« Animal Farm - Theater im Menschenpark ». Quand le théâtre contemporain revisite la révolution

Galia De Backer a étudié l’histoire à Bruxelles et à Berlin. Aujourd’hui, elle fait du théâtre en pays germanophone. Galia joue Chica dans La ferme aux animaux d’Orwell revisité par Felix Ensslin (oui, oui, Enslinn, c’est bien le fils de Gudrun Enslinn de la Fraction Armée Rouge, la RAF). Galia est descendue de la scène pour nous écrire ce papier et se poser la question de ce qu’est pour elle la Révolution (avec un grand R).

                                                            *

Du haut de mes 26 ans, je trouve que 100 ans, c’est énorme. À vrai dire, le vingtième siècle précédant la dissolution de l’Union Soviétique, la mort de Gainsbourg et la Guerre du Golfe (et incidemment, ma naissance), m’apparaît comme un invraisemblable capharnaüm à la chronologie distendue. Certaines décennies…

   lire la suite sur   REVUES.BE


FIRST:ferme groupe chat - "« Animal Farm - Theater im Menschenpark ». Quand le théâtre contemporain revisite la révolution"
stdClass Object ( [audiences] => [domains] => Array ( [0] => 10141 ) )

Ceci pourrait également vous intéresser...

Quand la vie prend le dessus. Les interactions entre l’utopie bâtie et l’habiter

Maintenant, dans le projet, les murs étaient de la même couleur pour tous. De la peinture blanche, et c’est tout. Mais ma mère, vu qu’elle n’avait pas d’argent pour le matériel scolaire ni pour beaucoup de papier, est allée à la quincaillerie centrale, elle a pris une boîte de peinture noire, et elle a peint un des murs, puis a obtenu de la craie et de la gomme, et c’est devenu notre mur des devoirs. Nous y résolvions les problèmes, nous y exercions notre calligraphie, nous avons tout fait sur ce mur. Puis nous avons reçu un avis du bureau de l’administration qui annonçait une inspection. J’avais tellement peur qu’ils nous excluent du projet, et quand la dame a vu ce mur noir, elle a dit : « Madame Blair, c’est quoi ça ? », et ma mère lui a répondu : « Je n’ai pas d’argent pour le papier et je veux que mes enfants réussissent à l’école, et ils doivent s’entraîner. » La dame était simplement terrassée, elle ne pouvait pas croire que c’était ça la raison, et elle a dit : « Vous savez quoi, vous êtes en train d’essayer d’élever vos enfants, laissez donc ce mur noir, et si vous voulez peindre un autre mur aussi, c’est très bien pour nous. »         Jacquelyn Williams, ancienne résidente de Pruitt-Igoe,         St. Louis (The Pruitt-Igoe Myth, 2011) XX Les simples changements apportés à l’un des murs des 2.870 logements qui composaient le complexe tristement célèbre de Pruitt-Igoe à Saint-Louis dans le Missouri signifient plus que la reconnaissance sommaire de la façon dont les habitants utilisent et ajustent leur milieu de vie sur la base de leurs aspirations et de leurs besoins essentiels. Le témoignage de Jacquelyn Williams démontre l’importance d’adapter son habitat par le biais de transformations matérielles spontanées, bien au-delà des besoins quotidiens de base. Dans ce qui est considéré comme le plus infâme complexe de logements sociaux de tous les temps, comme l’apothéose de tout ce qui a mal tourné dans la conception moderniste XX   XX  , les modifications entreprises par les résidents se révèlent comme une étape fondamentale dans la fabrication de leur espace de vie. Pruitt-Igoe pourrait être considéré comme un cas extrême. Certes, d’autres réalisations comparables à cet exemple nord-américain n’ont pas subi son destin. Pourtant, il est utile de reconsidérer cet ensemble de logements pour comprendre les tensions générées par l’écart entre l’envergure utopique des idéaux modernistes et leur héritage, une fois bâtis et utilisés au quotidien. Même si ce questionnement n’est pas neuf XX , son exploration reste néanmoins capitale pour les contextes du Sud planétaire XX où le modernisme a fait l’objet d’une double réinterprétation au fil du temps. D’un côté, les modèles modernistes prétendument universels ont dû se reconfigurer à chaque « atterrissage » dans un contexte spécifique, mais de l’autre côté, une fois construits, ils ont aussi souvent (mais pas toujours) été significativement transformés par l’usage. Dans ce dossier, les auteurs portent donc leur attention sur le décalage entre, d’une part, l’intention, la réalisation et l’appréciation des utopies bâties par les critiques et l’opinion publique, et, d’autre part, leur usage, qui implique le plus souvent des interventions sur le bâti