Le Bestiaire n° III de Marcel Broodthaers : poèmes (1960-1963)

RÉSUMÉ

Marcel Broodthaers, relisant et détournant les Fables de Jean de la Fontaine, cherche à brouiller la frontière entre humain et non-humain : « tout est emmêlement — la figure naïve de l’animal et la figure innocente de l’homme », note Jean Daive, passeur avec Maria Gilissen-Broodthaers de sa poésie. Pour approcher ces nuances infinies, qui travaillent les frontières entre les règnes comme elles travaillent les règnes eux-mêmes, l’écriture de l’artiste belge se fait labile, tramée de dessins et de ratures qui l’interrompent et la relancent.

À l’image de ce qu’il avait fait avec Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Stéphane Mallarmé, dont il avait caviardé chaque vers pour repousser plus loin encore la limite entre sens et non- sens, il ne cesse dans Le Bestiaire de raturer ce qu’il écrit. Les poèmes de ce volume relèvent d’une intranquillité enthousiaste, comme le souligne Jean Daive : « dire et raturer, redire et raturer, écrire et raturer, et raturer la rature, et de nouveau la rature la raturer et l’expliciter autrement »…

Cette intranquillité se traduit dans l’entremêlement d’un désir d’écrire de la poésie et d’un désir de dépasser la poésie. On peut se souvenir que c’est à partir d’une cinquantaine d’exemplaires invendus des poèmes de son Pense-Bête qu’il réalisait sa première œuvre plastique en 1963-1964, en les figeant dans une base informe de plâtre. Plus tard, ce sont deux vers du Bestiaire qui lui donneront l’idée de son fameux musée imaginaire, initié en 1968, le Département des aigles : « Ô Tristesse, envol de canards sauvages / Ô Mélancolie, aigre château des aigles »… Comme si sa pratique conceptuelle et critique naissait chaque fois des cendres de sa poésie.

À PROPOS DE L'AUTEUR
Marcel Broodthaers

Auteur de Le Bestiaire n° III de Marcel Broodthaers : poèmes (1960-1963)

Marcel Broodthaers est né à Saint-Gilles (Bruxelles) le 28 janvier 1924 et est mort à Cologne (Allemagne) le 28 janvier 1976. D’abord écrivain, poète et journaliste, mais aussi photographe et réalisateur de films, sa carrière d’artiste plasticien commence en 1964 par une exposition à la Galerie Saint-Laurent (Bruxelles) où il présente 50 exemplaires invendus de son recueil de poésie Pense-Bête scellés dans du plâtre. Cette œuvre symbolise son passage du textuel au monde de l’objet. Broodthaers ne cessera pourtant jamais d’être un poète. Il est fasciné par de grands auteurs comme Baudelaire, Mallarmé, Poe. Broodthaers est également très influencé par le peintre René Magritte qui joue dans ses tableaux avec le rapport existant entre l’objet, l’image qui le représente et le mot utilisé pour le désigner. Durant toute sa carrière, Marcel Broodthaers n’a cessé de questionner les liens entre l’œuvre d’art, le public et le monde muséal. Ses célèbres installations poétiques réalisées à partir de coquilles de moules et des coquilles d’œufs peuvent apparaître comme un questionnement de ce système (les coquilles sont vides, comme l’est le discours des critiques artistiques) mais également comme un jeu sur le langage (la coquille de moule est le moule de la moule). Ses réflexions sur la fonction des musées se poursuivent en fondant le Musée d’art Moderne – Département des Aigles (1968-1972), comprenant une douzaine de sections qu’il ouvre l’une après l’autre pendant quatre ans. Broodthaers pose la question suivante : un objet exposé dans un musée (même imaginaire) suffit-il à le transformer en œuvre d’art ? L’œuvre de Marcel Broodthaers est singulière, comme sa position dans l’histoire de l’art du 20e siècle. Broodthaers se situe cependant au carrefour de nombreux courants artistiques, et il serait réducteur de l’enfermer dans un courant en particulier.

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