à Liège, j’ai été confronté au dessin d’après nature, au modèle vivant. J’ai appris qu’il existait d’autres formes de dessins. À partir de là, ce fut pour moi… l’arrêt de la BD. Mon travail de fin d’année, Le cimetière des éléphants, s’est trouvé dans un magasin de Verviers. J’ai découvert Mattotti, dessinateur en couleurs directes[1], et j’ai appris comment faire une BD avec des formes géométriques abstraites.
En 1986, je décide de monter à Saint-Luc Bruxelles, la seule école proposant une section BD. Il n’y avait que des garçons. Pendant trois ans, j’ai donc réappris à faire de la BD. Nous avions un cours en commun avec la section «illustration», où il n’y avait que des filles, et une fille dont je suis tombé amoureux m’a fait découvrir les livres pour enfants[2]. Durant mes études de BD, j’ai beaucoup travaillé le découpage et le scénario. Le découpage dessiné doit tenir avec ou sans texte. C’est une technique que je garde encore dans les livres pour enfants.
En 1988, lors d’une conférence à Saint-Luc, Christiane Germain a présenté la nouvelle maison d’édition Pastel sur Bruxelles. J’ai découvert l’importance de L’école des loisirs. C. Germain a trouvé que j’avais un dessin trop typé BD. Durant deux ans, j’ai réappris à dessiner en empruntant dans les bibliothèques[3], relâchant mon dessin en le réalisant au crayon le plus librement possible et le montrant régulièrement à Christiane, qui a adoré le dessin de Ourson a disparu[4], créé en 1993. Ce fut un cheminement de deux ans de réapprentissage du dessin.
Ce qui m’intéresse le plus chez les dessinateurs comme Q. Blake, Sempé ou A. Lobel, c’est la sensation qu’on retient en voyant l’image. Aller à l’essentiel, ne pas en rajouter. J’ai fait partie du collectif Moka qui est devenu Frémok. On a fait un seul numéro BD prise de tête. Mais je voulais avant tout raconter des histoires, retourner vers l’univers de l’enfant. Les magazines étaient de vrais tremplins pour commencer une carrière en BD. Fin des années 1980, début 1990, ce fut la première crise de la BD. On évoquait déjà la surproduction. On s’est donc retrouvé avec le seul Spirou magazine. Ce qui était chouette, c’était le cours d’histoire de l’art, qui manque vraiment dans les écoles «classiques». Cours de BD, de photo, peintres chinois et japonais, qui m’ont influencé…, en Europe, Edward Hopper. Ces deux années ont été un accélérateur. Apprendre à dessiner des humains d’après des poses est déterminant pour comprendre comment bougent les personnages.
Deux nouveautés: L’anorak rouge et L’été de l’indien et… improvisation!
J’avais inventé un gamin et une petite fille dans les années 1970. Ceux-ci font l’objet de deux albums qui viennent de paraître[5].
Quand je dessine, j’improvise vraiment. Je ne sais pas où je vais. J’invente déjà un peu le texte, mais toujours avec le support dessin d’abord. C’est avec ce découpage en chemin de fer que je vais expliquer le projet chez Pastel, puis j’écris l’histoire dessus. J’ai une image en tête, et à partir de celle-ci se greffe ou non une histoire. Comme cette histoire de crêpes en dernière image dans l’album L’été de l’indien[6], prévu en juin 2019, qui est un hommage à Petzi qui vivait ses aventures seul sans ses parents.
Comment apprendre à dessiner sans savoir dessiner?
Cela fait presque 30 ans que je fais des livres à l’aquarelle, et je découvre encore cette technique. J’utilise divers types de pinceaux pour gratter dans l’aquarelle et rendre l’herbe à ma façon. Je fais beaucoup de recherches avant d’arriver à dessiner un album. La tache est un exercice que je fais toujours avec un bâton d’encre de Chine diluée. À partir de taches, je fais des dessins[7]. Dessiner uniquement au pinceau m’a permis de libérer mon dessin. J’ai initié une série de dessins à l’encre de Chine, qui sont des exercices pour dessiner différemment, comme un entraînement sportif que je m’impose pour passer de la BD au livre pour enfant, et vice versa.
Après Ourson a disparu, j’ai fait un deuxième livre:Je suis le roi. C. Germain m’a fait rencontrer Mario Ramos et Andréa Nève, avec laquelle j’ai fait trois livres. Les côtoyer fut un autre déclencheur. Les discussions avec Mario, qui m’a fait découvrir beaucoup de choses, sa passion pour Tomi Ungerer, ce qu’il faisait quand il ne créait pas de livres pour enfants. Je me souviens que nous parlions de voir comment aller à l’essentiel sans se tromper. Maintenant, quand je raconte une histoire, je fais d’abord le dessin, qui doit venir seul, le texte étant presque de la décoration. Illustrer l’univers de quelqu’un d’autre, dans lequel je dois entrer, représente une autre difficulté. Il m’est difficile de travailler avec un auteur, car je dois faire mien son texte; ce qui demande plus de recherches dans mes carnets.
Dans l’autre sens, l’histoire de l’album Hortensia a été inventée par la romancière Marie Chartres, voyant le dessin d’un chien. Le texte est très séquencé. Je devais donc trouver le rythme du dessin: une double page puis un dessin en page de gauche et deux dessins à droite. Quand le chien rencontre l’âne, le découpage change. Je découpe le texte de l’auteur et je le place dans le dessin. J’ai aussi illustré le dernier roman de M. Chartres: Un caillou dans la poche. J’ai choisi le lettrage.
Akli doit traverser le désert pour aller chez son oncle et affronter les méchants génies. Il demande à Azumar le chameau de l'accompagner et pour le convaincre, il lui propose…
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