Là où se forment les montagnes | Objectif plumes

Là où se forment les montagnes

RÉSUMÉ

Il était toujours bel homme. Beau. Droit. La médecin du travail a vu. C’est son métier. Elle lui a dit quelque chose ne va pas. Il est resté cinq ans en faisant les deux. Travailler. Avoir mal. S’il n’y avait pas eu la médecin du travail il n’aurait pas eu le droit d’arrêter. Arrêt thérapeutique. C’est le nom. Arrêt total. Cent pour cent. Il gagnait plus qu’en travaillant. Il a arrêté de travailler pour devenir homme au foyer. Arrêté pour vivre entièrement sa douleur. Il m’emmenait au travail. Il t’emmenait à l’école. Il rentrait à la maison. Il trafiquait. À droite. À gauche. Tu n’allais pas à la cantine.
Il te cuisinait des frites. Des poissons panés. Une pièce de bœuf. Je n’ai jamais su ce qu’il faisait. J’aurais voulu rester à la maison. Être comme lui. Vaquer à mes occupations. Il m’a proposé qu’on échange de corps pour voir la différence. Je lui ai dit non.

Pour sa fille enceinte et empêchée d’assister à l’enterrement du père, une mère se souvient et raconte l’homme malade avec qui elle a partagé sa vie. Peu de place ici pour la psychologie, le roman se concentre sur des sensations liées aux petites choses du quotidien, au temps qui passe, aux gestes, aux verbes, aux images qui constituent la vie et qui mis bout à bout tissent un délicat récit intime, déroutant de sincérité.
Ce monologue est celui d’une femme enfermée dans un quotidien rétréci par la maladie de son mari où pointe pourtant, par petites touches, quelque chose de plus vaste. Cette femme donne à la fois de l’attention, du soin et de l’amour petitement dit et le raconte avec les mots simples, touchants, parfois cruels ou drôles qui sont les siens.
Pauline Allié excelle à travailler le rythme, la ponctuation, la musique des mots et donne à entendre physiquement le récit. Rien n’est suspendu, pas de sous-entendus, ni de sens caché. Tout ce qui est à voir, entendre, comprendre est là, présent.
Les images de Carlotta Bailly-Borg sont comme des avatars élastiques, des pantomimes polymorphes qui traversent le monologue, rebondissent contre les mots, se glissent entre les pages, proposent une chorégraphie singulière en miroir du récit.

 

À PROPOS DE L'AUTRICE
Pauline Allié

Autrice de Là où se forment les montagnes

Après un cursus artistique à La Villa Arson (Nice, France), Pauline s'installe à Bruxelles où elle vit depuis 2015. Membre fondatrice de la revue Sabir, elle écrit aussi des textes qui sont publiés en revue et dans des ouvrages collectifs. En 2017, elle publie Album aux éditions Héros Limite/HEAD Genève. Son premier roman, Là où se forment les montagnes, paraît aux éditions du Chemin de fer en 2025. Elle anime régulièrement des ateliers d'écriture en milieu psychiatrique. En 2025, elle cofonde, avec Eva Anna Maréchal, les éditions Pauline Arsène.
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Il s’appelait Jean. Il n’avait pas de cheveu blanc. Il portait des lunettes tout le temps, et des cravates quand il travaillait encore. Il a exercé comme secrétaire de direction dans une clinique (où les femmes l’appréciaient), puis a été forcé de devenir homme au foyer. Il aimait Johnny Halliday et le ukulélé, et rêvait de parler plusieurs langues. Il s’était coupé du monde, par pudeur. Il gardait les objets, les photos, les vêtements, les papiers. Il était en couple depuis quarante-six ans, avait trois filles et un frère jumeau adorés. Il ne parvenait pas à porter les pommes de terre dans sa bouche sans en faire rejoindre le sol. Il peinait à chaque mouvement, requérait sans cesse l’aide de son épouse. Il souffrait. Intensément : « Il dit. Est un rhumatisme…


