Auteur de Le cœur de Spinoza : vivre sans haine
Philosophe, auteur d’ouvrages sur Spinoza (Nos devenirs spinoziens, fraternels et anarchistes, Spinoza au ras de nos pâquerettes), sur Deleuze (36 outils conceptuels de Gilles Deleuze pour mieux comprendre le monde et agir en lui), co-auteur de Penser la ville avec R. Schoonbrodt, Pierre Ansay livre un essai qui, dépliant la question des affects, de la physique des passions, de la gouvernance de soi dans la philosophie de Spinoza, produit une lecture performative de l’auteur de L’Éthique. Que produit sur nous, lecteurs, le panthéisme spinoziste ? Quelle boîte à outils nous lègue-t-il afin de bien vivre avec nous-mêmes et les autres ? Comment fréquenter son œuvre nous permet-il de nous orienter dans la vie ?Loin…
Couvrez-les bien, il fait froid dehors… Conversations avec Fatima Ezzarhouni
Sophie Pirson nous donne à lire les fragments de ses nombreuses conversations avec Fatima Ezzarhouni, une femme rencontrée dans un programme de médiation. Rien n’est anodin dans l’espace de parole qui a permis une entrevue surprenante entre les deux femmes, l’une étant une Bruxelloise dont la fille a été blessée lors de l’attentat de Maelbeek, et l’autre, une Anversoise d’origine marocaine dont le fils radicalisé est parti en Syrie. Nous comprenons rapidement que les 2 protagonistes refusent de devenir ennemies. Cette évidence partagée ouvre la voie vers leur rencontre, à la découverte de leur part commune d’humanité, mais aussi de leur altérité. Elles auraient toutes les raisons de basculer dans la haine, la tristesse ou l’amertume, mais les larmes suscitées par leur récent séisme les poussent viscéralement à partir en quête de compassion réciproque. Nous créons un cercle où chacune et chacun peut avancer vers l’autre à pas feutrés. Au centre, le vide recueille nos souffles. Ce creux est un puits dans lequel on verse des mots, où s’entremêlent les noms des morts et des vivants. On parle aussi des absents, ceux qui vivent en nous, quand l’espoir d’un retour donne aux battements du cœur un rythme particulier. La parole peut être fragile, rude, rieuse, intime, douloureuse, indomptée ou pudique. Le puits se remplit de nos dires et rend l’écho de nos murmures. Le silence même vibre. Un espace s’ouvre où surgit humblement la vérité de chacune, de chacun. Ensemble, nous alignons des fragments d’humanité. Sophie Pirson relie sans transition des anecdotes relatées dans la chaleur de l’intimité, où se tisse peu à peu avec simplicité une « amitié inattendue […] entre deux femmes fortes, marquées par la vie, mais pas captives ». L’autrice partage dans son récit les moments clés de sa vie et ceux de sa nouvelle amie, avec des arrêts et des digressions sur certains mots, certaines émotions, ainsi que leur écho en elle et en Fatima. Couvrez-les bien, il fait froid dehors… est un témoignage au style fluide qui met en valeur l’importance de la parole, la transmission de valeurs fortes et le pouvoir de la vulnérabilité. Les nombreux non-dits qui parsèment le texte offrent la possibilité au lecteur de les combler avec pudeur et de trouver un doux réconfort dans la beauté. Il y a cependant, entre ces lignes, des blessures secrètes, des espoirs déçus, des joies inavouables, des parts d’ombre, des amours et des désamours, des beautés indicibles, des colères tues, des drames inracontables présents au cœur de nos conversations et que nous décidons de taire. S’il reste des secrets, nous espérons qu’ils auront la force des rivières souterraines. Il y a des histoires derrière les histoires, et des silences qui ont le poids des mots. La préface rédigée par David Van Reybrouck, historien de la culture et écrivain belge d’expression néerlandaise, donne du relief au récit et dresse une passerelle entre deux fossés, affinant par la même occasion l’imperméabilité des parois qui les séparent. Une belle invitation à envisager la rencontre comme un moment de grâce… Séverine Radoux C’est à l’été 2018 que Sophie Pirson rencontre Fatima Ezzarhouni dans un groupe qui rassemble des proches de jeunes radicalisés, des personnes victimes ou proches de victimes des attentats et des intervenants de première ligne. Le 22 mars 2016, la fille de Sophie a été blessée dans l’attentat du métro Maelbeek. Le fils de Fatima est parti combattre en Syrie le 16 juin 2013. Ces deux mères que tout devrait opposer vont se parler, se découvrir, se construire ensemble une amitié et une intimité fortes, à partir de leurs déchirures et au-delà de l’horreur. Sophie Pirson peint d’une écriture sensible ce récit croisé où les deux voix se répondent en harmonie. Pour conclure son…
Une démocratie approximative L’Europe face à ses démons
