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Vers dix heures, la femme Delpon, qui l'a recueillie, à la mort de ses parents, dans la baraque de planches qu'elle occupe avec son mari, le marchand de peaux de lapins, rue Saussure, en face des ateliers de la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest, lui donna un gros quignon de pain, lui mit au bras un panier d'osier et l'envoya, comme de coutume, ramasser des morceaux de charbon par les routes.
Henriette sortit.
La veille et l'avant-veille, une neige abondante était tombée sans relâche, et depuis le soir précédent, il ventait fort et il gelait dur. Plusieurs fois, la nuit, tandis que les murailles de la baraque craquaient au choc des rafales, la petite s'était réveillée transie sous sa maigre couverture de laine jaune. Mais, en ce moment, le soleil s'étalait, éblouissant, au bas du ciel pâle et ses rayons, en effleurant la neige blanche que la gelée avait émiettée, la poudraient de mille étincelles diamantées.
Henriette, le corps enfermé dans une vieille jupe qu'un lambeau d'écharpe d'homme à couleurs crues serrait à la ceinture et qui s'arrêtait à ses genoux, des sabots aux pieds, des bas troués autour de ses jambes grêles de gamine, nu-tête, commença à courir, les mains cachées sous son tablier.
Elle était toute joyeuse.
Ces blancheurs brillantes qui s'étendaient à droite, à gauche, en avant d'elle, la charmaient sans qu'elle s'en rendit compte. Il ne lui semblait pas qu'il fît bien froid. Le souvenir de ses longs frissonnements de la nuit lui rendait légères les piqûres de la bise qui rougissaient ses joues et mouillaient ses yeux. Elle était ravie de s'agiter, ravie d'écouter le bruit de la neige qui criait sous ses pas, ravie de regarder les paillettes scintillantes dont le sol se couvrait.
Comme elle franchissait, alerte et la mine riante, la porte d'Asnières, un des employés de l'octroi, qui grelottait malgré son épais caban vert, s'écria :
– Tiens! voilà la nièce aux Delpon! Ca n'a pas dix ans, ça ne mange pas, ça n'est pas habillé, ça sort en cheveux par tous les temps et ça se porte mieux que nous.
– C'est pas étonnant, dit un autre en goguenardant lourdement, de la graine de rouleuse!
Cependant la petite avait avisé, à deux ou trois mètres de la grille, une mare prise et essayait, à coups de sabot, d'en casser la glace.
Après maints efforts vains, elle secoua insouciamment la tête et reprit sa course.
Table des matières
Préface
Graine de rouleuse
Laurent le tondeur de chiens
La Malle
Sa fille
Le Lapin
Le Vieux Débardeur
Le Sabot de Charles
Mme Marion, marchande de journaux
Comment se fabrique un mendiant
La Mère Robert
Le Côtier Hendricks
Un ménage de chiffonniers
La Boîte de dominos
La Vigne de Rissagou
Une expulsion
La Duchenin
Une représentation de saltimbanques au village
L'Oncle Clément
Le Repas au chantier. Souvenir du pays wallon
Madeleine, du Café de Portugal
Le Poney
À la fête de Neuilly
Une rafle au Bois de Boulogne
Les Vieilles de la Bourse
Les Deux Pauvresses
La Journée de la grande Thérèse
La Fin de Henri Legrand
Le Greffier Fabre
Le Petit Marchand d'ail
«Vive la Nouvelle»
Pêche nocturne
L'Homme et le chien
Le Broyeur de salsepareille
Le manuscrit de
Gens des rues