Marcel Broodthaers, relisant et détournant les Fables de Jean de la Fontaine, cherche à brouiller la frontière entre humain et non-humain : « tout est emmêlement — la figure naïve de l’animal et la figure innocente de l’homme », note Jean Daive, passeur avec Maria Gilissen-Broodthaers de sa poésie. Pour approcher ces nuances infinies, qui travaillent les frontières entre les règnes comme elles travaillent les règnes eux-mêmes, l’écriture de l’artiste belge se fait labile, tramée de dessins et de ratures qui l’interrompent et la relancent.
À l’image de ce qu’il avait fait avec Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Stéphane Mallarmé, dont il avait caviardé chaque vers pour repousser plus loin encore la limite entre sens et non- sens, il ne cesse dans Le Bestiaire de raturer ce qu’il écrit. Les poèmes de ce volume relèvent d’une intranquillité enthousiaste, comme le souligne Jean Daive : « dire et raturer, redire et raturer, écrire et raturer, et raturer la rature, et de nouveau la rature la raturer et l’expliciter autrement »…
Cette intranquillité se traduit dans l’entremêlement d’un désir d’écrire de la poésie et d’un désir de dépasser la poésie. On peut se souvenir que c’est à partir d’une cinquantaine d’exemplaires invendus des poèmes de son Pense-Bête qu’il réalisait sa première œuvre plastique en 1963-1964, en les figeant dans une base informe de plâtre. Plus tard, ce sont deux vers du Bestiaire qui lui donneront l’idée de son fameux musée imaginaire, initié en 1968, le Département des aigles : « Ô Tristesse, envol de canards sauvages / Ô Mélancolie, aigre château des aigles »… Comme si sa pratique conceptuelle et critique naissait chaque fois des cendres de sa poésie.
Auteur de Le Bestiaire n° III de Marcel Broodthaers : poèmes (1960-1963)
Son art est la simplicité même. On a souvent confondu cette limpidité qui semble couler…