aussi significatives que signifiantes. Les articles rassemblés ici se focalisent sur la transformation radicale des constructions réalisées – c’est-à-dire sur leur appropriation – sans pourtant négliger de considérer des cas de figure où les architectes modernistes ont pu s’emparer des pratiques sociospatiales locales pour revisiter les modèles que l’on pensait planétaires. Le Sud planétaire est, en effet, un contexte qui appelle des questions fondamentales. Au-delà du débat sur la préservation matérielle des œuvres modernistes, le Sud planétaire invite à repenser les alternatives à venir en matière de pratiques urbaines. Ila Bêka et Louise Lemoine ont bien montré la vulnérabilité de l’architecture européenne à travers des cas illustres, comme celui du Barbican Estate de Londres (Barbicania, 2014 XX ), mais ce sont les pratiques inattendues et spécifiques des espaces de Zouerate, Séoul ou Buenos Aires qui nous interpellent. La rencontre entre, d’une part, les résidus d’un contenu utopique étroitement associé au projet moderniste, et, de l’autre, l’appropriation de ces lieux au fil du temps, dessine des constellations susceptibles d’ouvrir à nouvelle compréhension du phénomène urbain. APPROPRIATE(D) MODERNISMS ou L’APPROPRIATION DES MODERNISMES POUR UN MODERNISME APPROPRIÉ Les vicissitudes de Pruitt-Igoe font écho à celles d’autres lieux construits pour abriter les plus vulnérables dans un monde en voie d’urbanisation, ainsi que pour accompagner l’expansion des villes : des équipements modernes, tels que des hôpitaux, des universités et des musées. Ces interventions, souvent de grande échelle et à forte intensité de capital, ont joué un rôle important dans la mise en valeur de la démocratisation, du processus de décolonisation et dans l’exportation internationale de l’État providence, comme l’a montré une abondante littérature scientifique (Avermaete et Casciato, 2014 ; Avermaete et al., 2010 ; Crinson, 2003 ; le Roux, 2003 ; Lim et Chang, 2011 ; Rabinow, 1989 ; Wright, 1991). Certaines études se sont concentrées sur la circulation internationale des modèles architecturaux et urbains en toute indifférence au contact de conditions autres, ainsi que sur la réception différenciée de ces conceptions modernistes dans divers contextes géographiques et culturels XX . L’« agentivité XX » des architectes, des urbanistes, des autorités locales et des résidents en ce qui concerne la modification et la contestation des projets a été également mise en avant afin de complexifier les récits occidentaux qui décrivaient le modernisme comme un processus facilement transposable et élaboré à partir d’un seul point d’origine.  (Avermaete et al., 2015 ; Craggs et Wintle, 2015 ; Healey et Upton, 2011 ; Mercer, 2005 ; Nasr et Volait, 2003.) La diffusion, au cours du XXe siècle, du modernisme comme un style en soi et de la modernité comme un ensemble d’aspirations disponible à l’adoption est donc désormais aussi contestée par l’historiographie que par les usagers. En effet, les critiques se sont non seulement attaquées au transfert de modèles effectué sous et après la domination coloniale, mais aussi et surtout au pacte scellé entre, d’une part, l’architecture et l’urbanisme modernes, et de l’autre part, l’impératif du développement. (d’Auria, 2012 ; Lu, 2011 ; Muzaffar, 2007.)  Avec le recul, il est devenu clair que, dans de nombreux pays du monde, l’association explicite entre la construction des villes et les formes et normes modernistes ne garantissait ni l’amélioration des conditions économique et sociale des résidents ni le bien-être des territoires au sens le plus large. Lorsque l’urbanisation et l’industrialisation se sont engagées sur des chemins séparés, les villes d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique n’ont plus été en mesure d’accueillir les nouveaux arrivants et de leur fournir un abri, de l’emploi et un environnement socialement juste. Au-delà des critiques spécifiques soulevées par les économistes à l’encontre du « développementisme XX », les théoriciens du post-colonialisme ont également pointé les contradictions inhérentes au processus de modernisation XX . Visant, tous-azimuts, toutes les sphères de la culture, du langage à la planification de villes nouvelles, ils ont dénoncé le caractère insidieux du modernisme et du «développementisme» dans l’élaboration de cultures et d’économies postcoloniales qui ont fini par reproduire les différences et les dépendances caractéristiques du colonialisme. En parallèle, des…

