Le commencement de quelque chose (in Littérature - Literatur)

Basculer. Comme une terre retournée. La vie au fond, la mort dessus.
Je le sais. Jadis, on retournait la terre au plus abyssal. On appelait des herbes « mauvaises ». On fabriquait du fétide.
On était debout sur le tracteur, conquérant, face au vent, la main levée.
Le sens, c’était le sillon.
Droit, profond, droit.

Toute la main de l’Homme mise sur la nature, en cloche bruyante de Corybantes. Toute la nature dépullulée, juste pulée par manie de l’Homme, depuis tête de l’Homme, en copié-collé d’image dans tête de l’Homme, purement, totalement Homme.
C’était le pur de la nature, c’est-à-dire la nature pure produit de la main, de la tête de l’Homme. Avec l’intelligence de l’Homme, s’essayant à l’intouchabilité du label « Pur Esprit », Pur, Pur, Pur, s’extirpant en rêve de son appartenance au grouillant dégoûtant, tentant de couper le cordon, de s’affranchir, de se déconnecter, avec force nucléairesque, de son corps et…

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À PROPOS DE L'AUTEUR
Dominique Massaut

Auteur de Le commencement de quelque chose (in Littérature - Literatur)

Né à Liège (Belgique), le 20 septembre 1959.   
Depuis 1984, D. Massaut est acteur assidu au sein des milieux associatifs culturels liégeois (théâtre-action, coordination de projets, spectacles).     
Animait, avec Jacques Izoard (au centre culturel L’Aquilone à Liège), des rencontres littéraires – Les dimanches impairs de la poésie – ainsi qu’un club de cabarets littéraires dont l’objectif était de rendre la poésie festive, critique, accessible à tous. Parcourt en outre les scènes Slam de Paris, Bordeaux…Anime actuellement des ateliers (écriture, scène slam) et coordonne le vaste projet Slam du Centre de jeunes La Zone (Liège).               
Depuis 1991, créateur de nombreux spectacles de poésie et acteur au sein de ces spectacles.
Ex-membre de l’ex Big Band de Littératures féroces, avec Laurence Vielle, Vincent Tholomé, Frédéric Saenen, Christian Duray, Daniel Hélin et Mathieu Ha (2001-2002). Source : MaelstrÖm       Prix : En 1994, Premier prix auteurs du concours Un auteur, une voix, RTBF, émission Façons d'écrire, façons de parler (Belgique).  En 2004, Prix de la Ville de Liège au Concours Pyramides, Liège (Belgique).
  • L’œil du silence, L’arbre à paroles, 2000.
  • Le vieux sage, Les Editions de l’Heure, 2002.
  • Nourrir le rond, L’arbre à paroles, 2004.
  • De la « Cucaracha » qui voulait se faire aussi haute que l’Albatros et de ce qu’il advint – ou n’advint pas – de son mâle ruminant (poème hominien en « tu »), Editions Tétras Lyre, 2005.
  • Evasion d'un aï, L'Arbre à paroles, 2008.
  • Poèmes anxiolytiques, MaelstrÖm, 2007.
  • Je suis bête, Boumboumtralala, 2010.
  • Lymphéas, Le Coudrier, 2011.
  • Monsieur Tapecte, MaelstrÖm, 2011. (RéÉvolution).
  • Je m’en irai bientôt, Éditions Rafael de Surtis, 2013.
  • Multimédia
  • Monosyllabines, CD, 2014.