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«  Il a réglé la course, est sorti en sifflotant et, sans se retourner, il a soulevé son chapeau en guise d’adieu  », telle est la dernière image qu’a laissée Soren. Nous sommes à Bordeaux, en novembre 2017, et ce musicien et producteur âgé de cinquante-huit ans a demandé au chauffeur de taxi de le déposer à l’entrée du Pont de pierre. Après, plus rien… plus de Soren. Qu’est-il advenu ? Le roman de Francis Dannemark et Véronique Biefnot s’ouvre sur cette disparition et met en récit plusieurs voix. Elles ont toutes connu Soren, de près ou de loin. Chacune d’elles plonge dans ses souvenirs, exhume des moments passés en sa compagnie, des instants de sa vie et, dans une polyphonie où les sonorités tantôt se répondent tantôt dissonent, elles livrent au lecteur une reconfiguration de ce mystérieux Soren, tentant de lui éclairer le mobile de son départ. Chacune y va de sa modulation. «  On dira Soren ceci, Soren cela.. on dit tant de choses, mais au fond, qu’est-ce qu’on sait ?  » Lire aussi : un extrait de  Soren disparu  La construction du roman joue sur un décalage entre temps de narration et temps de récit. Tandis que cette volatilisation du personnage principal orchestre les interventions des différents narrateurs – celui-là l’a appris par téléphone, l’autre en écoutant la radio, celui-ci l’annonce à son père, un autre encore y songe à partir d’une photo de chanteuse dans un magazine etc. –, les récits font appel à une mémoire narrative qui reconstruit, rend présente une antériorité qui parcourt la vie du disparu, de son enfance à cette nuit sur le pont. «  Un souvenir entraîne l’autre. Quand on commence, on n’en finirait plus…  »Cette temporalité se déploie dans une spatialité qui accroît le côté mémoriel des interventions. Le lecteur arpente un Bruxelles d’autrefois ; de l’auditoires de l’ULB au Monty, le piano-bar-cinéma d’Ixelles, près de Fernand Cocq, de la chaussée de Ninove au Mirano Continental, la capitale se fait le lieu de ce festival narratif. [L]es soirs où je glandais, on traînait ici ou là, au Styx, on attendait une heure du mat’, avant ça, rien de bien ne se passait nulle part. À pied la plupart du temps, on allait jusqu’à la Bourse, au Falstaff, à l’Archiduc…, on se faisait parfois refouler à l’entrée quand on était trop murgés ou trop nombreux, ou qu’un truc nous avait énervés, un film ou un bouquin, et que la discussion déraillait. On buvait du maitrank ou des half en half, ou rien, ça dépendait de qui payait la tournée, ensuite, on montait le nord, sous le viaduc, vers l’Ex, ou alors à la rue du Sel parfois.  Cent-douze récits rythment ce roman choral où la musique est omniprésente . Fitzgerald, Les Stranglers, Wire, Chet Baker, Branduardi, Kevin Ayers, Neil Young, … La compilation forme une constellation où luisent les traits saillants qui permettent d’appréhender, par fragments, le disparu, de retracer son parcours, avec, en fond, ces musiques qui résonnent et accompagnent la lecture.Le duo Biefnot-Dannemark, déjà connu pour La route des coquelicots (2015), Au tour de l’amour (2015), Kyrielle Blues (2016) et Place des ombres, après la brume (2017), offre un nouveau quatre mains avec Soren disparu . Un roman kaléidoscope où se font échos les témoins de la vie de Soren ; lesquels, dans l’exploration du pourquoi et du comment d’une perte, mettent en lumière le temps qui passe, la complexité de l’existence et sa fugacité.Une nuit, traversant un pont, Soren disparaît. Tour à tour producteur, musicien, organisateur de festivals, cet homme multiple n'a eu de cesse d'arpenter le monde de la musique. Pour percer le mystère de sa disparition, une centaine de témoins…

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