Galia De Backer a étudié l’histoire à Bruxelles et à Berlin. Aujourd’hui, elle fait du théâtre en pays germanophone. Galia joue Chica dans La ferme aux animaux d’Orwell revisité par Felix Ensslin (oui, oui, Enslinn, c’est bien le fils de Gudrun Enslinn de la Fraction Armée Rouge, la RAF). Galia est descendue de la scène pour nous écrire ce papier et se poser la question de ce qu’est pour elle la Révolution (avec un grand R).
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Du haut de mes 26 ans, je trouve que 100 ans, c’est énorme. À vrai dire, le vingtième siècle précédant la dissolution de l’Union Soviétique, la mort de Gainsbourg et la Guerre du Golfe (et incidemment, ma naissance), m’apparaît comme un invraisemblable capharnaüm à la chronologie distendue. Certaines décennies…
Le poète en société et dans la presse. Verhaeren journaliste
1 Émile Verhaeren est probablement le poète qui bénéficie du plus de stature dans la poésie belge francophone…
La musique comme matière plastique. Entretien avec Maarten Seghers
Penser le rapport de la création théâtrale contemporaine à la musique conduit à pointer des pièces scéniques récentes dans lesquelles la musique apparaît comme une matière brute qu’il faudrait travailler telle la glaise ou le métal. Une matière résistante qui n’en devient pas pour autant ornementale mais occupe une fonction plastique sur scène au même titre qu’une installation scénographique, installée dans un dialogue fécond avec la présence corporelle des acteurs et performeurs. Maarten Seghers est musicien, plasticien et performeur. Depuis 2001, il est lié à la Needcompany de Jan Lauwers et il participe à toutes les grandes productions de la compagnie. Il a commencé à développer ses projets personnels en 2014, dans lesquels la musique et sa mise en abyme rythmique et sonore sont au centre d’une vibrante expression scénique XX . * Rencontre en quatre temps avec cet artiste énergumène échalas énervé échevelé (sa version scénique), d’une douceur, clarté, patience et bienveillance tellement apaisées quand on va à sa rencontre. [Traduit du néerlandais par Pascale de Nève.] BH : Maarten, quand je te découvre à l’époque dans La Chambre d’Isabella de Jan Lauwers, tu es bien sûr musicien au cœur du dispositif de ce spectacle, mais tu es déjà totalement impliqué dans la distribution. Musique et performance théâtrale sont indissociables pour toi dès le début de ta collaboration avec la Needcompany? MS : Ma première collaboration avec la Needcompany date de 2001, et consistait à créer une musique spécifique au sein de l’ensemble, tant dans le cadre de la représentation qu’en dehors. C’était lié à la présence de l’artiste Hans Petter Dahl ainsi qu’à mon arrivée dans la compagnie. Nous avons commencé par présenter Images of Affection, dont nous avions réalisé des bandes originales reposant sur de l’électronique et des bruits de guitare, sur lesquels nous chantions en direct des chansons des Kinks avec les performeurs. Une sorte de feel good music amère, comme on a pu entendre chez Fennesz, par exemple, dans son album Endless Summer ; un Bee Gees tiré de l’oubli, dont nous avons aussi utilisé un morceau pour la scène d’ouverture. Ensuite, j’ai également travaillé avec Grace Ellen Barkey sur la musique (live et enregistrée) de ses spectacles de danse, où je me trouvais également sur scène en tant que performeur. La musique, ou en tout cas sa mise en scène, m’a entraîné vers la performance. Il est vrai qu’aujourd’hui j’aborde sans doute la composition musicale sous l’angle d’un questionnement en tant que performeur. Pour La Chambre d’Isabella, Hans Petter Dahl et moi-même étions d’abord des compositeurs plutôt que des musiciens. Nous usons principalement d’instrumentaux enregistrés et de bandes électroniques sur lesquels nous chantons en live en tant que performeurs et/ou personnages du spectacle. La Chambre d’Isabella, c’était une prise de position pop de Jan Lauwers. Au lieu de reprendre des chansons, nous avons écrit nous-mêmes des morceaux de type feel good avec les paroles prévues par Jan Lauwers dès la création de son récit. Depuis, nous nous obstinons à travailler ensemble, ce qui se