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    Introduction [page 37 de la version papier]  Dans son essai Fiction : l’impossible nécessité, Vincent Engel XX signale que « le discours sur la littérature de la Shoah est dominé par une insistance sur l’incapacité de ce discours et plus particulièrement sa déclination artistique » XX . De fait, le judéocide fut une expérience d’une monstruosité telle qu’elle paraît se situer au-delà de tout ce qui est humainement imaginable, dicible et transmissible. Cependant, ces trois concepts, Engel les qualifie comme des mots qui ne trahissent que notre incapacité à imaginer, dire et transmettre, « des mots qui ne disent rien sur ce qu’on entend qualifier à travers eux » XX .  Méditant sur le caractère toujours inédit et unique de l’expression de l’indicible, Engel montre comment le parcours du narrateur imaginé par Jean Mattern dans Les Bains de Kiraly XX (2008) atteste que, s’il est possible de surmonter la détresse en construisant un discours sur un événement apparemment inimaginable, indicible et intransmissible, le dépassement de cet inénarrable passe nécessairement par l’élaboration d’un récit personnel. 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Dans son article intitulé « Oubliez le Dieu d’Adam » XX , Engel relate qu’au cours de ses études de philologie romane à l’Université catholique de Louvain, son père lui offrit Paroles d’étranger d’Élie Wiesel, une lecture qui le bouleversa : Par le silence de mon père, par son indifférence à la chose religieuse, je redécouvre le judaïsme. Dans les livres, d’abord, au CCLJ (Centre Communautaire Laïc Juif) ensuite. Et Dieu se voile d’un drap sombre : celui de la souffrance à la puissance infinie d’Auschwitz. Toutes les souffrances se mêlent : celle de ma mère [décédée d’un cancer quelques années plus tôt], celle de la famille de mon père disparue dans les camps. (Idem, p. 72) Pourquoi parler d’Auschwitz ? Cette question, Engel s’astreindra à y répondre dès que cette réalité s’imposera à lui comme une « expérience marquante » bien que non vécue personnellement. La lecture et l’étude approfondie de l’œuvre de Wiesel imprimeront sur sa vision de la Shoah « un vocabulaire et des évidences : un monde était mort à Auschwitz, une société y avait fait faillite, et plus rien ne pouvait être comme avant » XX . D’où la nécessité, poursuit Engel, de « repenser le monde, refonder la morale, instaurer des conditions nouvelles pour la création artistique – pour autant qu’elle fût encore possible XX –, forger des mots neufs pour prononcer l’imprononçable [page 39 de la version papier] [...] » (idem, p. 18-19). D’autres évidences surgiront progressivement dans l’esprit de celui pour qui Auschwitz deviendra vite « une obsession » : celles de constater que la masse des documents publiés « n’ont guère servi à éduquer les gens » (idem, p. 20-21) et que les descendants des survivants, qui ont pour tâche de reprendre le flambeau du témoignage, doivent « trouver d’autres moyens d’expression, car ils n’ont pas vécu l’épreuve » (idem, p. 19). Si ses travaux scientifiques XX lui permirent d’« épuiser » la question « épuisante » de la responsabilité de Dieu devant le génocide juif ou, en tout cas, de tourner une page (ODA, p. 72), par après, c’est principalement à travers la fiction qu’Engel poursuivra cette interrogation sur la Shoah. Une interrogation qui trouve donc sa source directe dans la tragique histoire familiale et dans une identité juive ashkénaze fort ancienne. Comme il le détaille dans quelques interviews et articles XX , ses ancêtres paternels, polonais, étaient des juifs religieux appartenant à la bourgeoisie aisée. Bien que la situation dût se dégrader après la Première Guerre mondiale au cours de laquelle la famille se réfugia à Budapest où son père naquit en 1916, ils sont une famille juive inscrite dans le processus d’assimilation propre à cette période et à leur classe sociale ; les enfants fréquentent des écoles où ils côtoient la bourgeoisie polonaise catholique. Une intégration donc plutôt réussie mais qui n’empêchera pas leur déportation au début des années quarante. De toute la famille paternelle survivront un seul oncle, communiste avant la guerre et rescapé des camps, qui s’en ira faire sa vie à Los Angeles et y deviendra religieux orthodoxe, ainsi que le père de Vincent Engel, parti poursuivre ses études en Belgique vers 1938 et qui, après avoir