Passionné par la figure de Baudelaire depuis l’adolescence, Baronian nous livre la biographie de l’une des personnalités les plus contradictoires de l’histoire de la littérature. [ill. en noir et blanc]
Auteur de Baudelaire
Leçons de possession : Les archives de la drogue d’Henri Michaux
L’activité éditoriale consacrée par Henri Michaux au domaine de la drogue couvre dix ans, de 1956 à 1966, au cours desquels parurent Misérable miracle , L’infini turbulent, Paix dans les brisements, Connaissance par les gouffres et Les grandes épreuves de l’esprit. Mais il y a également quelques souvenirs datant de 1983, Par surprise et Le jardin exalté. Autant de titres explicitement signifiants que précèdent au loin une allusion dans Ecuador en 1929 et quelques pages discrètement nommées Ether dans La nuit remue en 1931. À la diversité des alcaloïdes dont l’usage est mentionné, la mescaline issue d’un cactus mexicain, le LSD tiré de l’ergot de seigle et la psilocybine produite par un champignon mexicain, s’ajoute dans ces ouvrages une variété de discours sur l’expérience de la drogue. Ils vont des descriptions cliniques aux évocations poétiques, et dans les marges qui apparaissent parfois, sont mentionnés les lieux, les circonstances, les doses, les substances, les sensations.Raymond Bellour, dans les Œuvres complètes qu’il a éditées, montre que les paroles marginales et les dessins donnent à la lecture une dimension nouvelle, que les addenda font apparaitre la distance prise par Michaux à l’égard de ses expériences, que les archives, les correspondances, les épreuves corrigées et les réécritures sont les signes de l’insupportable trouble qu’il a ressenti et de la maitrise qu’il a été capable de conserver. Muriel Pic franchit un pas supplémentaire. Pour Leçons de possession , elle entre dans l’atelier de Michaux et, replaçant l’œuvre mescalienne dans son contexte, explique que les textes et les dessins nés de la folie volontaire ont d’abord été considérés par le milieu médical comme des documents scientifiques sur l’hallucination. On trouve, en effet, dans les premières notes d’auto observation parues dans des revues de la pharmaceutique qui mobilisent artistes, écrivains et patrimoine culturel, les noms de Ciba, Geigy ou Sandoz… Mais l’approche scientifique se mue en ce que Muriel Pic considère comme une posture lyrique : de l’aliénation expérimentale nait un déplacement de la figure de l’auteur, une présence étrangère en soi et un état de possession. En allant plus loin que Walter Benjamin, Aldous Huxley ou Ernst Jünger dans sa « recherche de l’émotion souveraine » l’auteur de Connaissance par les gouffres est passé des descriptions cliniques aux évocations poétiques. Jacques Carion Plus d’information Muriel Pic propose un texte inédit sur les expérimentations de drogues par Henri Michaux à l’époque où l’on inventait les médicaments psychotropes. Henri Michaux (1899-1984), écrivain et peintre parmi les plus connus de sa génération, participe à partir de 1955 aux recherches sur les hallucinogènes conduites à l’échelle mondiale. Pendant des années, il va expérimenter diverses substances – haschich, mescaline, champignons, LSD – sous le contrôle et en collaboration avec l’hôpital Sainte-Anne, le Muséum d’histoire naturelle de Paris ou encore avec les laboratoires pharmaceutiques suisses Sandoz, qui produisent les molécules utilisées à des fins cliniques et thérapeutiques. La révolution psychopharmacologique aboutit à l’invention de la médication psychotrope et au contrôle chimique du comportement. Cet événement majeur dans l’histoire des sciences est raconté ici du point de vue d’un artiste qui en fut à la fois le témoin et l’acteur. Muriel Pic se fonde sur les archives inédites des expérimentations sous drogue de Michaux : des notes d’auto-observation d’un incomparable éclat poétique. À partir de ce matériau fascinant, l’ouvrage replace pour la première fois l’œuvre de Michaux dans son contexte en rappelant que ses textes et dessins nés de la folie volontaire ont d’abord été considérés par les médecins comme des documents scientifiques sur l’hallucination. Cet ouvrage est richement illustré des dessins de Michaux créés sous influence et de nombreux documents issus de ses « archives de la drogue ».…