Georges Simenon et Jean Cocteau, une amitié jouant à cache-cache

Personne n’ignore que Georges Simenon , presque toute son existence durant, est resté en marge des milieux littéraires et même, d’une manière plus générale, des milieux qualifiés d’intellectuels, bien que quelques-uns de ses amis s’appellent Marcel Achard, Marcel Pagnol, Jean Renoir, Francis Carco, Maurice Garçon, Henry Miller ou encore, après le XIIIe festival de Cannes dont il a été le président du jury en 1960, Federico Fellini. Personne n’ignore non plus qu’en raison de cette attitude, sans doute prise à contrecœur mais de plein gré, l’institution littéraire a mis de longues années avant de se pencher sérieusement sur l’œuvre immense de l’écrivain liégeois. Avec les multiples manifestations commémorant en 2003 le centenaire de sa naissance, la parution de nombreux ouvrages critiques et biographiques ainsi que l’édition de vingt et un de ses romans dans deux copieux volumes de la « Bibliothèque de la Pléiade », ce temps n’est plus – et tout se passe désormais comme si Simenon était un classique primordial de la littérature du XXe siècle. À cet égard, le consensus dont il fait aujourd’hui l’objet dans les médias est des plus révélateurs. Il y a quelques années encore, il aurait été inimaginable. Je viens de mentionner Marcel Achard, Marcel Pagnol, Jean Renoir, Francis Carco, Maurice Garçon, Henry Miller et Federico Fellini parmi les relations les plus célèbres de Simenon, je devrais ajouter Jean Cocteau. Les deux hommes se sont connus au début des années 1920, après que Simenon s’est installé en France avec sa jeune femme, Régine Renchon. Dans sa dictée Vent du nord, vent du sud (1976), Simenon consacre quelques pages à la vie parisienne de l’époque et, en particulier, à Montparnasse en train de devenir « le centre du monde » avec, précise-t-il, « ses artistes venus des quatre coins d’Europe et même des États-Unis ». Il y est question, pêle-mêle, de la mode à la garçonne 1 , sur le modèle du best-seller de Victor Margueritte, du charleston, du black-bottom, du fox-trot, de gigolos professionnels, du Café du Dôme, de La Boule blanche, de La Coupole « qui était alors aussi peu bourgeois que possible 2 », du Jockey « où l’on pouvait à peine remuer les jambes tant on était pressés les uns contre les autres »... « Le cabaret le plus moderne, rapporte Simenon, s’appelait Le Bœuf sur le toit et on y rencontrait Cocteau avec son inséparable Radiguet 3 ... » Que le futur auteur des Maigret ait fait la connaissance du futur cinéaste du Sang d’un poète dans le Paris insoucieux des années 1920 et, selon toute probabilité, dans ce fameux cabaret immortalisé par l’entraînante musique de Darius Milhaud, rue Boissy-d’Anglas, cela semble une certitude. Il paraît assez improbable en revanche que Simenon y ait rencontré Cocteau en compagnie de Radiguet, vu que ce dernier est mort en décembre 1923 et qu’en 1923, justement, Simenon se trouvait le plus souvent à Paray-le-Frésil dans l’Allier, exerçant les fonctions de secrétaire auprès du marquis Raymond d’Estutt de Tracy, riche propriétaire, entre autres, de maisons et de châteaux, de vignobles et du journal nivernais Paris-Centre. En réalité, ce n’est qu’à partir de mars 1924 que les Simenon vont bel et bien se mêler de près à la vie parisienne – lui, le petit Sim, se mettant à écrire sans relâche des contes légers et des romans populaires sous une quinzaine de pseudonymes ; elle Régine, affectueusement surnommée Tigy, n’arrêtant pas de dessiner, de peindre et de fréquenter le milieu des artistes, à Montmartre et à Montparnasse : Kisling, Foujita, Soutine, Vlaminck, Colin, Derain, Vertès, Van Dongen, les dadaïstes puis les premiers surréalistes... Le Georges Simenon d’alors n’a pas grand-chose à voir avec l’homme comblé et fortuné dont l’image s’est répandue dans le grand public après la Seconde Guerre mondiale (et que Simenon lui-même, sans conteste, a