Le théâtre en Iran : un passé persan et une présence permanente
Yassaman Khajehi
Alternatives théâtrales
n°132 , juin 2017, revue des arts de la scène
80 pages – 15 euros
ISBN 978-2-87-428105-1
Ils admiraient Hitler. Portraits de 12 disciples du dictateur
Douze : le chiffre n’a certainement pas été innocemment arrêté par Arnaud de la Croix, expert ès connaissances ésotériques et symboliques. La galerie d’admirateurs d’Hitler qu’il rassemble a en effet tout de la cohorte de disciples, si dispersée et éclectique soit-elle. Bien sûr, l’entreprise aurait pu être plus ambitieuse, mais la vigueur des portraits et la force d’analyse s’en seraient alors trouvées délayées. Arnaud de la Croix a préféré miser sur une sobriété davantage éclairante quant aux motivations de l’engouement, quand ce n’est de la passion, que déclencha le Führer auprès de personnalités ô combien différentes. Ils sont français, étasunien, italien, belge, allemand, anglais, arabe ; nés entre les années 1850 et l’aube du XXe siècle ; aviateur, cinéaste, écrivain, théologien, grand Mufti, philosophe ou encore… dictateur à leur tour ; et sur chacun de ces parcours, qui ne laissait pas nécessairement présager une dérive vers l’allégeance au totalitarisme, se dressa à un moment la silhouette de celui qui incarne le Mal absolu.Bien sûr, un antisémitisme de fond facilite leur adhésion aux thèses nazies et rend pour ainsi dire naturelle leur croyance dans le caractère providentiel d’Hitler pour régler la « Question juive ». Le cas Henry Ford est à cet égard étonnant, dans la mesure où ce sont certainement les quatre volumes de The International Jew , manière de réécriture des Protocoles des sages de Sion qu’il publie entre 1920 et 1922, qui inspireront plusieurs chapitres de Mein Kampf . Un portrait de l’industriel aurait même trôné dans le bureau d’Hitler, thuriféraire de la Ford T, et un lourd soupçon de financement de la NSDAP via des fonds provenant de Detroit subsiste encore aujourd’hui parmi les historiens. Aucun doute par contre quant au rôle joué par la filiale de la Ford Motor Company dans la construction de camions pour la Wehrmacht. Le renvoi de balle est logique : Ford se montrera très élogieux par rapport à la lutte contre le chômage menée en Allemagne de l’époque et se serait bien vu serrer la main à son modèle en politique sociale, au congrès de Nuremberg de 1939, si l’histoire n’en avait décidé autrement…La présence de deux autres Américains dans l’ouvrage révèle que l’aura d’un homme peut s’exercer sur des tempéraments antipodiques, et à des degrés très variables. Il y a d’une part Charles Lindbergh, homme d’action à la vie tumultueuse et meurtrie par la mort tragique de son bébé en 1932, véritable incarnation de l’ American way of life , qui rencontrera Hitler dans le contexte des Olympiades de Berlin en 1936. C’est principalement la menace soviétique qui le poussera à voir en Hitler un rempart à la décadence globale de l’Occident. Ce type de discours perdurera davantage dans les propos de l’aviateur que sous la plume de l’écrivain Lovecraft, dont la haine judéophobe sera un moment en phase avec celle de l’Allemagne de 1933 et lui fera même écrire à l’époque qu’Hitler, tout grotesque et barbare fût-il, était « profondément sincère et patriote ». Une opinion que le créateur du Mythe de Ctulhu , réactionnaire authentique doublé d’un suprémaciste blanc, ne maintint pourtant pas jusqu’au bout d’une existence qui, de toute façon, s’acheva en 1937, bien avant les grandes conflagrations et les horreurs de l’Holocauste. Le Duc de Windsor et ex-roi d’Angleterre Edouard VIII, lui, les vécut et leur survécut, pourtant il s’estimait en droit de déclarer, dans un entretien privé : « [Hitler] killed only six millions of them. He didn’t finish the job ».Pas question de parité dans cet ensemble ; bien que de nombreuses études aient démontré que la barbarie n’avait pas de sexe, il reste clair que la célébrité à l’époque reste l’apanage des mâles. L’exception la plus notable demeure Leni Riefenstahl, dont on connaît la place privilégiée qu’occupent ses longs métrages (grandes messes du Reich, exploits des dieux du stade) au sein de l’usine à propagande que fut le cinéma nazi. Ainsi Mick Jagger avait paraît-il visionné plus de vingt fois Le Triomphe de la Volonté , et Andy Warhol n’était pas indifférent à l’esthétique de « la Riefenstahl », comme la nommait Hitler. Entre eux deux régnait un mystérieux