Galia De Backer a étudié l’histoire à Bruxelles et à Berlin. Aujourd’hui, elle fait du théâtre en pays germanophone. Galia joue Chica dans La ferme aux animaux d’Orwell revisité par Felix Ensslin (oui, oui, Enslinn, c’est bien le fils de Gudrun Enslinn de la Fraction Armée Rouge, la RAF). Galia est descendue de la scène pour nous écrire ce papier et se poser la question de ce qu’est pour elle la Révolution (avec un grand R).
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Du haut de mes 26 ans, je trouve que 100 ans, c’est énorme. À vrai dire, le vingtième siècle précédant la dissolution de l’Union Soviétique, la mort de Gainsbourg et la Guerre du Golfe (et incidemment, ma naissance), m’apparaît comme un invraisemblable capharnaüm à la chronologie distendue. Certaines décennies…
Thierry-Pierre Clément et l’Atelier du Héron. Entretien. (dans Dossier)
Né à Bruxelles en 1954, Thierry-Pierre Clément est poète et romancier. En 1992, il a créé, à Bruxelles, l’Atelier du Héron , premier atelier de l’archipel développé autour de l’Institut international de géopoétique . * Jérémy Lambert – Comment es-tu entré en poésie? Thierry-Pierre Clément – On entre toujours de manière un peu mystérieuse en poésie. C’est une ouverture du cœur, de l’esprit, qui peut se révéler dès l’enfance. Chez moi, c’est arrivé à ce moment, mais sans que je sache que c’était de la poésie. Quand je marchais en forêt, ma mère me disait de respirer l’odeur des feuilles mortes, de regarder l’oiseau en vol… Elle m’a ouvert à quelque chose qui est resté en moi. Vers l’âge de neuf ou dix ans, j’ai écrit quelques poèmes, sans prétention, mais c’est vers l’âge de seize ans que j’ai vraiment commencé à écrire de la poésie, après la lecture de Rimbaud. Ah ! Le « passant considérable » (Mallarmé) de la poésie! Il fait partie des figures qui m’ont vraiment marqué. Après sa lecture, j’ai voulu exprimer ce que je ressentais et prendre moi-même la plume, sans vraie technique. À partir de là, l’écriture ne m’a plus lâché, parce que j’ai senti dans la poésie la possibilité d’un langage autre, que je recherchais pour m’aventurer dans le monde. C’est ce que Rimbaud, et bien d’autres à sa suite, m’ont appris. Tu publies ton premier recueil à la fin des années 1970. Tout à fait, c’était en 1979. Le recueil s’appelait Électrolation et fut publié aux éditions Saint-Germain-des-Prés (à Paris). « Électrolation » est le mot que j’avais trouvé à l’époque pour traduire cette « insolation électrique », ce trop plein de technologies modernes. À l’époque déjà. Oui, oui. Je lisais beaucoup les poètes de la Beat Generation, par lesquels j’étais très influencé. Il y avait alors dans ma poésie une critique profonde de la société. Électrolation a été suivi, un an plus tard, par Torrent, chez le même éditeur. En vérité, s’il y a longtemps que je me suis mis à écrire, j’ai peu publié : sept recueils de poèmes (et un roman) en presque quarante ans ! * Comment s’est faite ta rencontre avec l’oeuvre de Kenneth White? Je ne sais plus exactement si j’ai commencé à lire White avant la géopoétique, ou grâce à la géopoétique. Aujourd’hui, les choses ne sont plus très claires, dans la mesure où notre rencontre s’est faite dans le cadre de la géopoétique, mais il me semble que j’avais d’ores et déjà lu des textes de lui. À tout le moins, j’en avais entendu parlé. Une autre figure qui m’a mis en route lors de mon adolescence est Henry Thoreau. À l’époque, j’étais tout à fait imprégné de la pensée de Thoreau, ainsi que des poètes de la Beat Generation (notamment de Gary Snyder, avec qui j’ai correspondu par la suite). C’est dans cette lignée que se situe White. Et la découverte de la géopoétique? Cela s’est fait en 1989 ou 1990, à la suite d’un article qui parlait de l’aventure de la géopoétique, que je pense avoir lu dans Nouvelles clés, une revue de spiritualité. Cet article m’a beaucoup intéressé et j’ai décidé d’écrire à Kenneth White. Après la lecture de cet article? C’est cela. Nous avons correspondu et j’ai commencé à dévorer les livres de Kenneth White. En 1991, je suis allé au