traduit par un indispensable questionnement personnel. C’est de là que naît le défi de formuler d’autres réponses à chaque projet et donc de penser en termes d’envie ou d’inclination. Je me souviens que pendant les premières années, et cela nous arrive encore aujourd’hui, nous parlions beaucoup de l’autonomisation des différents médias dans le théâtre. Mais je fais peut-être exactement l’inverse aujourd’hui. Écrire docilement du matériel qui ne doit pas se revendiquer, parce que cela lui ferait perdre son objectif ou sa raison d’être. Afin que le théâtre puisse rester une question de performance et d’êtres humains. BH: Tu donnes à la musique une existence très « iconoclaste », dans la mesure où tu joues avec tous les codes et toutes les limites du son, de la rythmique, du bruit, avec, on le sent pourtant, un très grand respect pour la composition, l’architecture d’un parcours musical. Est-ce la scène performative qui te pousse à cela, ou ta manière particulière d’aborder la musique qui te pousse à la scène sur un mode performatif, au-delà de l’interprétation? MS: Les deux. Il y a une différence entre la matière et le format de présentation. La musique reste de la musique, qu’on la case dans la catégorie «performance» ou dans la catégorie «musique». Mais la recherche et surtout l’attrait pour la teneur «matérielle» de la musique et du bruit vous portent forcément vers d’autres médias ou d’autres circuits que le cadre conventionnel. Par ailleurs, l’obsession et la croyance envers la puissance récitative de la musique vous ramènent parfois à une présentation ou une écoute conventionnelle. Parce qu’elle n’a besoin de rien d’autre. Ceci illustre cela. Et c’est ainsi que l’on part parfois d’un côté et parfois de l’autre. En ce qui concerne la musique performative: mettre de la musique en scène concerne la «parole». À un moment donné, j’ai pris conscience d’un clivage entre la musique visant à camoufler l’embarras des acteurs et celle qui l’autorisait. J’ai alors commencé à trouver intéressant de composer de la musique qui permettrait l’embarras des acteurs. Cette perspective m’aide parfois à faire des choix déterminés. C’est l’un des moyens dont la musique et l’art entrent dans le champ politique et sociétal. L’art peut parfois paraître inoffensif et innocent; on peut tout écrire ou tout peindre. Mais on ne le fait pas. On fait des choix. Il en découle une lecture, une direction; on trouve des adeptes ou des détracteurs. Des points de vue. Personnellement, je suis un adepte des gens qui jouent (de la musique). L’aspect embarrassant provient de l’immaturité de notre capacité de perception. Il faut pouvoir regarder au-delà. L’inoffensivité de la musique et de sa consommation ou la façon dont l’indistinct côtoie le charme du divertissement, voilà pourquoi je suis allé chercher du côté du théâtre. Avec la conviction qu’il s’agit d’une page blanche où l’on peut rechercher un autre contenu, peut-être plus parlant, mais où tout, y compris la musique, est utilisable en tant que matière, en tant que langage, tel qu’on y aspire ou que l’on s’en sert. BH: Dans tes productions personnelles, la matière musicale devient plastique. Elle prend corps, elle est un paramètre total de l’espace scénique et engage un rapport physique entre les performeurs, bien sûr, mais aussi avec le public. Comment génères-tu cette densité, cette matérialisation presque du son? MS: Je travaille exclusivement la musique comme un texte. Parce que la musique est une forme. Dans mes représentations, il y a une évolution allant de l’abstrait (la musicalité) au concret (l’humain). Telle est ma quête. Dire quelque chose de l’Homme en interprétant de la musique. Jouer une note jusqu’à ce qu’elle ne se raconte plus elle-même, mais révèle l’acteur. Je lutte sans cesse contre le contenu littéral. Je ne veux pas en entendre parler. Et en même temps, je ne veux pas céder à la grâce du formel. C’est, je pense, la raison pour laquelle je casse systématiquement la forme en mille morceaux, de sorte que, finalement, le contenu puisse s’exprimer à travers tous ces fragments, qui sont plus nuancés et moins pathétiques que le contenu qui s’exprimerait sans cette recherche formelle. Il y a tant de choses à dire. Et nous avons les mots pour le faire. Alors, quand on choisit malgré tout de ne pas tout dire avec ces mots, il en ressort une énorme densité de la matière que l’on travaille. Le choix ou le fait accompli de travailler exclusivement et obsessionnellement avec de la musique reflète aussi certainement ma vérité sociétale. Ma propre évolution, d’une part, et mon observation de la race humaine, d’autre part, ont…