magnétisme, que la réalisatrice expliquait en ces termes à La Revue belge en 1939 : « Vous croyez qu[‘]Hitler est fou, sanguinaire et fanatique. Vous devriez le voir la nuit, à son balcon, admirant le ciel étoilé, parlant de Wagner, sans un mot sur la politique… […] Lorsque que quelque chose l’émeut, il a des larmes dans les yeux, mais l’instant d’après il est méconnaissable dans sa fureur. Il parle sans arrêt, mais ne discute jamais ».Moins que ses talents d’orateur, c’est aussi « la couleur et la tristesse des yeux d’Hitler » qui frappe l’écrivain et journaliste français Robert Brasillach, lorsqu’il l’entrevoit en 1937. Et Léon Degrelle, prétendant avoir reçu à l’oreille de la part de son Dieu vivant l’aveu qu’il aurait voulu ce fier Wallon pour fils, scrute à son tour « ses yeux clairs, si sensibles, à la flamme simple et rayonnante ». Une vision du monde, voilà au fond ce que partagèrent toutes ces individualités avec leur idole, momentanée ou d’une vie ; un regard exalté de mauvais démiurge, ivre de domination et, comble de l’abjection, imperméable…
Entretien: David Michiels, directeur du théâtre royal des Galeries
- Vos occupations et vos rêves d’enfant réservaient-ils une place à la comédie, la mise en scène, le métier de comédien ? Le théâtre ne faisait pas partie de notre vie familiale. Il n’entrait pas dans les préoccupations de mon père, passionné par le foot et le cyclisme, ni dans celles de ma mère, institutrice dans l’enseignement spécialisé. Par rapport aux milieux culturels, je me situais surtout en dilettante et après mes humanités, j’ai suivi les cours de journalisme à l’International Press Center. C’est en cherchant un job pour payer mes études que j’ai mis un pied dans le monde du spectacle. Mais entendons-nous, il consistait à ; charger et décharger les camions des Galas Karsenty. A l’époque, le théâtre parisien débarquait à Bruxelles pour exporter les productions les plus populaires et les plus appréciées de la capitale française. L’univers « matériel » du théâtre me plaisait et j’ai été amené à prendre différentes postures inhérentes au métier : accessoiriste, figurant, souffleur et régisseur (parfois le tout en même temps !). A dix-neuf ans, on ne doute de rien et on suit sa bonne étoile. Le hasard de la vie et surtout, celui des rencontres, m’ont insensiblement familiarisé aux différents métiers du théâtre. A cet égard, je sais gré à Raymond Pradel de m’avoir permis d’entrer, de toucher et d’agir en « artisan » à la réalisation d’un spectacle. Lors d’une tournée en province, alors que j’étais chargé de conduire le matériel, Jean-Pierre Rey me demanda si je souhaitais jouer le rôle du « notaire » ... Je serais donc aussi comédien car les suggestions du Directeur des Galeries mobilisaient d’emblée les énergies de chacun... - Vous dites : « J’ai réellement tout fait dans le théâtre et je suis très heureux d’avoir accumulé cette expérience de terrain. Oui, j’insiste sur mon intérêt initial pour les aspects artisanaux et techniques d’une création, et ma curiosité naturelle pour la vie matérielle du théâtre. Tant de métiers sont présents dans l’élaboration d’un spectacle ! Assistant à la mise en scène, je rendais volontiers les services qui m’étaient demandés dans tous les domaines périphériques (électricien ou figurant s’il le fallait), je me suis trouvé un emploi dans les petits rôles qu’on me confiait, de plus en plus certain d’avoir ouvert en curieux et passionné, toutes les portes du théâtre. - « Mettre un pied dans le monde du spectacle », c’est accéder à une autre réalité ? Oui mais c’est aussi partager des émotions avec les plus grands. Jean-Pierre Rey en avait le format et m’a beaucoup appris. A son contact, je me suis trouvé « chez moi » dans le théâtre, et de manière très naturelle... Directeur du Théâtre Royal des Galeries... Un défi ? Une consécration ? Un rêve ? Une inclination naturelle ? Au cours des années 1990, la santé de Jean-Pierre Rey s’est fort dégradée. Quand il me demanda de lui succéder, j’ai pensé que mon expérience de terrain pouvait se révéler utile à la Compagnie. J’ai donc accepté sa proposition. - Quand Jean-Pierre Rey a fondé « La Compagnie des Galeries » en 1953, répondait-il à une aspiration du public bruxellois ? La fin de la deuxième guerre mondiale a changé profondément la mentalité des spectateurs. Les plateaux bruxellois ont longtemps été occupés par des comédiens français (qui assuraient