Plus de soixante ans après le Traité de Rome, peut-on dire que l’Europe est démocratique ? C’est l’une des questions que pose Véronique De Keyser, ancienne députée socialiste européenne (de 2001 à 2014) et professeure émérite de psychologie à l’ULiège, dans son livre Une démocratie approximative. L’Europe face à ses démons, lauréat du Prix du livre politique 2018 . La création de l’Europe après la Deuxième guerre mondiale symbolisait la réconciliation des peuples sur un champ de ruines. Jusqu’au début des années 2000, les crises qu’elle a traversées ont été surmontées et son existence n’a jamais été vraiment questionnée. Il n’en est plus de même aujourd’hui (…) L’Europe a encore ses défenseurs, mais ses détracteurs se font de plus en plus nombreux . Ces dernières années, la fragilisation des services publics, l’austérité consécutive à la crise financière de 2008, la question de l’immigration et des réfugiés, l’irruption des attentats islamistes sur le continent ont transformé l’Europe de l’ouverture et de la solidarité en une forteresse frileuse, repliée sur ses états.Certains signes interpellent l’autrice : le succès électoral des partis d’extrême-droite souligne le retour des discours de haine de l’Autre, parallèlement à la montée de l’euroscepticisme, fondé sur « une rhétorique du complot ; c’est la faute à l’Europe, l’Europe totalitaire, l’Europe des technocrates ».Or, l’UE fait face à des procès infondés : « on reproche souvent ‘à l’Europe’ de ne pas faire de social, de ne pas avoir une politique d’immigration commune, de favoriser le dumping par manque d’harmonisation fiscale européenne – mais, il s’agit de domaines sur lesquels, pour l’instant, elle n’a pas de compétence ».Dès lors, pour éclairer ce qui se passe en Europe et l’émergence des « démons » qui la guettent, Véronique De Keyser fait appel à des notions définies par le psychanalyste Jacques Lacan : le symbolique, l’imaginaire et le réel.À l’origine, l’Europe s’enracine dans une volonté de transcender un réel historique tragique : proposer « une réponse à l’horreur de la Seconde Guerre mondiale. Mais une réponse solidaire, née dans la résistance et les camps de concentration ». Une Europe soucieuse d’altérité, de coopération entre les peuples.Mais l’Europe n’a pas tenu ses promesses démocratiques : elle a échoué à incarner un pouvoir symbolique tutélaire. Soumise à l’influence des lobbys économiques, à la remorque des grandes instances financières (Banque mondiale, Fond monétaire international), guidée par des fonctionnaires ultra-libéraux non élus, elle n’apparaît pas garante de l’intérêt général et n’a cure de protéger les populations, ce qu’a clairement démontré le traitement indigne qu’elle a réservé à la gestion de la crise grecque.Pour corser le tout, l’Europe ultra-libérale, non contente de torpiller les démocraties en difficulté, a contribué à l’essor des « dérapages de l’imaginaire » réactivant les démons de l’extrême : « Exploitant le sentiment d’injustice et de frustration de communautés ou de groupes objectivement défavorisés, les tribuns populistes produisent une rhétorique qui mobilise exclusivement l’imaginaire (…) Le populisme c’est d’abord l’absence de pluralisme. Et donc de confrontation à l’Autre ».Suivant Jürgen Habermas, Véronique De Keyser détecte, à travers ces mouvements contradictoires, une « dialectique ouverture/fermeture » (Jürgen Habermas, Après l’état-nation ) à l’œuvre en Europe : des « réseaux d’échange » , économiques et financiers, ouverts tous azimuts face à des « mondes vécus » par les citoyens, fermés sur eux-mêmes. En un mot, une Europe qui enchante les capitalistes et inquiète les populations.Serait-il dès lors possible de réconcilier l’Europe avec les peuples qu’elle a si longtemps snobés ? Pour Véronique De Keyser, il n’y a pas quantités de solutions : « 1) ou l’Europe implose en sauvant les meubles (comme sa zone de libre-échange) et alors chaque état membre est nu par rapport à ses propres démons nationalistes 2) ou l’Europe intègre une dimension sociale et citoyenne qui lui manque totalement. Il n’y aura pas de troisième voie ».Pour résoudre cette équation, Véronique De Keyser fait confiance aux jeunes générations qui, en quelques années, ont appris à maîtriser efficacement les outils numériques et investi massivement les réseaux sociaux avec une capacité de mobilisation politique étendue, sinon planétaire. De quoi promouvoir, selon l’autrice, une démocratie approximative , positive, bien que dépourvue de fonctionnement institutionnel, à l’image de la « connaissance approximative », multiple, massive, vivante et non hiérarchisée, qui s’est développée…