premier colloque de géopoétique, à Nîmes. Je l’y ai rencontré et le courant est tout de suite très bien passé. Ça a été très rapide : le colloque et la rencontre en 1991, la création de l’Atelier du Héron en 1992. Fin 1992, oui. Lors du second colloque de géopoétique (toujours à Nîmes), j’ai eu envie d’organiser une tournée de White en Belgique. Il était enthousiaste. Je l’ai donc invité une semaine, en octobre. Il logeait chez nous et je le revois dans la cuisine me demandant si je serais partant pour former un petit groupe en Belgique, qui travaillerait dans le sens de la géopoétique et qui serait relié à l’Institut de géopoétique qu’il avait créé en 1989. Pourquoi pas ! C’est ainsi que j’ai été « bombardé » fondateur de ce que j’ai appelé l’Atelier du Héron — White me laissant toute liberté quant à l’organisation du groupe. C’était le début de l’archipel géopoétique. En effet, il s’agissait du premier atelier rattaché à l’Institut de géopoétique. Comment as-tu conçu l’Atelier du Héron? Au cours de la tournée de Kenneth White, et à la suite de sa proposition, j’ai lancé un appel aux personnes intéressées par la mise sur pied d’un groupe de géopétique. C’est comme cela que plusieurs sont venues nous trouver. J’ai ensuite suscité une réunion, en novembre, qui a accueilli une quinzaine ou une vingtaine de personnes et, ensemble, nous avons déterminé la manière dont nous voyions les choses et ce que nous souhaitions faire — étant entendu, pour moi, que je ne voulais pas créer quelque chose de trop formel, de trop institutionnel. Le Héron n’est d’ailleurs jamais devenu une asbl? Non. C’était une association libre, sans président, sans statuts… C’était un atelier... ... un atelier aventureux. L’idée était de toujours rester proche de la nature, de garder le contact avec la terre. Nous allions randonner un peu partout. Nous nous arrêtions régulièrement, devant ou au cœur d’un paysage particulièrement inspirant, et lisions des poèmes, écrivions, photographions, dessinions, réalisions d’éphémères installations à l’aide de branches, d’écorces, de pierres ou de tous autres éléments naturels qui nous paraissaient porteurs, dans leur mise en relation et en espace, d’une énergie renouvelée. Et par quoi nous-mêmes découvrions alors un renouvellement de notre propre rapport à la nature. Quel était le profil des premiers membres? C’était très ouvert. Pas mal d’écrivains, de poètes ; des plasticiens, des photographes, des dessinateurs ; mais aussi des gens qui étaient simplement intéressés, sans nécessairement être des créateurs. Une diversité intéressante en ce qu’elle montre bien que c’est l’objet qui rapproche… Exactement. On se retrouvait autour de ce projet pour lequel tout restait à faire : l’Institut de géopoétique venait d’être fondé et nous en étions le premier atelier ! Nous n’avions pas d’itinéraire préétabli : on avançait, on marchait, on tâtonnait. Comment choisissiez-vous les activités que vouliez réaliser? Au départ, nous n’avions pas vraiment de thème : on expérimentait les choses. Ce n’est que peu à peu que des thèmes sont apparus, de façon à donner une sorte d’itinéraire à nos pérégrinations. Nous avons randonné en Belgique d’abord, puis aussi à l’étranger (France, Pays-Bas...). Se sont alors aussi développées des relations avec d’autres ateliers. Oui : l’Atelier du Rhône, l’Atelier de Paris, d’autres encore, en Allemagne. * Et il y a eu les Carnets . Sur le modèle des Cahiers de l’Institut de géopoétique, les Carnets de route ont été en quelque sorte la seconde peau de l’Atelier. Cet aspect éditorial a été introduit à la fin des années 1990 : une nouvelle étape était en train de se dessiner pour l’Atelier, menée par Pascal Naud et Serge Paulus, deux membres du groupe. Ces Carnets furent une façon de laisser une trace de nos travaux, après l’« éphémarité » qui avait plutôt caractérisé les débuts de l’Atelier. Comment l’esprit de la géopoétique résonnait-il pour toi et dans ce que tu écrivais? J’ai toujours perçu la géopoétique comme quelque chose de très ouvert, tout en étant lié, profondément, à la relation…