À ceux qui clament haut et fort que le mariage est une institution désuète, la littérature américaine contemporaine rétorque brillamment en proposant une série de livres aux titres évocateurs. Après l’Histoire d’un mariage d’Andrew Sean Greer (2009) et le Roman du mariage de Jeffrey Eugenides (2013), voici Julie Courtney Sullivan avec les Liens du mariage (2014).
À ceux qui clament haut et fort que le mariage est une institution désuète, la littérature américaine contemporaine rétorque brillamment en proposant une série de livres aux titres évocateurs. Après l’Histoire d’un mariage d’Andrew Sean Greer (2009) et le Roman du mariage de Jeffrey Eugenides (2013), voici Julie Courtney Sullivan avec les…
Il y a douze ans, Joyce est partie au Mexique avec son mari Richard et sa fille Lily de deux ans. Un moment d’inattention sur la plage et la petite a disparu. La police mexicaine, le consulat américain et un détective privé se penchent sur cette affaire. Leur conclusion : Lily a été enlevée. Par qui ? On ne sait pas. Après des mois de recherche, la police, les avocats, les détectives et même Richard baissent les bras. Trois ans après cette tragique disparition, le couple formé par les parents a divorcé. Richard est passé à autre chose, mais pas Joyce. Obsédée par sa fille, elle passe son temps sur tous les réseaux sociaux à la recherche d’un indice qui pourrait l’aider à retrouver Lily, égrenant même les photos des sites pornographiques. Joyce imagine le pire, la quête de sa fille la plonge dans une descente aux enfers jusqu’à l’aliénation. Son combat est celui d’une mère pour son enfant : viscéral. À force d’aller sur les réseaux sociaux, Joyce a le sentiment de vivre dans un monde virtuel. Pendant douze longues années, elle a ingurgité tant de photos de vacances, de blagues idiotes, de mêmes pensées philosophiques qui allaient et revenaient par vagues. Elle a visionné des milliers de visages sur l’écran. Voyeuse, elle a été témoin de baisers intimes, de caresses sur d’autres corps. Elle a avalé des centaines de gâteaux d’anniversaire, assisté à des milliers de fêtes de mariage. Elle a envié ces tablées heureuses, ces verres à moitié vides, ces bougies à la cire coulante, ces emballages froissés. Combien de fois ne s’est-elle pas dit que cette famille aurait pu être la sienne […] Le récit commence au moment où Joyce est récompensée de ses efforts : elle pense avoir retrouvé Lily, qui va bientôt avoir quinze ans. Ça n’est pas la première fois que cette certitude survient, mais cette fois-ci, elle sent que c’est la bonne. Elle contacte sans tarder Peter, son allié de SOS Enfants en danger, qui la soutient depuis l’ouverture du dossier. Celui-ci est envoyé au Mexique pour rencontrer Lily et veiller à son confort et sa sécurité là-bas. C’est sans compter sur les manières brutales des Mexicains pour gérer l’affaire à leur façon, à savoir arracher la jeune fille en pleurs dans son école. C’est sans compter non plus sur la corruption d’une Joyce désespérée qui paye un pot-de-vin à son avocat pour assurer un rapatriement rapide de l’adolescente aux États-Unis, avant même d’avoir obtenu les résultats du test ADN. La rencontre entre Joyce et l’adolescente est brutale, difficile, décevante.Parallèlement à l’histoire de Joyce, nous sommes amenés à lire celle de Hilaria, qui a enlevé Lily. Cette ancienne voisine de Joyce avec un faux diplôme d’infirmière en gériatrie a enlevé sans honte la petite fille car elle estimait que Joyce, cette grande bourgeoise absorbée par les mondanités, était une mauvaise mère. Frappée de stérilité, elle est obsédée par l’idée d’avoir un enfant et considère Lily comme son bien. Je suis la maîtresse de maison. Je suis la plus forte. Pour le rapt de Lily, on ne m’attrapera jamais. Personne ne fera le rapport entre McMillan et moi. Personne. Lily est morte. Ixchel est à moi. Si Joyce voulait garder sa Lily, il fallait y penser plus tôt, être attentive, veiller sur elle. Joyce a du fric. Elle a tout. Elle n’a qu’à adopter un enfant, si ça lui manque. Il y en a plein qui crève[nt] de faim partout dans le monde. On pourrait penser que l’intérêt du roman réside dans l’intrigue policière et son dénouement. Certes, le suspense est présent, on est tenu en haleine et on veut savoir si la jeune Mexicaine est bien Lily devenue adolescente. Il y a toutefois plusieurs autres éléments en toile de fond qui donnent de la densité et de la finesse au récit : on y retrouve le choc des cultures et des différences de classes (et la vision dure que chacune a de l’autre), la profonde solitude de Joyce, mais aussi de personnages secondaires comme Peter. Puis il y a aussi la folie de Hilaria. Cette folie que l’on rejette de prime abord, mais qui suscite une certaine empathie lorsqu’on découvre peu à peu les événements douloureux de son passé. On n’excuse rien, on comprend mieux l’incompréhensible. Disparition à Isla Mujeres est un roman qui laisse voir une réalité brute avec une acuité juste et déstabilisante, nous montrant l’humanité dans la monstruosité, nous rappelant à tous, êtres humains, nos lignes de faille. Un récit coup de poing. À lire ! Séverine…