Le tandem de Cuistax. Rencontre avec Fanny Dreyer et Chloé Perarnau
En janvier 2013 apparait sur les tables de librairies bruxelloises un étonnant fanzine pour enfants. Imprimé en bleu et rouge, le Cuistax numéro zéro débarque comme « une boite de chocolats de Noël qui arrive en retard » XX , c’est-à-dire comme une délicieuse surprise au creux de l’hiver. Onze auteures/illustratrices bruxelloises y racontent des histoires de chaussettes, proposent un tour de magie, un zoo à découper, expliquent la recette du cougnou ou tracent un ciel polaire à colorier. Depuis ce numéro inaugural, deux Cuistax paraissent chaque année. Ce joyeux magazine, ludique et graphiquement audacieux, tient grâce à la volonté de ses deux fondatrices, Fanny Dreyer et Chloé Perarnau, ainsi qu’à l’enthousiasme d’artistes qu’elles côtoient. Comme sur les voiturettes bien connues des digues belges, ils sont nombreux à pédaler pour faire avancer Cuistax. Nous avons rencontré le tandem dynamique qui le coordonne. Origine d’un collectif Fanny Dreyer et Chloé Perarnau font partie d’une génération prolifique de jeunes illustrateurs bruxellois, aussi motivés que talentueux. Lorsqu’elles sortent de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, elles nourrissent l’envie de créer une publication et développent l’idée d’un fanzine pour faire « autre chose » que ce qu’elles vont créer pour le monde de l’édition, pour « gérer un projet de A à Z, pour ne pas être dépendant d’un éditeur » XX . À ce désir d’indépendance, de faire ce qu’elles veulent et comme elles le veulent, s’ajoute celui de s’entourer d’artistes, de travailler collectivement plutôt qu’individuellement. C’est la proposition d’une exposition à la Maison des Cultures de Saint-Gilles qui les aide à concrétiser ce projet en leur donnant l’occasion de fédérer un groupe et de publier ensemble. Elles organisent alors une première réunion, afin de rassembler ceux qui sont prêts à s’associer à cette publication alternative. Le collectif Cuistax est né. Petit à petit, celui-ci s’élargit, au gré des sollicitations et propositions, de la part d’auteurs comme de la part de Cuistax. De rencontres en découvertes, le groupe évolue. Certains ne participent qu’à l’un ou l’autre numéro, d’autres sont présents à tous les niveaux, depuis le début. Un véritable noyau dur s’est formé : Anne Brugni, Sarah Cheveau, Loïc Gaume, Nina Cosco, Adrien Herda, Sophie Daxhelet, Caterine Pellin, Isabelle Haymoz, Jina Choi, Bi-Hua Yang, Jasper Thys, Liesbeth Feys et la graphiste Myriam Dousse. Autant de talents pour qui Cuistax est l’occasion de faire « autrement », avec parfois plus de liberté, ce qu’ils aiment, tout en développant des projets individuels, en tant qu’auteurs de livres pour enfants ou en publiant dans la presse. Cette publication indépendante et atypique leur offre un espace de création unique en son genre. Ainsi, Chloé Perarnau et Fanny Dreyer ont à leur actif de très beaux albums jeunesse : la première a illustré sept livres pour enfants, dont Il y a belle lurette au Seuil et L’orchestre aux éditions L’agrume, tandis que la seconde a publié six albums dont Moi, canard chez Cambourakis et La poya à la Joie de lire. D’autres acteurs de Cuistax sont des auteurs publiés : Sophie Daxhelet, Anne Brugni ou encore Loïc Gaume. L’aspect collectif donne à chacun l’élan nécessaire pour élaborer le fanzine. « Ce qui est super avec Cuistax, c’est de défendre un projet que nous sommes plusieurs à porter. C’est alors beaucoup plus facile d’y croire, parce qu’on n’est pas seule face à ses doutes. » Les membres de cette association de passionnés travaillent tous bénévolement pour Cuistax. Mais les avantages par rapport aux magazines classiques