contribué à répandre), rien à voir avec le gentleman farmer comme retranché dans les campagnes du Connecticut, le châtelain d’Échandens sur les hauteurs de Lausanne, le maître de la forteresse d’Épalinges, le romancier de langue française le plus traduit sur les cinq continents et le plus choyé par les cinéastes 4 . C’est une sorte de bellâtre de vingt et un ans à peine, un tantinet hâbleur, bravache et frivole – et comme au Café du Dôme, à La Boule blanche ou, sur la rive droite, au Bœuf sur le toit, on ne sait trop à quoi il occupe ses journées ni comment il parvient à subvenir à ses besoins, on ne voit en lui que le beau chevalier servant de Madame Tigy, artiste peintre 5 ... Il suffit du reste d’examiner les différentes photos réalisées à l’époque pour s’en convaincre : sur la plupart d’entre elles, Simenon est tout sourire, l’air de n’avoir aucun état d’âme ou l’air de fomenter un innocent canular. Autant dire que ce Simenon-là est le type même du mondain. Si ce n’est, pour utiliser une expression plus prosaïque, le type même du joyeux fêtard. Tigy en est parfaitement consciente et quand, en octobre ou en novembre 1925, son bonhomme de mari et l’ardente, l’impétueuse, Joséphine Baker s’éprennent l’un de l’autre, elle ne peut hélas que se résigner. Et voilà donc qu’entre lui et Cocteau se nouent des relations amicales – et elles sont d’autant plus franches que Cocteau adore, lui aussi, les mondanités et se comporte très volontiers, au cours de ces années 1920, comme un prince frivole. Et de là à ce que ses écrits soient de la même manière taxés de frivoles... « La frivolité caractérise toute son œuvre, remarque ainsi le toujours pertinent Pascal Pia, dans un article sur les débuts du poète. Même quand il se donne des airs de gravité, même quand il se prétend abîmé de douleur, ses accents restent ceux d’un enfant gâté, qui agace plus qu’il n’apitoie. On ne saurait l’imaginer en proie à un chagrin dont il eût négligé la mise en scène 6 . » Dans ses livres autobiographiques – un gigantesque corpus de vingt-cinq volumes –, Simenon cite une quinzaine de fois le nom de Cocteau. Ce n’est pas rien, quoique l’écrivain français récoltant le plus de références directes soit André Gide avec lequel, on le sait, Simenon a longtemps correspondu mais qui n’a jamais été un de ses amis, au sens où on entend d’ordinaire ce terme 7 . À quelques exceptions près, les évocations de Cocteau sont toutes fort anecdotiques et, en général, assez convenues et des plus aimables, notamment pour dire qu’ils se voyaient fréquemment à Cannes, au bar du Carlton ou ailleurs, à l’époque des festivals, quand ils séjournaient tous les deux à la Côte d’Azur, Simenon après son retour des États-Unis, en 1955, et Cocteau chez Francine et Alec Weisweiller (villa Santo-Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferrat 8 ). C’est du genre « mon vieil ami » – une formule qui revient souvent dans sa bouche et à laquelle il a pareillement recours presque toutes les fois qu’il parle par exemple de Fellini, de Pagnol ou encore de Chaplin. Voire de n’importe quel illustre personnage. Mais, entre deux observations anodines ou entre deux menus propos à bâtons rompus, on relève de loin en loin des phrases qui ne manquent pas d’intérêt. Dans La Main dans la main (1978), Simenon constate ainsi à quel point certains hommes célèbres racontent toujours les mêmes histoires avec, dit-il, « la même intonation de voix » et « les mêmes gestes ». Et après avoir fait allusion à Sacha Guitry répétant « à l’infini » plus ou moins les mêmes blagues à ses interlocuteurs, il enchaîne sur cette confidence, un peu dans le registre de la remarque piquante de Pascal Pia : « Un autre, dont je crois que je peux parler aussi et que j’ai connu pendant de longues années, qui passait pour un enfant espiègle lançant des feux d’artifice, Jean Cocteau, m’avouait qu’avant d’aller dans le monde, comme on disait…