Être moi, toujours plus fort. Les paysages intérieurs de Léon Spilliaert
Après Monet ( L’adieu au paysage. Les nymphéas de Claude Monet , La Différence, Monet, impressions de l’étang , Arléa), Rothko ( Mark Rothko, rêver de ne pas être , Arléa), Nicolas de Staël ( Nicolas de Staël, le vertige et la foi , Arléa), Goya ( Visions de Goya, l’éclat dans le désastre , Arléa, prix Malraux 2019 ), le dialogue que Stéphane Lambert noue avec la peinture se porte sur Léon Spilliaert. Proximité, sismographe de poète, affinités électives, démarche questionnante qui décloisonne l’œuvre et la vie et plonge à mains nues dans l’imaginaire des peintres : ce quatuor compose moins une méthode qu’un embrasement passionné. Dans Être moi, toujours plus fort. Les paysages intérieurs de Léon Spilliaert , Stéphane Lambert livre un récit à deux voix, celle du peintre Spilliaert, celle du narrateur-auteur. Lire aussi : Histoires de vie, des rencontres risquées entre réel et imaginaire (C.I. 190) Comment, un siècle plus tard, mettre ses pas dans ceux de cet artiste né en 1881 à Ostende, qui déclina dans des œuvres marquées par l’inquiétude et l’angoisse la station balnéaire, la puissance de la mer, la nuit — fût-elle en plein jour ? Un subtil jeu d’échos, voire de miroir, s’établit entre ces deux voix qui, davantage qu’être séparées par le temps, se tiennent à distance du tumulte du monde des hommes. Peintre de l’intériorité, Spilliaert a trouvé en Stéphane Lambert un lecteur guidé par les Muses de la sensation et de la voyance.L’essai campe une scène fondatrice, aurorale, de nature géographique, plus exactement psychogéographique : la naissance de Spilliaert à Ostende, un lieu à la lisière de la terre ferme et de l’eau. De même que la ville d’Ostende est construite sur deux éléments antagonistes — la terre et l’eau —, le peintre des espaces nocturnes et vides, de l’errance nimbée de fantastique, navigue entre solidité terrienne et évanescence aqueuse. Comme si la singularité du lieu où il naquit, passa sa jeunesse et une grande partie de sa vie adulte s’était réverbérée dans son caractère, dans son être-au-monde… Richement ponctué par des œuvres de Spilliaert (datées des années 1901-1910, à l’exception de Troncs noueux de 1938), construit sur l’alternance des deux voix, l’essai restitue le voyage de Spilliaert sur les terres de l’inquiétante étrangeté. Étrangeté de la mer du Nord, de l’Océan disait-il, étrangeté de l’existence, opaque comme le flux et le reflux des marées, des sensations, rapport trouble au monde du dehors et au monde intérieur : l’intranquillité de la mer, son appétit d’ogre (« chaque tempête réclame son âme à dévorer ») résonne avec celle de Spilliaert qui, questionnant l’essence des choses, des êtres, des paysages, mettra en forme le réel perçu en le nimbant d’irréalité. Début du 20e siècle : un tremblement d’irréalité décolle les étants, les matières d’eux-mêmes et fait de Spilliaert le spectateur d’un monde par rapport auquel il demeure étranger. Début du 21e siècle : sur les traces de Spilliaert, à Bruxelles, à Ostende, Stéphane Lambert fait l’expérience d’une faille entre soi et le monde, d’un dénivelé irrelevable entre le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible. C’est sur cette faille que l’art se construit. Sœur de celle de Pessoa, l’intranquillité comme tonalité des dessins, des lavis se traduit dans des paysages désorientés, mangés par l’obscurité, désertés par l’humain, dans des autoportraits rongés par le doute. L’Océan est toujours le même, et toujours changé. Le sable est un sol sans mémoire. Je cours derrière l’angoisse qui me pousse. Mes pas effacés s’amoncellent dans une manne inconnue. Ce que je cherche se trouve de l’autre côté. Toujours de l’autre côté. Mettre ses pas dans ceux de Spilliaert, ressusciter les rencontres qu’il eut avec Ensor, les symbolistes, Maeterlinck, Verhaeren (dont Spilliaert illustra les œuvres), avec Zweig, évoquer son mariage, sa venue à Bruxelles, c’est pour Stéphane Lambert descendre en rêveur éveillé dans le vertige immobile, teinté d’onirisme, qui imprègne ses toiles, son existence, c’est s’ouvrir à l’inapaisement de la démarche artistique. Le dialogue, le voyage impulsés par Stéphane Lambert métamorphosent le fantôme de Spilliaert en contemporain revenu à la vie. La grâce de l’écriture est d’abolir…
"Moi, Pierre Raymond, guide assermenté, je jure que ceci m'est réellement arrivé, qu'encore enfant,…