Autrice de La magie du frangipanier
Le ciel de Clémence s’est obscurci lorsqu’elle avait treize ans. Alors qu’elle empruntait le métro pour rentrer chez elle, deux jeunes hommes l’ont sauvagement agressée et violée. Après cet acte lâche et barbare ont suivi des années difficiles, un long chemin de reconstruction physique et surtout mentale. Aujourd’hui, âgé de vingt ans, la jeune femme semble avoir repris goût à la vie. Elle fréquente les bancs de l’Université Libre de Bruxelles. Elle s’y rend en métro chaque matin, non sans craintes, mais avec la niaque d’une survivante. De petits rituels l’aident quand l’angoisse l’envahit. Elle s’imagine au pied d’un frangipanier, ce bel arbre qui peuple le pays de son père, malheureusement décédé peu auparavant d’un cancer. Clémence aimerait…
De fer et de verre. La Maison du Peuple de Victor Horta
Pour les Bruxellois branchés du vingt-et-unième siècle, la Maison du Peuple est un bar ouvert sur le Parvis Saint Gilles ; pour les aînés, un édifice du quartier de La Chapelle qu’ils ont peut-être fréquenté, une Maison rouge ; pour les amateurs et les férus d’architecture, un bâtiment public, chef-d’œuvre de l’Art nouveau, né du talent Victor Horta à la demande du Parti Ouvrier Belge à la fin du dix-neuvième siècle et l’exemple type de la brutalité des spéculations immobilières, de la mémoire défaillante des hommes et de l’inconséquente bruxellisation. Pour beaucoup, elle n’est pas même un souvenir. L’intérêt de Nicole Malinconi pour l’histoire de ce bâtiment inauguré en 1899 en présence de Jean Jaurès et détruit en 1965 s’éveille lors de l’écriture de textes brefs sur les choses démolies ou en cours de démolition à Bruxelles. Elle qui, depuis Hôpital silence , écrit au risque de et contre la perte est touchée par ce destin. Plus elle approfondissait sa connaissance de la Maison, plus son écriture s’ouvrait, accueillait. Advenait. Et elle d’en écrire l’histoire presque comme si c’était celle d’une personne (« on peut dire qu’elle en avait vu des choses et connu des hommes »). De l’inscrire dans l’histoire de la Belgique, du mouvement socialiste belge, de ses trahisons aux ouvriers, des deux guerres mondiales, des grèves de soixante… À lire aussi : un extrait de De fer et de verre La vie de la Maison du Peuple commence vingt ans avant sa conception, sur un constat : les plus pauvres sont floués sur la qualité du pain, d’autres s’enrichissent à leurs dépens. Pour y remédier, une coopérative est fondée, très vite devenue prospère. Pour continuer ces activités boulangères et d’autres, une Maison du Peuple est créée dans l’ancienne synagogue de la rue de Bavière. Le succès est vif ; les projets de coopératives se multiplient, le café déborde de monde. Il faut un édifice plus grand encore. Le Parti Ouvrier belge se met à rêver d’un bâtiment à la grandeur des besoins du peuple, qu’il s’agisse des nécessités alimentaires, vestimentaires, intellectuelles – l’instruction et la culture font partie des préoccupations du Parti. Il achète un terrain exigu, irrégulier, en pente dans la rue Stevens et demande à Victor Horta, architecte dont la vision moderne des matériaux est déjà réputée, de dessiner cette maison grandiose. Celui-ci l’imagine tel un « palais ». Un palais pour la classe ouvrière qui respectera l’organisation des coopératives. Un palais de quatre étages avec ateliers, bureaux, café, magasins, salle d’assemblées politiques, culturelles et festives. S’y tiendront les grands débats de société (l’affaire Dreyfus, le suffrage universel…), les grands combats socialistes, politiques, pacifistes… Nicole Malinconi raconte ces événements historiques avec la même sensibilité que les plus petites choses, comme ces femmes qui, lors la première guerre mondiale, transformaient les sacs de farine en taies d’oreiller, serviettes… ou brodaient des remerciements aux villes américaines bienfaitrices. Lorsque son récit aborde les abymes de la seconde guerre mondiale, elle s’éloigne pas à pas de la rue Stevens et nous emmène dans le proche et populaire quartier des Marolles, terre d’accueil et d’exil des Juifs de l’Est…Avec De fer et de verre , Nicole Malinconi ajoute une dimension historique à son écriture (déjà ébauchée dans Un grand amour ). Elle reste, cependant, au plus près du réel, fidèle aux « mots les plus simples, les mots de tout le monde » [1] . Si elle s’est nourrie d’entretiens et de lectures, que son récit suit la ligne du temps de l’histoire officielle, elle a écrit ce livre, tout autant que ses prédécesseurs, dans la nuit blanche du savoir. Du