passé la guerre dans les forces belges de la R.A.F, décidera de s’y installer définitivement : « Plus tard, il me dirait : “N’oublie pas que, pendant la guerre, des Juifs se sont battus”. » (Idem, p. 70.) Quand, à quarante ans, il rencontre son épouse, celle-ci, bien qu’appartenant à une bourgeoisie catholique bruxelloise imbue de solides préjugés, propose de se convertir au judaïsme. Une proposition qui sera rejetée par l’intéressé pour des raisons sur lesquelles l’écrivain ne peut que conjecturer : [page 40 de la version papier] Son athéisme s’était certainement renforcé à l’épreuve de la guerre et des camps. Ou bien, comme d’autres, refusait-il d’inscrire dans une telle tradition de martyre des enfants à venir. Ou bien, plus pragmatiquement, avait-il jugé que les meilleures écoles, à son avis, étaient catholiques. Hypothèse que conforte non seulement le refus de la conversion de sa femme, mais aussi le fait que ses enfants seraient baptisés, inscrits dans des écoles catholiques et feraient leur profession de foi. (Idem, p. 70-71) Une profession de foi qui, chez l’adolescent Engel, ne va pas de soi ! La découverte de l’œuvre de Wiesel et la relecture de Camus lui permettront de régler progressivement le conflit qu’il entretient avec ce christianisme qui prône la soumission, ferme les yeux sur les injustices les plus flagrantes – « Questionner Dieu sur la souffrance, celle d’Auschwitz ou celle de ma mère, accroît l’obscénité de la souffrance, puisque Dieu n’intervient pas et ne répond pas » (idem, p. 74) – et transmet à tous un goût certain pour la culpabilité. Ce qu’Engel (re)découvre dans Camus, la fausseté de la question de Dieu tout comme le devoir pour tout un chacun de suivre un cheminement éthique exigeant, n’est-ce pas en définitive ce que son père lui a transmis ? Évoquant ailleurs la figure paternelle, Engel insiste d’une part sur la certitude de celui-ci « qu’il n’y a pas de droits de l’homme sans le respect de devoirs, et de liberté sans responsabilité » ; d’autre part, sur « [son] impossibilité de dire à ses proches qu’il les aimait ». 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Après le dépôt du titre, ils se mettent en quête de nourriture, littéraire, iconographique, enquêtes de terrain… Et c’est sur les bases de cette matrice que vient se greffer le jeu d’acteurs. Pour ces derniers, il ne s’agit pas alors d’interpréter un théâtre écrit à leur attention, mais de poursuivre, en jouant, le processus d’écriture. Au fil des créations, les acteurs qui jouent pour Philippe Quesne, le metteur en scène du Vivarium Théâtre, sont devenus des personnages. Il l’accompagne – ils s’accompagnent – depuis les débuts de la compagnie. Les acteurs, les gens sur scène (dit Philippe Quesne), s’occupent aussi de la fabrication du décor. Le metteur en scène, pendant la représentation, assure la régie. Il semble que depuis La Démangeaison… ils se soient constitués en bande de travail. Non pas en groupe ou en collectif, mais bel et bien en bande : c’est-à-dire un ensemble de gens qui depuis cinq ans œuvrent ensemble, avancent ensemble, sont en train de chercher et de vivre ensemble. Telle que définie par Philippe Quesne, la notion de bande fait penser à une meute (de loups ou de dragons ou de hard-rockers, c’est selon), dont il reste le « chef » puisqu’il signe les mises en scène. Pour inventer son théâtre, la bande se nourrit de son imaginaire collectif et des contraintes rencontrées en chemin. Pour La Démangeaison… ils avaient dû travailler dans un appartement. Leur dispositif scénique s’en était inspiré. Des gens entraient et sortaient dans un (décor d’) appartement, pour venir y parler de leur désir d’envol, voire le mimer. Tentatives vaines, chutes assurées… c’était le thème de leur premier travail. L’Effet de Serge (production 2007), également présenté à Avignon dans le cadre de la vingt-cinquième heure, aborde le sujet de la solitude et de l’autonomie de l’artiste. Serge, protagoniste de l’histoire, vit dans un de ceux fameux appartement dessiné par le Vivarium : une sorte de hangar, avec pour accessoires ou éléments de décoration, (ça ressemble à du théâtre mais on pourrait aussi bien y habiter), une table de ping-pong, un ordinateur, des miniatures télécommandées, une chaîne Hifi… surtout de quoi faire des effets spéciaux. Car Serge, qui, en semaine, se livre à lui-même un paquet de chips servi sur plateau roulant téléguidé…, Serge le