quasi le monopole de la comédie). Peu à peu, les comédiens belges se sont révélés et ont répondu naturellement et in situ, à la demande de divertissement qui s’affirmait dans l’immédiat après-guerre. - Lucien Fonson, Aimé Declercq et Jean-Pierre Rey avaient monté quelques pièces dans la cour du Château de Beersel... Le succès était déjà au rendez-vous ! Oui, C’est bien à Beersel en 1949 qu’on retrouve l’ADN de la Compagnie des Galeries ! A la fin des années 40, Jean-Pierre Rey, comédien et jeune régisseur au Vaudeville et au Parc, rassemble quelques comédiens et monte des spectacles en plein air adaptés aux lieux, dans la cour du château de Beersel (Représentations de Hamlet, Roméo et Juliette...). Le succès populaire est immédiat et conforte le projet, le rêve d’un théâtre permanent... Aimé Declercq et Lucien Fonson voient dans ce formidable écolage à Beersel, l’opportunité de créer une troupe à demeure au Théâtre des Galeries. Jean-Pierre Rey est alors sollicité pour asseoir de manière officielle la Compagnie des Galeries qui produit ses premiers spectacles en 1952-1953. Même si les débuts sont difficiles, les créations s’enchaînent, de Feydeau à Marguerite Duras, de Molière à Françoise Dorin. Entouré d’une équipe solidaire et disposant d’une équipe de comédiens doués et dynamiques, Jean-Pierre Rey fait bouger son monde (tournées des Châteaux, représentations dans les régions les plus éloignées de la capitale). Surmontant des années difficiles, le Théâtre est enfin consacré et subventionné. Plus tard, la télévision a relayé les créations et programmé un nombre important de captations. Un large public fit alors la connaissance d’une génération particulièrement douée : Christiane Lenain, Jean-Pierre Loriot, André Debaar, Serge Michel, Jean Hayet et Jacques Lippe accèdent alors à la notoriété... - C’est alors qu’émergea l’idée folle et géniale de la Revue, qui deviendra à chaque fin d’année un événement fort de la capitale... En arrivant au Théâtre des Galeries, avez-vous suivi la foulée de votre prédécesseur ou avez-vous eu envie de changer les normes de création et de sélection ? C’était un devoir de suivre la tradition et la réinventer à chaque spectacle. Un principe d’excellence que des comédiens doués ont su préserver mais qui exige de facto un rajeunissement respectueux. Une règle déontologique que nous tentons de suivre... - Gérer un théâtre est aussi un défi économique... Par les temps qui courent, on peut imaginer que le devoir est de plus en plus redoutable... On ne peut le nier, il y eut des années difficiles, des équilibres délicats, mais aussi des renoncements pénibles... Réduire les achats, se séparer de l’un ou l’autre collaborateur, travailler sans compter les heures... Sans aucun doute, il a fallu se serrer les coudes pour y arriver ! La rentabilité d’un théâtre comme le nôtre est une exigence drastique. - Le milieu du théâtre est particulièrement sensible. Comment avez-vous négocié votre « entrée » ? Très naturellement. L’impression d’être chez soi. Je connaissais tout le monde et j’avais eu l’occasion de m’essayer aux différents postes techniques qui participent de la création d’un spectacle. Et les plus anciens de la Compagnie m’ont, pour la plupart, soutenu . Il n’y a pas eu d’ « intégration » à proprement parler mais une sorte de con- tinuité rendue légitime par mes occupations mêmes au sein du théâtre. - On voit souvent le Théâtre Royal des Galeries comme un lieu réservé aux pièces de « boulevard ». Et cependant, la comédie peut y être grinçante, proche quelquefois de la tragédie. De Feydeau à Marguerite Duras, les grands écarts ne sont pas exclus ! Les grands écarts sont importants. La programmation doit être variée ; les publics différents réclament tout à la fois des œuvres de tradition et de renouvellement. La Compagnie rassemble un public varié, de tous les âges et de toutes origines sociales. 900 places leur sont attribuées tous les soirs... C’est énorme. Les abonnés nous viennent de toutes les régions du pays, même de Flandre ! Ceci pour expliquer le soin que nous apportons pour répondre aux attentes du plus. - Quels sont éléments qui vous inspirent une nouvelle pièce et quel sens donnez-vous aux propos du public ? Quelle responsabilité ! Il y a le travail d’équipe, les suggestions, la lisibilité d’une pièce, les premières observations du metteur en scène... Il convient aussi de se mettre à l’écoute du public. A cet égard,…