Image de l'oeuvre - Little miss mytho

Notre critique de Little miss mytho

Au cœur de la banlieue parisienne, dans un îlot d’immeubles tristes et gris, Laetitia traîne son ennui et cherche des excuses pour éviter l’école. Elle trace sur ses phalanges un mot différent chaque jour, toujours sombre, expression de sa jeunesse désenchantée. La vie est étroite et fade, même si pour elle, fille de prof de math « qui ressemble à ces chats de grandes races », l’avenir est plus riant que pour d’autres. Alors, pour se sentir vibrer et surtout provoquer un lever de sourcil jaloux des copines, elle ment, invente sa vie, « cherche du rêve, juste un peu d’extraordinaire dans l’ordinaire ». Elle adopte un loup, son père est cambrioleur ou écrivain, son frère, top model à New York… Laetitia ne recule devant aucune énormité ou invraisemblance.

Vinciane Moeschler (À corps parfait, Caraïbes amères, et aussi Alice et les autres, Prix des lycéens FW-B 2023) nous fait entrer dans son roman par un autoportrait du personnage central livré sans complaisance. Et en particulier par la mise en avant de sa mythomanie qui, on s’en doute, sera le fil rouge du roman et la source de difficultés et malentendus en cascade. Un travers dont Laetitia parle avec clairvoyance et sincérité, avouant son incapacité à résister à la tentation de « raconter des craques, des bobards, des canulars ». Un défaut qui d’emblée est présenté comme pathologique, Laetitia semblant chercher à combler une faille, un manque, à compenser un déséquilibre originel. Vinciane Moeschler, par touches successives, dessine la personnalité de la jeune fille, fait état du contexte familial dans lequel elle a grandi et de l’époque anxiogène dans laquelle elle vit (l’histoire se déroule peu après la crise du covid dont on perçoit les stigmates).  Sans excuser ni juger le mensonge, l’autrice présente les éléments susceptibles de l’expliquer ; par-là, elle universalise le personnage de Laetitia, figure d’une jeunesse en déshérence, à la fois ancrée et hors sol, bien consciente du mur invisible qui se profile à l’horizon et cherchant à échapper au réel.

Par contraste, Eden, jeune Syrien solitaire déscolarisé, dandy et pianiste autodidacte fait figure d’ovni alors qu’il est un pur produit de la cité et de ses stéréotypes nauséabonds. C’est lui qui porte la lumière de ce roman, incarnant des valeurs fortes et invoquant la puissance de l’art et des mots comme contre-offensives au désenchantement.  Il graffe à toute heure des aphorismes sur les murs de la cité : Ceux qui rêvent sans avenir cultivent le cauchemar, Ne prends pas la vie trop au sérieux, de toute façon tu n’en sortiras pas vivant, Allons enfants de l’anarchie, le jour d’y croire est arrivé

De la rencontre entre Eden et Laetitia (« L – A - E dans l’A – Ti – Ti - A ») pourrait naître le salut, comme en réponse à l’attente.

Vinciane Moeschler nous livre son troisième roman pour la jeunesse, construit sur les portraits croisés de ces deux personnages fragiles et attachants, parsemé de références à la musique et à la peinture. Gainsbourg, La Callas, Basquiat, Chopin inspirent et soignent, appelant au rebond de la jeunesse par la culture : Aux arts, citoyens !

Caroline Berger