Thierry-Pierre Clément et l’Atelier du Héron. Entretien. (dans Dossier)

Né à Bruxelles en 1954, Thierry-Pierre Clément est poète et romancier. En 1992, il a créé, à Bruxelles, l’Atelier du Héron , premier atelier de l’archipel développé autour de l’Institut international de géopoétique .                                                                      * Jérémy Lambert – Comment es-tu entré en poésie? Thierry-Pierre Clément – On entre toujours de manière un peu mystérieuse en poésie. C’est une ouverture du cœur, de l’esprit, qui peut se révéler dès l’enfance. Chez moi, c’est arrivé à ce moment, mais sans que je sache que c’était de la poésie. Quand je marchais en forêt, ma mère me disait de respirer l’odeur des feuilles mortes, de regarder l’oiseau en vol… Elle m’a ouvert à quelque chose qui est resté en moi. Vers l’âge de neuf ou dix ans, j’ai écrit quelques poèmes, sans prétention, mais c’est vers l’âge de seize ans que j’ai vraiment commencé à écrire de la poésie, après la lecture de Rimbaud. Ah ! Le « passant considérable » (Mallarmé) de la poésie! Il fait partie des figures qui m’ont vraiment marqué. Après sa lecture, j’ai voulu exprimer ce que je ressentais et prendre moi-même la plume, sans vraie technique. À partir de là, l’écriture ne m’a plus lâché, parce que j’ai senti dans la poésie la possibilité d’un langage autre, que je recherchais pour m’aventurer dans le monde. C’est ce que Rimbaud, et bien d’autres à sa suite, m’ont appris. Tu publies ton premier recueil à la fin des années 1970. Tout à fait, c’était en 1979. Le recueil s’appelait Électrolation et fut publié aux éditions Saint-Germain-des-Prés (à Paris). « Électrolation » est le mot que j’avais trouvé à l’époque pour traduire cette « insolation électrique », ce trop plein de technologies modernes. À l’époque déjà. Oui, oui. Je lisais beaucoup les poètes de la Beat Generation, par lesquels j’étais très influencé. Il y avait alors dans ma poésie une critique profonde de la société. Électrolation a été suivi, un an plus tard, par Torrent, chez le même éditeur. En vérité, s’il y a longtemps que je me suis mis à écrire, j’ai peu publié : sept recueils de poèmes (et un roman) en presque quarante ans !                                                                     * Comment s’est faite ta rencontre avec l’oeuvre de Kenneth White? Je ne sais plus exactement si j’ai commencé à lire White avant la géopoétique, ou grâce à la géopoétique. Aujourd’hui, les choses ne sont plus très claires, dans la mesure où notre rencontre s’est faite dans le cadre de la géopoétique, mais il me semble que j’avais d’ores et déjà lu des textes de lui. À tout le moins, j’en avais entendu parlé. Une autre figure qui m’a mis en route lors de mon adolescence est Henry Thoreau. À l’époque, j’étais tout à fait imprégné de la pensée de Thoreau, ainsi que des poètes de la Beat Generation (notamment de Gary Snyder, avec qui j’ai correspondu par la suite). C’est dans cette lignée que se situe White. Et la découverte de la géopoétique? Cela s’est fait en 1989 ou 1990, à la suite d’un article qui parlait de l’aventure de la géopoétique, que je pense avoir lu dans Nouvelles clés, une revue de spiritualité. Cet article m’a beaucoup intéressé et j’ai décidé d’écrire à Kenneth White. Après la lecture de cet article? C’est cela. Nous avons correspondu et j’ai commencé à dévorer les livres de Kenneth White. En 1991, je suis allé au premier colloque de géopoétique, à Nîmes. Je l’y ai rencontré et le courant est tout de suite très bien passé. Ça a été très rapide : le colloque et la rencontre en 1991, la création de l’Atelier du Héron en 1992. Fin 1992, oui. Lors du second colloque de géopoétique (toujours à Nîmes), j’ai eu envie d’organiser une tournée de White en Belgique. Il était