solitaire, a une âme d’artiste le week-end. Avec trois fois rien, il crée des spectacles de trois minutes qu’il présente à ses amis le dimanche. Il aime faire partager son idée du « beau » : machine roulante avec pétard sur une musique de Haendel, effet lumineux sur une musique de Wagner. Les amis-voisins-spectateurs assistent , ébahis, et commentent ou remercient. Philippe Quesne crée sur scène un dispositif qui englobe le plateau et la salle, et s’amuse à nous présenter son théâtre en train de se faire devant des acteurs qui jouent aux spectateurs. On n’entend pas toujours bien ce qu’ils disent à leur ami créateur. Quand leurs propos sont inaudibles, leurs présences sont accentuées. Là debout devant Serge, ils cherchent les mots pour décrire leur ressenti, ils ne fuient pas la poignée de main. Le Théâtre du Vivarium est avant tout un théâtre des corps. Pour Quesne, la scénographie se nourrit de sujet et des corps vivent dedans. Ils ont une façon d’habiter le plateau comme s’ils pouvaient y vivre (« ils », c’est-à-dire la huitaine de comédiens réguliers, et leur chien.) Philippe Quesne a utilisé, ailleurs, ce procédé de la « forme chuchotée ». Par exemple, lors des tournées internationales de D’Après nature – spectacle dont le thème prétexte était « la fin du monde » – il a fallu résoudre les problèmes de traduction. Pour ce faire, le metteur en scène ne considérant pas que la fin du monde ressemblait aux films de science fiction des années 1950, où d’immenses insectes dévoraient les terriens…, songeant plutôt qu’elle était calme et silencieuse, pas du tout violente mais proche de nous, comme incluse dans chaque geste de notre quotidien, a préféré que ses comédiens jouent tout doucement, dans une forme chuchotée, accompagnée d’un surtitrage.                                                                             * Au moins deux contraintes se posent à la bande pour la recréation de La Mélancolie des dragons à Avignon : d’une part, la gestion de la présence d’une seule femme au milieu d’un groupe essentiellement masculin (Isabelle en effet découvre dans un paysage enneigé sept hommes dont la voiture tirant un mobile home, est en panne) ; et, d’autre part, la réinvention scénique du spectacle à l’église des Célestins. La question de la présence féminine est évoquée avec humour par Philippe Quesne comme celle de Blanche-Neige au pays des sept nains, qui sont ici sept hard-rockers aux cheveux longs. Quant à l’adaptation du spectacle aux lieux, c’est en quelque sorte une de leur spécialité. Le Vivarium théâtre est une communauté d’acteurs qui travaille à l’occupation d’espaces autrement et à L’Invention des spectateurs. Le Vivarium invente des formes en milieu urbain autant que dans des forêts. Ils se soucient de notre organisation sociale, de nos vies d’humain et du monde, et utilisent le théâtre pour exposer leurs préoccupations : font du théâtre de tout, et partout. Certains projets sont conçus pour des lieux en extérieur : villes, parcs et forêts, etc. D’autres le sont pour de grandes scènes internationales (il sont programmés aux États-Unis, au Brésil, en Allemagne, Suisse, Pologne…). Ils inventent aussi des formes spécifiques nourries des échanges avec les habitants et de leur expérience dans un contexte urbain, souvent pendant les temps de résidence (au Blanc-Mesnil où ils ont séjourné trois ans.) Pour en revenir à La Mélancolie..., il sera notamment question de loger une voiture et un mobile home dans le cloître des Célestins, à proximité des platanes, d’évoquer en été des paysages enneigés (souvenirs de tournée en Islande), de suggérer des monstres sans en montrer. L’imagerie des dragons a fait long feu depuis le moyen-âge. Sur scène, il n’en restera que le goût de l’inquiétude et de l’étrangeté, traduit par un « ballet de formes » proche de la marionnette : dans un finale fantasmagorique, le paysage se sature de formes gonflables, sortes d’énormes tubes dressés et sombres. De la mélancolie si généralement référencée à la toile de Dürer, pas de tableau ni même d’allusion au maître. Pour Philippe Quesne, la mélancolie est une protection face au désenchantement. Elle n’a rien à voir avec la folie ou avec la nostalgie. Il s’agit d’un état lié à la création. Dans le spectacle, la mélancolie est transformée en parc d’attractions ! Elle entre en collision avec les dragons. L’association des mots mélancolie et dragon rappelle à Quesne l’incroyable…