Le théâtre en Iran : un passé persan et une présence permanente
Yassaman Khajehi
Alternatives théâtrales
n°132 , juin 2017, revue des arts de la scène
80 pages – 15 euros
ISBN 978-2-87-428105-1
Jean Ray / Thomas Owen. Correspondances littéraires
Commençons par la préface qui cadre bien les enjeux du livre. Arnaud Huftier y fait remarquer l’importance du « principe associatif » dont use la critique : un nouvel auteur est comparé à un auteur bien connu. Comparaison nécessairement réductrice car elle néglige des qualités de l’écrivain mais aussi d’autres aspects du champ littéraire. Mais, à terme, elle permet cependant à ce nouvel auteur de jouer de cette référence, de se positionner et de se construire une personnalité littéraire propre, en accentuant ce qui le différencie de l’auteur à qui il est comparé : il peut devenir « autonome ». Avant éventuellement – mais après combien de temps ? – de devenir lui-même une référence. C’est ainsi que l’on a qualifié Jean Ray d’« Edgar Poe belge » ou de « Lovecraft flamand », avant qu’il ne devienne lui-même la référence pour Thomas Owen. A. Huftier propose encore une autre réflexion intéressante : cette démarche associative postule une « communauté d’esprit » qui délimite un « genre », mais sans qu’il faille théoriser ce genre. Aux yeux des lecteurs, un texte sera fantastique ou belge parce que la critique aura établi des associations qui justifient de le placer dans le même « rayon ». Ce qui ne va pas sans clichés et lieux communs, non argumentés ou non prouvés.Dans ce cadre ainsi résumé, le livre de Jean-Louis Étienne présente les rapports entre Jean Ray et Thomas Owen et leur évolution dans le temps au fur et à mesure que leur statut respectif change, dans le contexte du développement de la notion, justifiée ou non, d’école belge de l’étrange.Thomas Owen a, très jeune, admiré l’œuvre de Jean Ray, de 33 ans son aîné. Au début de sa carrière, il va ouvertement revendiquer une filiation par rapport à celui-ci, qui sera petit à petit retravaillée, jusqu’à être finalement niée. Au début, il va faire de nombreuses mentions des textes de Ray, en répétant cependant trois leitmotivs : il n’est pas un disciple de son aîné ; il n’a pas été influencé par ses thèmes ou son style ; Jean Ray a été « un révélateur, toujours encourageant, pittoresque ». En 1987, Owen résume ce qui, à ses yeux, le différencie de son prédécesseur en fantastique : « Chez Jean Ray, le monstre enfonce la porte. Chez moi, il souffle un peu de fumée à travers la serrure. »De son côté, Ray va, après la Seconde Guerre, s’approprier Thomas Owen, confortant ainsi son statut de « maître » et singulièrement de maître de la dite école belge de l’étrange. Au vu des extraits de leur correspondance repris dans l’ouvrage, les relations entre les deux hommes semblent être vraiment cordiales et même amicales. À la mort de son mentor en 1964, Owen va cependant, plus librement, se distancier de celui-ci et s’autonomiser. Les notices accompagnant ses publications, qu’il rédige ou relit alors, ne font progressivement plus mention de son « maître ès fantastique ».Sur un point, Owen ne s’est pourtant jamais repris : la « légende » de Jean Ray. Il avait été un des principaux propagateurs des faits à la fois sombres et héroïques attribués au Gantois (trafic d’alcool, marin expérimenté, ascendance sioux, etc.), allant même jusqu’à décrire dans une de ses nouvelles une visite au cimetière de Bernkastel en compagnie de Ray – où celui-ci ne s’est jamais rendu – et continuant à l’affirmer véridique. Étrangement, dans l’entretien de 1987, il regrette même la disparition de la légende au profit de la vérité historique. : « Henri Vernes s’efforce de maintenir la légende, comme Van Herp, comme moi-même. Nous menons un combat qui devient de plus en plus difficile. Pourquoi ce combat ? C’est tellement plus beau… Je l’aimais bien, je l’aimais pirate, et lui aimait d’être aimé pirate. »L’étude, foisonnante, s’appuie sur de nombreux documents illustrant le propos. Joseph DUHAMEL…
« … le vieux monde est derrière toi. » Cet aphorisme qui fleurissait avec d’autres sur les…
«Sortir de la séduction ». Nouveaux regards sur Dominique Rolin
Francofonia est une revue semestrielle consacrée aux littératures de langue française qui paraît grâce à la contribution du Département de Langues, Littératures et Cultures modernes de l’Université de Bologne et, pour ce numéro, de la Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La rédaction avait depuis quelque temps l’intention de consacrer un numéro de la revue à Dominique Rolin (1913-2012). Pour fêter le centenaire de sa naissance et, pourquoi pas ? célébrer son centième anniversaire. Elle est morte quelques jours avant son 99e anniversaire. Une disparition qu’elle-même avait négociée comme un compromis, ce que rappelle Maria Chiara Gnocchi, maître d’œuvre de ce volume, par une citation des Éclairs : Le jour de ma disparition ne pourra jamais être considéré comme une prise de la mort sur moi mais une saisie de moi sur la