J.-K. Huysmans et la Belgique

RÉSUMÉ

« Le grand retentissement d’un livre peut ressusciter quelquefois des personnalités et des phénomènes menacés par l’oubli. C’est l’effet que produisit, pour Joris-Karl Huysmans, sa présence prégnante dans le dernier roman de Michel Houellebecq. Le succès immédiatement international de Soumission a eu pour effet collatéral un regain d’intérêt inattendu pour l’auteur d’À rebours, écrivain fin-de-siècle auquel le protagoniste du livre-événement qui restera associé à l’attentat contre Charlie Hebdo accorde tous ses soins, et dont le cheminement spirituel s’inspire. Le moment était venu, a-t-il semblé à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, d’exhumer l’essai que l’un de ses membres, Gustave Vanwelkenhuyzen, il y a 80 ans de cela, consacra aux relations étroites que Huysmans entretint avec la Belgique. Belgique qui, au demeurant, est très présente aussi dans Soumission, dont le personnage central tour à tour se désole et se réjouit de la fermeture, suivie heureusement de la réouverture, de l’hôtel Métropole, place de Brouckère à Bruxelles… »

À PROPOS DE L'AUTEUR
Gustave Vanwelkenhuyzen

Auteur de J.-K. Huysmans et la Belgique

BIOGRAPHIE

Né à Schaerbeek le 9 avril 1900, Gustave Vanwelkenhuyzen fait ses humanités à l'athénée que sa commune natale a fondé en 1913 et qui, par suite de la fermeture des universités pendant la guerre, accueille en son sein des professeurs de l'enseignement supérieur privés de leur chaire. C'est ainsi qu'il a pour maîtres, dans les locaux vétustes de la rue des Palais, Gustave Charlier et Henri Grégoire, éminent professeur de l'Université libre de Bruxelles. Il est aussi l'élève de l'écrivain Henri Liebrecht. Signes prémonitoires? À l'université, étudiant de la section de philologie romane, il retrouve Gustave Charlier, qui l'initie à la discipline de l'histoire littéraire, oriente sa vocation de chercheur, et, certain jour de 1949, c'est par la voix d'Henri Liebrecht que l'Académie le recevra officiellement.

Issu d'une famille d'enseignants, docteur en philosophie et lettres en 1924, il opte tout naturellement pour la carrière à laquelle son milieu et sa formation l'ont préparé. Professeur au Lycée de jeunes filles de Gand de 1924 à 1929, affecté ensuite à l'Athénée royal d'Ixelles, il y enseigne pendant deux décennies. À partir de 1950, il apparaît encore dans les classes, mais en qualité d'inspecteur : inspecteur linguistique jusqu'à la suppression de cette fonction, en 1963; inspecteur pédagogique de l'enseignement secondaire jusqu'à l'heure de la retraite, en 1965.

Professeur tout dévoué à sa tâche, fonctionnaire impeccable, il consacre les loisirs du métier à l'édification d'une œuvre considérable, centrée sur l'histoire des lettres françaises de Belgique. Sa bibliographie (19 livres, 5 préfaces, 132 articles, 66 comptes rendus), constituée pour les cinq sixièmes durant les trente années de son activité professionnelle, indique l'ampleur du travail; l'excellence de cette production abondante atteste que la rectitude scientifique et la formulation n'ont jamais souffert de la moindre défaillance.

Son premier livre est, d'emblée, un grand livre, aujourd'hui encore un incontournable ouvrage de référence : L'influence du naturalisme français en Belgique de 1875 à 1900, mémoire de 340 pages couronné par l'Académie et publié par elle en 1930. À travers la presse quotidienne et périodique dépouillée systématiquement, le jeune essayiste observe comment le public belge accueillit un mouvement littéraire qui, en France même, son pays d'origine, n'en finissait pas d'affronter des oppositions farouches. L'époque qu'il étudie vit la Belgique sortir de son apathie intellectuelle et se donner une littérature originale. Il montre que cette mutation irréversible fut amorcée par des revues d'avant-garde, L'Actualité (1876-1877) et L'Artiste (1875-1880), acquises au naturalisme en qui elles voyaient la modernité et le ferment d'une création littéraire sans a priori, sans tabou. Examinant l'étape suivante, la période où les théories de Zola influencèrent des écrivains tels que Lemonnier et Eekhoud, et où elles interpellèrent les deux grandes revues fondées en 1881, L'Art moderne et La Jeune Belgique, organes du renouveau, il constate que les adeptes belges du naturalisme n'y souscrivirent que sous bénéfice d'inventaire, refusant d'être les pieux épigones de l'école de Médan. Son enquête abonde en éclaircissements de cette importance.

L'époque littéraire dont il n'a examiné qu'une tendance dans son opus 1, il ne cessera, par la suite, de l'interroger. L'exploration du champ naturaliste lui fait découvrir le Verviétois Francis Nautet, critique sévère du zolisme après en avoir été le champion. En 1931, il lui consacre un excellent petit livre, Francis Nautet, historien des lettres belges, où il rend hommage au pionnier qui, dès 1892, retraça la prodigieuse renaissance littéraire de la Belgique. Un grand écrivain français aiguise depuis longtemps sa curiosité; en 1935, il dépose le résultat de ses patientes recherches : J.-K. Huysmans et la Belgique, ouvrage définitif, approche subtile d'un homme et d'une œuvre complexes. Après cette publication, le chercheur cède provisoirement la plume au vulgarisateur, et ce sont, entre 1936 et 1942, six volumes de pages d'écrivains belges choisies et présentées avec soin. En 1945, paraît Verlaine en Belgique, ouvrage définitif, dont l'érudition n'occulte jamais l'objet fondamental : une grande œuvre poétique liée intimement aux tribulations d'un pauvre hère.