manque, du vide, des mots ont surgi. Des mots qui ravivent l’humanité souvent absente des essais historiques. Alors, nous, lecteur, lectrice, assistons à la création de la Maison du Peuple par Victor Horta. Souffrons des blessures qui lui sont infligées chaque fois qu’elle est transformée sans même demander son avis. Nous vivons dans ses murs, regardons par ses fenêtres. Notre présent est historique. Sans dialogue aucun ni reconstitution romanesque, nous entendons parler le peuple, le voyons vivre. Ressentons ce qu’ont vécu ces êtres de chair, de sentiments, d’opinions ; cette Maison de fer et de verre détruite sans l’once d’un état d’âme malgré la résistance d’une partie de l’opinion belge et internationale. Nous sommes blessé.e.s de sa mise au rebut, de ses restes rouillés, volés, revendus. Quelques vestiges ont pu être sauvés et restaurés. Ils garnissent la station de métro Horta à Bruxelles, le Grand Café Horta d’Anvers. Piètre dédommagement… Par bonheur, le livre de Nicole Malinconi pourra désormais servir de mémoire vive à cette histoire là. Magnifique consolation. Michel Zumkir [1] Pierre PIRET , Introduction à Que dire de l’écriture ? de Nicole Malinconi , Lansman, 2014.…
Le ballet des retardataires : Tokyo, tambours et tremblements
Maïa ABOUELEZE , Le ballet des retardataires : Tokyo, tambours et tremblements , Intervalles, 2019, 152 p., 16 €, ISBN : 978-2-36956-082 En lisant le roman Le ballet des retardataires (Tokyo, tambours et tremblements) , nous marchons avec Maïa Aboueleze en plein cœur de Tokyo où l’autrice s’est immergée durant plusieurs mois pour perfectionner sa connaissance du taïko, une discipline qui la passionne et qui englobe à la fois la pratique du tambour, de la danse, des arts martiaux et de la méditation.Bien sûr, l’exil n’est pas toujours chose facile pour la protagoniste qui ne parle pas japonais et dont la maîtrise de l’anglais est superflue sur l’île. Elle ne possède pas non plus les codes de la société dans laquelle elle évolue, même si elle sait que la dignité et la discipline y sont des valeurs importantes. Alors elle observe, elle imite. Et elle doit souvent serrer les dents, elle qui a si peur de la douleur. Mon épaule gauche brûle. Je me baisse un peu et regarde l’heure. Trois minutes. Ça ne fait que trois minutes. Il en reste 80. Je vois Takeshi m’observer du coin de l’œil. Je tape, je tape. Je respire, me concentre sur la peau du tambour. Mes yeux se rétrécissent. J’ai envie de pleurer. Quatre minutes. Je croise un nouveau regard du bourreau. […]Je quitte l’école les jambes tremblantes. L’intérieur de mes mains est à vif. Les ampoules formées en jouant ont éclaté et la peau s’est soulevée, laissant apparaître une chair rouge et brillante. Je tâte le dernier bout de Xanax qu’il me reste de mon vol, coincé dans ma poche, et entre dans le métro. Ce cauchemar va-t-il continuer tous les jours, toutes les semaines, tous les mois ? Dans ce roman, le langage des corps signifie davantage que les mots prononcés, ces derniers ne permettant (presque) pas la communication. Maïa est donc attentive au regard de l’autre, ce regard qui prend dans l’intrigue une dimension fantastique et inquiétante.D’ailleurs…Quelle est cette présence derrière le rideau ? La maison de thé du parc Yoyogi existe-t-elle vraiment ? Y a-t-il un serpent dans le mur de l’école ? Est-ce le vent qu’on entend ?Le parcours halluciné de Maïa commence un peu comme le poème d’Apollinaire, par « un rire qui s’était confondu avec un verre brisé », et se poursuit derrière les talons roses de la logeuse Fumiko-San pour s’achever par « des semaines aussi impalpables qu’un rêve » et un demi-Xanax tombé à l’eau.Maïa Aboueleze a dû s’étonner en arrivant au Japon. Elle y a découvert, entre typhons et secousses sismiques, le monde exigeant du tambour traditionnel japonais où elle a pénétré grâce à l’obtention d’une bourse.Mais c’est parce qu’elle bascule dans la fiction que nous pouvons la suivre, que nous ressentons avec elle l’étrangeté de son expérience, le choc des cultures et l’isolement qu’elle a vécu durant plusieurs mois. Le ballet des retardataires , premier roman de l’autrice, est un récit de voyage qui présente de façon singulière un territoire inexploré du Japon : une école où est enseignée la pratique du taïko. Nous sommes au cœur d’un monde inconnu, et nous nous sentons privilégiés d’y accéder grâce à la narration fraîche, rythmée, et pleine d’humour de Maïa Aboueleze. Un coup de cœur. Violaine…
Durant les saisons qu’a duré le procès des attentats de Bruxelles, Sophie Pirson…