en valent la chandelle : indépendance éditoriale, pas de censure, une belle liberté graphique. « Notre seule limite, c’est la compréhension. » Les illustrateurs ont une liberté presque totale. Pas de comité pédagogique ou de psychiatre pour leur dire ce que les enfants doivent voir ou lire. Ici, on sort des cadres prescrits, on propose des images qui sortent des sentiers battus, on donne à voir autre chose aux enfants. En route / op weg met Cuistax Chaque Cuistax est axé sur un thème, décliné selon les histoires et rubriques du magazine. Il s’agit d’un sujet parfois saisonnier (Été indien), parfois tout autre selon l’inspiration du moment ou le couple de couleurs choisies en amont (En route, consacré aux moyens de transport). Une fois le thème choisi, les différentes rubriques se répartissent entre auteurs. « On essaie de garder un équilibre entre les histoires, les jeux et les bricolages. On aime que l’enfant puisse découper, colorier, puis qu’il y ait aussi une part pour la narration et de belles images », nous dit Fanny Dreyer. Le lecteur est invité à s’approprier l’objet. Chaque numéro propose un poster et un petit cadeau ludique, comme un sticker, des graines à faire pousser, un attrape-rêve à réaliser, un masque à découper, des tatouages… Ce petit plus fait pleinement partie de l’esprit du projet. Certaines rubriques se retrouvent de numéro en numéro, avec parfois un/e illustrateur/trice qui y est attaché/e. Ainsi, « Caterine Pellin a commencé dans le numéro zéro avec Lucius, son petit loup. Depuis, il revient régulièrement. » Sophie Daxhelet a installé de numéro en numéro sa rubrique magie, farce et attrape. D’autres rubriques récurrentes sont la recette de cuisine, l’interview, le jeu des sept erreurs, ainsi que de petites histoires sur deux ou quatre pages. En fonction du thème, Chloé Perarnau et Fanny Dreyer choisissent l’illustrateur qui réalisera la couverture et le poster. Les deux fondatrices passent un temps tel à toutes les étapes de la réalisation qu’il leur en reste peu pour contribuer au contenu de Cuistax. Elles disent se réserver de « petites choses ». Dernièrement, elles se sont accordé le plaisir de créer, ensemble, le poster de Dedans / dehors – Binnen / buiten, le numéro paru au printemps 2017. L’identité belge fait pleinement partie du projet éditorial initial de Cuistax. Le nom du fanzine a été bien évidemment choisi en tant qu’emblème de belgitude. C’est aussi pour cette raison que les deux langues s’imposent dès le départ : Cuistax est entièrement bilingue, adressé tant aux petits francophones qu’aux néerlandophones. Si les deux fondatrices et les différents auteurs sont loin d’être tous originaires du plat pays (Fanny Dreyer est suisse et Chloé Perarnau française), ils ont tous un lien avec Bruxelles. En ce qui concerne sa teneur, le fanzine comprend toujours une rubrique ou une interview en lien avec la capitale. La rubrique Un enfant et Bruxelles interroge un petit Bruxellois sur sa ville au quotidien. Alice, cinq ans, propose que les gens décorent leurs voitures avec des autocollants pour améliorer les routes tandis qu’Émilion, huit ans, explique qu’il ne peut pas faire de roller sur son trottoir parce qu’il est cabossé mais que l’herbe qui pousse entre les pavés, c’est rigolo. Le numéro 8, Dedans/dehors – Binnen/buiten, nous raconte la visite d’un botaniste martien au Parc Josaphat : c’est l’occasion pour Charline Colette et Myriam Raccah d’inviter les petits Bruxellois à observer leur environnement par le biais d’une histoire documentée. Collaborations et projets parallèles Au fur et à mesure des numéros, le fanzine bilingue et bicolore a gagné en reconnaissance et en notoriété et suscite intérêt et enthousiasme. Il donne à ses illustrateurs une visibilité certaine, grâce aux nombreux salons de microédition, autant de laboratoires de l’image, auxquels Cuistax est régulièrement convié. Ses deux fondatrices s’y nourrissent de rencontres et influences. Espace d’expression pour de jeunes illustrateurs pour qui il s’agit parfois d’une première publication, le magazine est également devenu le lieu de collaborations diverses. Ainsi, c’est le collectif qui a réalisé Le…