enthousiaste. Je l’ai donc invité une semaine, en octobre. Il logeait chez nous et je le revois dans la cuisine me demandant si je serais partant pour former un petit groupe en Belgique, qui travaillerait dans le sens de la géopoétique et qui serait relié à l’Institut de géopoétique qu’il avait créé en 1989. Pourquoi pas ! C’est ainsi que j’ai été « bombardé » fondateur de ce que j’ai appelé l’Atelier du Héron — White me laissant toute liberté quant à l’organisation du groupe. C’était le début de l’archipel géopoétique. En effet, il s’agissait du premier atelier rattaché à l’Institut de géopoétique. Comment as-tu conçu l’Atelier du Héron? Au cours de la tournée de Kenneth White, et à la suite de sa proposition, j’ai lancé un appel aux personnes intéressées par la mise sur pied d’un groupe de géopétique. C’est comme cela que plusieurs sont venues nous trouver. J’ai ensuite suscité une réunion, en novembre, qui a accueilli une quinzaine ou une vingtaine de personnes et, ensemble, nous avons déterminé la manière dont nous voyions les choses et ce que nous souhaitions faire — étant entendu, pour moi, que je ne voulais pas créer quelque chose de trop formel, de trop institutionnel. Le Héron n’est d’ailleurs jamais devenu une asbl? Non. C’était une association libre, sans président, sans statuts… C’était un atelier... ... un atelier aventureux. L’idée était de toujours rester proche de la nature, de garder le contact avec la terre. Nous allions randonner un peu partout. Nous nous arrêtions régulièrement, devant ou au cœur d’un paysage particulièrement inspirant, et lisions des poèmes, écrivions, photographions, dessinions, réalisions d’éphémères installations à l’aide de branches, d’écorces, de pierres ou de tous autres éléments naturels qui nous paraissaient porteurs, dans leur mise en relation et en espace, d’une énergie renouvelée. Et par quoi nous-mêmes découvrions alors un renouvellement de notre propre rapport à la nature. Quel était le profil des premiers membres? C’était très ouvert. Pas mal d’écrivains, de poètes ; des plasticiens, des photographes, des dessinateurs ; mais aussi des gens qui étaient simplement intéressés, sans nécessairement être des créateurs. Une diversité intéressante en ce qu’elle montre bien que c’est l’objet qui rapproche… Exactement. On se retrouvait autour de ce projet pour lequel tout restait à faire : l’Institut de géopoétique venait d’être fondé et nous en étions le premier atelier ! Nous n’avions pas d’itinéraire préétabli : on avançait, on marchait, on tâtonnait. Comment choisissiez-vous les activités que vouliez réaliser? Au départ, nous n’avions pas vraiment de thème : on expérimentait les choses. Ce n’est que peu à peu que des thèmes sont apparus, de façon à donner une sorte d’itinéraire à nos pérégrinations. Nous avons randonné en Belgique d’abord, puis aussi à l’étranger (France, Pays-Bas...). Se sont alors aussi développées des relations avec d’autres ateliers. Oui : l’Atelier du Rhône, l’Atelier de Paris, d’autres encore, en Allemagne.                                                                    * Et il y a eu les Carnets . Sur le modèle des Cahiers de l’Institut de géopoétique, les Carnets de route ont été en quelque sorte la seconde peau de l’Atelier. Cet aspect éditorial a été introduit à la fin des années 1990 : une nouvelle étape était en train de se dessiner pour l’Atelier, menée par Pascal Naud et Serge Paulus, deux membres du groupe. Ces Carnets furent une façon de laisser une trace de nos travaux, après l’« éphémarité » qui avait plutôt caractérisé les débuts de l’Atelier. Comment l’esprit de la géopoétique résonnait-il pour toi et dans ce que tu écrivais? J’ai toujours perçu la géopoétique comme quelque chose de très ouvert, tout en étant lié, profondément, à la relation…