C’est l’histoire d’une amitié conduite à son apogée par la proximité de la mort. Un abrégé de quelques mois vécus dans la radicalité du moment.
Avec une lucidité éclatante, Margarida envoie des messages du front auxquels la narratrice répond en lui donnant chaque matin la voix qu’elle lui réclame. Peu à peu se construit une narration qui évoque l’enfance portugaise de Margarida, son amour des mots et des sons, les êtres qu’elle protège, les créations qu’elle mène, l’hôpital, la lutte, l’effroi. Mais aussi le souvenir d’un jardin, la fidélité d’un petit chien, Baudelaire et Jeanne Duval, les migrants devenus frères.
Aiguillonnées par l’urgence, ces pages incandescentes respirent la passion éperdue de la vie. Une métaphore pour notre temps et de la bonté en éclairs pour conjurer notre nuit.
Caroline LAMARCHE, Cher instant je te vois, Verdier, 2024, 96 p., 20 €, ISBN : 978-2-37856-198-7Après le roman (La fin des abeilles) et le roman graphique (Dix ans), c’est aujourd’hui à travers la poésie que Caroline Lamarche poursuit sa mise en mots des corps de femmes devenus proies. Le corps-proie est celui mangé par le temps ou la maladie, un corps toujours situé en regard des autres, migrants oiseaux animaux, ces amis entravés eux aussi par les servitudes d’une société délétère et que les vers libres de l’autrice portent dans l’espace, sur la crête tranchante d’un récit d’amour et de mort.[…] Margarida va venir, elle est dans la pluie des pétales que le gel arrache…
Lorenzo Cecchi est né à Charleroi en 1952. Agrégé en sociologie, il a été animateur de maison de jeunes,…
Quarante ans d’édition à La Pierre d’alun, animée par Jean Marchetti, cela n’est pas rien, et la Bibliotheca Wittockiana à Bruxelles s’en fait l’écho au travers d’une éclairante mise en perspective de textes et d’images, jusqu’au 24 janvier prochain . C’est également l’occasion de revenir sur l’un ou l’autre ouvrage récemment inscrit au catalogue, dont ces Paupières de sel que l’on doit à Muriel Logist. Illustratrice, fana de typographie, graphiste, faiseuse de livres (ceux de Jean Marchetti et d’autres), la voici en tant qu’autrice, dans ce recueil où l’accompagnent les dessins au trait délié de Pascal Lemaître . Muriel Logist y donne la parole à une femme, dont le questionnement dévorant est celui de l’amour. Celui qui est, celui qui fut ? Celui de tous les états, de l’état de grâce (il faut bien commencer) à l’état de détresse (il faut en finir, mais comment s’en arracher ?) Cet amour qui séduit, emporte, déclenche le ravissement – « au coin de la lèvre comme un enchantement » – c’est aussi, durement, celui qui déchire, qui brutalise, qui enferme, sans même plus s’apercevoir de la violence et des chemins tortueux qu’il impose.La narratrice, du haut de ses sept ans, éprouve déjà l’idée de la mort, la sienne, elle « perçoit très douloureusement / et très exactement / l’idée du néant / ça l’étouffe et elle a envie de crier. / Or elle se tait. » Les années passent mais ne dissipent pas ce mal-être existentiel, la conscience de l’absurdité de vivre ne la quitte pas. « Il y a de la place en elle / et cependant elle reste vide. » On songe à l’obstination de Michel Leiris, toujours sur la crête de l’auto-dépréciation, dans cette quête où la narratrice redoute, en ce qui lui manque, de ne jamais être à la hauteur de la plus infime – et la plus intime – considération de soi. Peut-on soi-même savoir aimer, quand on ne sait si on sera, un jour, en mesure d’être aimable ?Le texte, par fragments brefs, passe de la troisième à la deuxième personne, parfois la première, la narratrice s’adressant à elle-même autant, par moments, qu’à la personne dont l’absence et le silence sont les seuls signes d’une présence à l’autre. Les mots pourraient-ils formuler d’une autre manière cette existence sans échappée ? Il y a certes la sexualité, mais l’acte lui-même, pourtant irrépressible parfois, ne fait qu’exacerber cette tension, cette « colère impuissante » qui l’envahit contre ce qui l’entoure, et plus encore, contre elle-même. « Les hommes qui la prennent sont une simple / fièvre subite qui déploie lentement dans son / ventre ses pétales vénéneux et viciés. » Cet examen d’une vie en constant effritement, où la solitude grignote sans remords ce qu’il reste des battements de cœur, faute de protagonistes, pourrait sembler sans grâce aucune ni répit. C’est moins du désamour d’une personne que de l’amour de l’amour que tente de sortir la narratrice. L’écriture de Muriel Logist déroule pourtant un fil à soi ténu mais vivant – dont témoignent des jeux de mots, de modestes pirouettes, une ironie à froid : « Je passe mes jours à faire des pas. / Des pas assez. » Derrière le miroir tendu, un éclair de soleil s’enhardit et traverse alors avec audace le ciel gris, les eaux sombres d’une mer agitée. L’indulgence envers soi, cette planche de salut. …