Le 14 février 1948, Gustave Vanwelkenhuyzen est élu à l'Académie, au siège de Maurice Wilmotte. Il ne dormira pas sur ses lauriers. Fidèle à l'époque qu'il a choisie en début de carrière, il continue à la prospecter, au fil de publications formant trois groupes : écrivains belges, écrivains français mis en contact avec la Belgique, lettres inédites introduites et annotées. Bien à regret et sauf deux exceptions, on ne mentionnera ici que les parutions sous la forme du livre. Le premier groupe comprend Vocations littéraires (1959), où il est question de Lemonnier, d'Eekhoud, de Maeterlinck, de Verhaeren, de Rodenbach et, in fine, de quatre petites revues annonciatrices du réveil tout proche; Histoire d'un livre. Un mâle de Camille Lemonnier (1961), Solyane, de Charles van Lerberghe, dans le Bulletin de l'Académie (1968). Du second groupe, on retiendra : Insurgés de lettres. Paul Verlaine, Léon Bloy, J.-K. Huysmans (1953); Mallarmé et la Belgique, dans le Bulletin de l'Académie (1968). Le troisième groupe relève d'un genre difficile et méconnu où l'érudition de l'historien, l'obstination du chercheur et le flair du limier, en se conjuguant, ont fait merveille : J.-K. Huysmans. Lettres inédites à Camille Lemonnier (1957); J.-K. Huysmans. Lettres inédites à Jules Destrée (1967); André Gide et Albert Mockel. Correspondance (1891-1938).

Publiée en 1975, la correspondance Gide-Mockel est le dernier livre de Gustave Vanwelkenhuyzen, décédé inopinément le 28 janvier 1976. Ses amis et ses confrères s'apprêtaient à le fêter en lui offrant un recueil d'essais situés dans le prolongement de son œuvre, Regards sur les lettres françaises de Belgique.


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Le fantastique dans l’oeuvre en prose de Marcel Thiry

À propos du livre Il est toujours périlleux d'aborder l'oeuvre d'un grand écrivain en isolant un des aspects de sa personnalité et une des faces de son talent. À force d'examiner l'arbre à la loupe, l'analyste risque de perdre de vue la forêt qui l'entoure et le justifie. Je ne me dissimule nullement que le sujet de cette étude m'expose ainsi à un double danger : étudier l'oeuvre — et encore uniquement l'oeuvre en prose de fiction — d'un homme que la renommée range d'abord parmi les poètes et, dans cette oeuvre, tenter de mettre en lumière l'élément fantastique de préférence à tout autre, peut apparaître comme un propos qui ne rend pas à l'un de nos plus grands écrivains une justice suffisante. À l'issue de cette étude ces craintes se sont quelque peu effacées. La vérité est que, en prose aussi bien qu'en vers, Marcel Thiry ne cesse pas un instant d'être poète, et que le regard posé sur le monde par le romancier et le nouvelliste a la même acuité, les mêmes qualités d'invention que celui de l'auteur des poèmes. C'est presque simultanément que se sont amorcées, vers les années vingt, les voies multiples qu'allait emprunter l'oeuvre littéraire de M. Thiry pendant plus de cinquante années : la voie de la poésie avec, en 1919, Le Coeur et les Sens mais surtout avec Toi qui pâlis au nom de Vancouver en 1924; la voie très diverse de l'écriture en prose avec, en 1922, un roman intitulé Le Goût du Malheur , un récit autobiographique paru en 1919, Soldats belges à l'armée russe , ou encore, en 1921, un court essai politique, Voir Grand. Quelques idées sur l'alliance française . Cet opuscule relève de cette branche très féconde de son activité littéraire que je n'étudierai pas mais qui témoigne que M. Thiry a participé aux événements de son temps aussi bien sur le plan de l'écriture que sur celui de l'action. On verra que j'ai tenté, aussi fréquemment que je l'ai pu, de situer en concordance les vers et la prose qui, à travers toute l'oeuvre, s'interpellent et se répondent. Le dialogue devient parfois à ce point étroit qu'il tend à l'unisson comme dans les Attouchements des sonnets de Shakespeare où commentaires critiques, traductions, transpositions poétiques participent d'une même rêverie qui prend conscience d'elle-même tantôt en prose, tantôt en vers, ou encore comme dans Marchands qui propose une alternance de poèmes et de nouvelles qui, groupés par deux, sont comme le double signifiant d'un même signifié. Il n'est pas rare de trouver ainsi de véritables doublets qui révèlent une source d'inspiration identique. Outre l'exemple de Marchands , on pourrait encore évoquer la nouvelle Simul qui apparaît comme une certaine occurrence de cette vérité générale et abstraite dont le poème de Vie Poésie qui porte le même titre recèle tous les possibles. Citons aussi le roman Voie-Lactée dont le dénouement rappelle un événement réel qui a aussi inspiré à M. Thiry la Prose des cellules He La. Je n'ai donc eu que l'embarras du choix pour placer en épigraphe à chaque chapitre quelques vers qui exprimaient ou confirmaient ce que l'analyse des oeuvres tentait de dégager. Bien sûr, la forme n'est pas indifférente, et même s'il y a concordance entre les thèmes et identité entre les motifs d'inspiration, il n'y a jamais équivalence : le recours à l'écriture en prose est une nécessité que la chose à dire, à la recherche d'un langage propre, impose pour son accession à l'existence. 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