Il fallait un poète pour rencontrer l’œuvre de Jacques Crickillon, pour donner lieu à une danse de planètes mue par la question du geste poétique. Après la très belle étude de Christophe Van Rossom, Éric Brogniet livre en poète une traversée des créations de l’Apache Crickillon, des cycles d’écriture qui, de La Défendue à L’Indien de la Gare du Nord , de Colonie de la mémoire à Ténébrées , du Tueur birman à Sphère, À Kénalon I et II , portent le verbe au bord du gouffre, sur les cimes de la sécession, loin des bonnes mœurs littéraires. Taillés dans le vif-argent d’une langue réinventant ses pouvoirs comme ses impuissances, la poésie, les nouvelles, les romans de Crickillon se tiennent sur la corde du funambule qui vit la parole comme une expérience de la dépossession, comme une initiation à la diffraction du moi et à la contrée du vide. Si la littérature dans ce qu’elle a de sismique, de réfractaire à l’ordre social naît avec Homère, l’aède aveugle, elle semble parachever son cycle de nos jours, la cécité doublée de la surdité se logeant désormais dans le cirque d’une scène littéraire acquise à l’embourgeoisement, aux grelots du divertissement et du conformisme. La question du devenir, de l’incidence du poème dans un monde qui lui tourne le dos et le piétine — question que pose Jacques Crickillon dans « La poésie est une guerre indienne », son texte en postface — porte en elle le souffle des insurgés, lesquels ne sont les apôtres d’aucune vérité. Le poète comme « inquiéteur » (Crickillon), comme horloge qui refuse de marquer l’heure est l’artisan d’une expérience existentielle qui côtoie les gouffres et l’inconfort. On mesurera toute la démesure de l’œuvre « explosante-fixe » de Crickillon et de l’analyse qu’en produit Brogniet à sa prégnance relativement clandestine comme si l’époque tenait loin d’elle ce qui la subvertit, ce qu’elle ne peut recycler dans la littérature trendy , minimalisme creux ou verbiage boursouflé de graisse. Un Indien des lettres ensauvage la grammaire, la sémantique, la Terre, les nerfs, le sang, propage la rigueur de l’anarchie dans une poétique du « contre », sœur de celle de Michaux (contre l’état de choses et ses séides). Éric Brogniet plonge à mains nues dans les grands cycles formant des « cosmographies », des mondes mythologiques vertébrés par l’amour, le questionnement de la mémoire, la fusion du polar et du chamanique, de l’ivresse et de l’extase. Déchiffreur des convulsions intérieures et extérieures, à rebours de l’assassinat programmé de la poésie auquel on assiste, l’auteur de Vide et Voyageur , de Talisman révèle la nécessité, l’urgence d’un verbe poétique transfigurateur. La ténacité du paria, de l’« horrible travailleur » (Rimbaud) enraiera l’extermination des poètes, des Indiens du « Cinquième Monde ». Au cœur de sa geste poétique, de son œuvre-spirale comme l’énonce Éric Brogniet, un feu central, le feu de l’amante, de la muse qui a impulsé la poésie de l’amour dont Crickillon est l’un des grands chantres, Ferry C., auteure de nombreux collages qui accompagnent les recueils Région interdite, Nuit la Neige. Poète, muletier sans provende, qu’on chasse d’une cabane à l’autre, et qui s’en va dormir dans les chapelles abandonnées. Poète : fantôme du muletier sur sa montagne fantôme Élégies d’Evolène. Véronique Bergen Jacques Crickillon, né à Bruxelles en 1940, nous a donné, depuis La Défendue, son premier livre publié en 1968 par André De Rache, jusqu’à Litanies, publié par Le Taillis Pré en 2016, un matériau poétique singulier et brûlant. Et pour tout dire fascinant. Il faut mettre en perspective cette musique lancinante, tour à tour tendre ou violente, qui court tout au long des pages de cette œuvre et la perspective d’écriture qui tend à son propre effacement. Basé sur une respiration interne, qui lui permet, sous la dictée des puissances obscures du lyrisme, d’épouser toutes les formes stylistiques imaginables et de puiser à un vaste répertoire à la fois prosodique et métaphorique, le texte poétique explore, avec une constance remarquable, de vastes territoires imaginaires, fantasmés ou réels, des contrées étranges, une flore et un bestiaire singuliers, souvent, mais pas toujours, exotiques. Le style sensuel, fait de rythmes variés, d’un double registre verbal, poétique et prosaïque, le recours au procédé de la science-fiction, souvent américaine, à celui des sagesses orientales, du polar, des grands romans d’aventure…