Décès d'Émile Gillard

Nous apprenons le décès de l’écrivain d’expression wallonne Émile Gilliard. Ce grand auteur moustiérois s’est éteint à Liège le jeudi 23 mars 2023 ; il avait 94 ans.

Une influence majeure pour les lettres wallonnes

Né à Malonne le 12 avril 1928, Émile Gilliard appartenait au groupe de jeunes auteurs qui ont grandement renouvelé la poésie wallonne, au tournant des années 50 et dans la foulée des cinq précurseurs de la « génération 48 » — Louis Remacle, Franz Dewandelaer, Albert Maquet, Willy Bal et Jean Guillaume. Parmi les œuvres de ces auteurs, celle d’Émile Gilliard est l’une des plus riches et son influence sur les lettres wallonnes est indéniable. Il était aussi le dernier grand témoin de cette période d’ébullition créative, qui culmina en 1961 par l’entrée de la poésie wallonne aux éditions Gallimard, via une anthologie des Poètes wallons d’aujourd’hui au sein de laquelle deux textes d’Émile Gilliard côtoient la fine fleur de nos lettres en langues régionales.

Fin observateur de la vie littéraire de son époque, Émile Gilliard avait toute conscience de la nouveauté de ses choix de thèmes et de style. Il les assuma toute sa vie et aida à documenter cette période charnière, au bénéfice des historiens de la littérature actuels et à venir :

« Il y a eu surtout un renouvellement des thèmes. Les jeunes écrivains wallons évoquaient les problèmes humains, les questionnements de l’existence, la vie actuelle.

Il y a également une nouvelle manière de s’exprimer. Elle est elliptique, la poésie suggère. Elle est riche de non-dit. Elle ne craint pas les images fortes, insolites. Elle demande une connivence du lecteur. Elle n’est plus moralisatrice, dogmatique ou narrative comme ce fut trop longtemps le cas. Le wallon accède aux critères d’une littérature universelle, chose inconnue précédemment dans le namurois […][1]. »

Pleinement engagé dans tous les débats ayant trait à la langue wallonne et à la culture qu’elle véhicule, Émile Gilliard fréquentait les cercles spécialisés où ceux-ci se menaient tout d’abord, et où il était apprécié. Il fut reçu chez les Rèlîs namurwès en 1953, puis au sein de la Société de Langue et de Littérature wallonnes en 1977. Il fut par la suite le Président de cette société, souvent considérée comme l’« Académie » wallonne.

En parallèle de ces engagements, Émile Gilliard a fait carrière en tant que bibliothécaire-gestionnaire de la Bibliothèque régionale « Reine Astrid » à Mons.

Une œuvre complète

Il est l’auteur d’une œuvre vaste et multigenre. Outre une dizaine de recueils de poésie et de proses courtes, il a signé quatre romans et récits, ainsi qu’une traduction remarquée du roman Collines, de Jean Giono. Toutes ces œuvres ont été écrites en wallon de Moustier-sur-Sambre, sa localité d’origine. Elles font la part belle à la vie authentique de leur région, mais veillent à ne pas verser dans le passéisme. Témoin de certains grands bouleversements des dernières décennies et solidaire des générations ayant suivi la sienne, Émile Gilliard a notamment déployé dans son œuvre des accents écologistes qui ne sont pas passés inaperçus. En cela encore, et conformément au mot d’ordre de la « génération 48 », Émile Gilliard mettait de l’universel dans le regard aiguisé qu’il promenait sur la nature wallonne.

À côté de ces œuvres littéraires, il laisse aussi d’importantes œuvres philologiques : un dictionnaire de référence du parler de Moustier, un dictionnaire de conjugaison, un dictionnaire d’expressions.

Ecrivain et philologue 

Ayant adopté le parti que la richesse de la langue régionale est issue de sa variation, Émile Gilliard était attentif à écrire la sienne au plus proche de sa réalisation orale et à tenir compte de ses idiotismes. C’est pourquoi chacune de ses œuvres est précédée d’une explication des conventions orthographiques et suivie d’un lexique spécifique. Il était ainsi connu pour sa grande rigueur. De même, lorsqu’il lui est apparu nécessaire d’accompagner ses œuvres poétiques de traductions, il s’est refusé à recourir à des traductions littérales et s’est employé à ciseler la langue française avec la conscience qu’il mettait en toute chose. Il en est ressorti des œuvres véritablement bilingues, dans lesquelles le wallon, toujours, a la priorité, mais où les adaptations françaises revêtent une qualité proprement littéraire.

La reconnaissance

Ces différents travaux lui ont valu très tôt la reconnaissance de ses pairs et, plus tardivement, une reconnaissance officielle. Émile Gilliard fut notamment lauréat à trois reprises de prix littéraires de la Fédération Wallonie-Bruxelles : il remporte en 1996 le Prix de Prose en langue régionale, en 2005 le Prix de Poésie en langue régionale, et en 2008 le Prix de Philologie.

À l’automne dernier, la Fédération Wallonie-Bruxelles le mettait à nouveau à l’honneur via la diffusion d’une plaquette « Fureur de Lire ». À 94 ans, Émile Gilliard restait un précurseur : il est le premier auteur à s’exprimer en langue régionale dans cette collection.

Lorsque sa santé ne lui permit plus les déplacements, Émile Gilliard n’en continua pas moins son œuvre depuis son domicile liégeois. Grand perfectionniste, il a fait paraitre de nouvelles éditions augmentées de plusieurs de ses livres et a poursuivi des travaux de correction jusque dans ses dernières semaines. Il a aussi collaboré à l’édition critique de plusieurs ouvrages de Gabrielle Bernard reparus ces dernières années ; nul autre que lui ne maitrisait aussi bien le wallon de Moustier-sur-Sambre, dans lequel celle-ci a produit une belle part de son œuvre, et il restait disponible pour rendre ce service à sa compatriote disparue en 1963.

L’été dernier, Émile Gilliard avait encore publié un recueil de poésie intitulé Zouprale (« Sauvageonne »). Il s’agit d’un hommage à son épouse Jeanine Schmitz, qui est décédée en décembre 2020. Ce livre est l’un de ceux où l’auteur s’exprime avec la plus grande simplicité, à cœur ouvert. Il y évoque l’absence de l’être aimé, mais aussi sa foi « en un amour humain, semence d’éternité[2] ».

Il laisse, au terme de ses nonante-quatre années passées parmi nous, une œuvre rare de par son ampleur et sa qualité. À travers elle, celles et ceux qui sont attentifs à nos langues régionales pourront à coup sûr encore apprendre de ce maitre.

Émile Gilliard a été inhumé ce mercredi 29 mars dans son village de Moustier-sur-Sambre, pour la langue duquel il a tant œuvré.

Julien Noël

Plus d’informations :
La fiche d’Émile Gilliard
Télécharger ou écouter la plaquette Fureur de lire Su lès spales do novia djoû 

Notes :
[1] Émile Gilliard, « 1950. Pacifique révolution chez les Rèlîs », dans Le centième anniversaire des Rèlîs namurwès, Liège, éd. Société de Langue et de Littérature wallonnes, coll. « Mémoire wallonne », n° 14, 2011, p. 34.
[2] Émile Gilliard, Zouprale. Sauvageonne, Charleroi, éd. CROMBEL, coll. « micRomania », n° 37, 2022, p. 3.
Crédit photo :
© L. Mahin – CC BY-SA 3.0



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