mort. L’écrivaine a traversé le siècle et publié quelque quarante livres, sans compter les nouvelles, le théâtre, les entretiens et les conférences ; son dernier ouvrage, Lettre à Lise , est sorti en 2003. Le premier roman, Les Marais , est publié en 1942 à Paris, chez Denoël. Elle quitte alors la Belgique pour la France. Elle deviendra française à la suite de son mariage (le 2ème) avec le sculpteur Bernard Milleret. Elle obtient le prix Femina en 1952 pour Le Souffle . On lui reconnaît des thèmes constants : la famille, la filiation, le temps, la mort, l’amour (et l’aimé) et enfin l’écriture elle-même. Un style riche en référence physiques et autoréférentielles, mais aussi, de plus en plus, en réflexions métanarratives : elle observe son travail se faisant et le commente. Pour la connaissance, l’analyse et l’exégèse de son œuvre, on ne peut que se reporter aux nombreux articles de Frans de Haes et à ses deux publications majeures : Le Bonheur en projet . Hommage à Dominique Rolin (1993) et Les Pas de la voyageuse (2006).L’objet de ce numéro de Francofonia qui est de rassembler de « Nouveaux regards sur Dominique Rolin » annonce d’emblée, dès les premiers mots du titre, une intention : « Sortir de la séduction ». Étonnant constat en même temps qu’une volonté toute catégorique de changement, que Maria Chiara Gnocchi développera dans son introduction : on aurait eu tendance jusqu’à présent à se laisser porter par un discours admiré et à le paraphraser plutôt que de le soumettre à un réel examen critique. Les études passées, plutôt rares, ont généralement considéré la biographie et l’œuvre en parallèle et eu le plus souvent recours à une lecture psychanalytique de ce qu’elles réduisaient à la seule écriture de soi.Comment les différents auteurs qui ont participé à l’entreprise présente ont-ils adopté la nouvelle ligne critique proposée par l’initiatrice du projet ?Les contributions qui ouvrent et referment le volume adoptent résolument une perspective « centrifuge ». La première, que signent Paul Aron et Cécile Vanderpeelen-Diagre, puise dans la matière familiale si dense dans l’œuvre de Rolin pour évoquer plus spécialement une figure peu présente, Judith Cladel, sa tante, fille de Léon Cladel, auteur naturaliste belge établi à Paris. Une authentique femme de lettres, indépendante, autonome, dont l’évocation nourrie des correspondances diverses, dont celle qu’elle a entretenue avec Edmond Picard, aide à retracer son parcours dans l’institution littéraire. Et partant, celui de Dominique Rolin qui s’en est inspirée dans plusieurs de ses romans familiaux. Plus inattendue, la deuxième (et dernière du cahier) invite à une lecture comparée de William Faulkner et Dominique Rolin, qu’entreprend Maria Chiara Gnocchi. À partir des préférences avouées de Rolin elle-même, dans la littérature anglophone moderniste, soient deux romans de Virginia Woolf, Les Vagues et La Chambre de Jacob , et Tandis que j’agonise de l’écrivain américain, elle va rapprocher de ce dernier La Maison, la Forêt. On sait que Rolin découvre Faulkner au début des années 30, lorsque paraissent les premières traductions. Mais l’époque du Nouveau Roman en France se signale par un renouveau d’intérêt pour le roman américain, et notamment Faulkner, remarquable par un traitement libre de la narration, des personnages et l’emploi systématique du monologue intérieur, pratique qu’adoptera souvent Rolin, sans appartenir pour autant à ce groupe du Nouveau Roman, s’il existe. Cette influence est signalée par la critique à propos du For intérieur . Notons que, l’année de la parution de La Maison, la Forêt , Rolin se fait évincer du Jury Femina où elle avait succédé à Judith Cladel.Entre ces textes liminaires, trois articles constituent le cœur de l’étude et abordent l’œuvre de Rolin selon une approche critique spécifique jamais pratiquée, alors qu’aucun des auteurs n’est spécialiste de Rolin. C’est donc avec un regard nouveau que Juline Hombourger, Jean-François Plamondon et Katia Michel lisent et commentent ses ouvrages. La première, auteure d’une thèse sur le travail du négatif, examine Dulle Griet sous cet angle et le deuxième, spécialiste de l’écriture du moi, applique à la Lettre au vieil homme une méthode de lecture originale. Quant à la troisième, elle traite plus précisément de la féminité dans deux romans, Les Marais et Le Souffle .Puissent ces cinq approches carrément nouvelles de l’œuvre rolinienne ouvrir la voie à d’autres études. D’autant mieux que la matière ne manque pas. À l’œuvre abondante de l’auteure il faut ajouter le dépôt récent de la Fondation Roi Baudouin à la Bibliothèque Royale de la correspondance croisée (1958-2008) de Dominique Rolin et Philippe Sollers, le Jim incontournable des romans, ainsi que la totalité du journal intime de l’écrivaine (35 volumes), actuellement en cours de catalogage, transcription et numérisation.Enfin, on soulignera la publication dans ce numéro de Francofonia de la dernière interview de la romancière, accordée à Jean-Luc Outers,…