Ce projet, s’il voit bien le jour, ne tiendra pas à l’usure du temps et le couvent sera abandonné. De celui-ci, il ne reste aujourd’hui que quelques ruines. Assez pour écrire, pour construire un puzzle de fragments et pour faire advenir un récit qui recrée un lieu, son utopie et sa poésie.
Ce récit d’un échec est avant tout celui d’une force, celle du commun à construire, mais aussi celle d’une présence à l’autre, à travers la nature qui affleure à tout instant.
En effet, des femmes, hors champs puisque recluses, rêvent d’une communauté de lieu et de pensée. Seules dans leur utopie, elles développent une intimité puissante avec leur environnement. Jardin, plantes, insectes, animaux sont convoqués pour nous emmener dans leur univers où le temps se suspend.
L’écriture de Romain Billard, toute en réserve, ellipse et concision, nous esquisse ce tableau par petites touches, par moments suspendus. Cette écriture porte en elle une sérénité et une musique qui nous fait adhérer à ce rêve d’un autre temps pour le ramener au temps présent. C’est notre besoin de maison, notre besoin d’habiter le monde, mais aussi notre besoin de le posséder qui sont ici interrogés et mis en balance avec nos besoins de commun et de nature. Pourtant rien ne s’oppose, les fils se tissent au fil des fragments pour composer une géographie de l’ici et de l’ailleurs à travers le temps.
Les images d’Anne Marie Finné sont dessinées sur papier carbone, ce papier qui tout à la fois laisse une empreinte et en garde la trace. Ici, la matrice devient l’image, et les noirs profonds des dessins que ce papier permet, résonnent lontemps avec le texte pour l’augmenter de leurs lectures.
Thibaut Creppe n’est pas un inconnu au sein du petit monde de la littérature belge. Né en…
Derrière les paupières… l’immensité
Ambitieux sans prétention, aussi mégalomane que généreux, le recueil de CeeJay est volumineux. C’est celui d’un aveugle, Derrière les paupières , qui sait qu’il ne sait rien de l’immensité . Cependant, il la sent et l’aperçoit dans l’intime lumière de son âme. Il écrit sans relâche pour l’appeler à lui, la rejoindre.L’auteur s’adresse à elle non dans ses replis et interstices, mais dans son incommensurabilité. En un arbitraire abécédaire de l’extrêmement grand — terre, temps, espace, astral, pensée, rêve… —, ses poèmes nous disent, nous rappellent et provoquent le gigantisme qui coule dans nos veines depuis-pour toujours. Le poète illimite nos sens, notre être venu pour donner et notre existence avide d’air . J’aime n’être pas immortel cela donne accès à l’humanité l’être a besoin d’immensités qui le dépassent. CeeJay questionne donc ces thèmes totaux qui traversent, parfois transpercent, chacun au moment délicat de se construire une identité entre l’enfance et l’âge adulte. Si l’auteur de soixante-trois ans verse ainsi dans les bouillonnantes écumes de l’adolescence, faut-il rappeler qu’il est un régulier slameur, un adepte de poésie orale, urbaine, toujours prêt à déclamer dans les lieux de toutes natures et cultures ? CeeJay est parvenu à ne pas grandir pour emprunter la seule voix et voie qui soit : devenir libre. Et grandir lucide. Nous avons des ailes que nos racines retiennent quand la beauté pénètre le cœur. Ponctué de ses gravures chapitrant un dictionnaire amoureux de tout, absolument tout sur terre et au ciel, ses textes se lisent aisément, avec fluidité, comme un long récit ou un carnet de voyage sans fin ni destination. Il s’en extrait une réjouissance, beaucoup de paix, de la douceur tournée vers les étoiles.Pour cette fois, la poésie n’est pas une errance intérieure mais une flèche à la pointe enflammée vers l’infini et au-delà. Libre d’apesanteur, elle perce ce qu’elle illumine, brièvement, toujours plus profondément. Cette flèche est unique et connue de tous. De Cupidon. Telle une comète, une longue traîne la poursuit : l’histoire d’amour universelle dont Reste le souffffffffffffle éternel et fondateur dans le ventre des êtres pleinement vivant. Se souvenir que l’érosion est lente qu’il faut ciseler l’amour jusqu’à la perfection aimer pour…
Pierre TREFOIS (Textes), Valentine DE CORDIER , S’élever aux signes , Éranthis, 2018, 25 p., 12 €, ISBN : 9782874830167Les deux petits volumes que publient coup sur coup les éditions Éranthis ont quelque chose d’un polyptique littéraire qui unirait, dans un même mouvement scriptural et pictural, deux livres pourtant distincts. Le lien entre ceux-ci ? Les « mains silencieuses » de l’artiste, celles en l’occurrence de Pierre Tréfois qui, dans S’élever aux signes , met en quelque sorte sa plume au service des toiles de Valentine De Cordier et dans l’autre, se fait illustrateur des écrits intimes de Véronique Wautier. La maquette agréable et sobre choisie par l’éditeur (format, grain du papier de couverture, rendu des illustrations, …) fait de ces deux minces recueils des objets que l’on se plaît à feuilleter, à ouvrir, l’espace d’une ou deux minutes, pour y picorer une image, un fragment, un mot. Une mélodie aussi puisque dans le premier, chaque texte, en regard d’une peinture, est accompagné d’une référence à une chanson, à un musicien (Keith Jarret, Pink Floyd, Leos Janacek, …) comme pour ajouter une dimension sonore aux résonances qui s’établissent entre écrit et image. Dans S’élever aux signes , les brefs poèmes de Pierre Tréfois seraient comme des débuts d’histoires suggérées par les œuvres de Valentine De Cordier à l’instar du beau poème intitulé La touche rupestre sur une musique de Léonard Cohen, C’était en quelque sorte le prix de la location : chaque voyageur devait ajouter son pigment personnel à la fresque murale qui hallucinait la chambre. Ils y passèrent la nuit et se quittèrent à l’aube, sans s’être touchés. Elle retourna à San Francisco, lui à Ottawa, des vertiges plein de fêlures, Summer of Love et vague à l’âme en bandoulière. Le second volet de ce diptyque éditorial est marqué par l’écriture parcimonieuse de Véronique Wautier qui dit l’écho du silence au moment de l’écriture mais aussi la complicité ainsi que l’étreinte avec l’autre, essentielles au moment de la création, j’ai besoin quand j’écris que tu te penches sur ma feuille il y a ce tu dans l’écriture sans lequel je ne trouve pas l’usage des mots Cet autre sans qui, toute tentative de mettre en mots ce qui est « tu » semble bien vain. Car c’est au fond, l’artiste, musicien, peintre ou écrivain, qui, dans le dénuement de l’échange, redessine…