Image de l'oeuvre - Le pont de l’origine

Notre critique de Le pont de l’origine

Il est des livres qui ne se contentent pas de se lire : ils se respirent, se contemplent et résonnent en nous comme un écho familier. Le pont de l’origine, écrit par Emmanuèle Sandron et illustré par Salomé Borbé, appartient à cette catégorie d’albums où la poésie du récit rencontre la délicatesse des images. Il nous invite à un voyage le long du canal de Seneffe, à plonger dans nos propres souvenirs.

Une petite fille, appelée par la nature, nous entraîne dans une promenade automnale au fil de l’eau. Un voyage tendre vers une autre époque — celle des bateliers, des péniches et des écluses — où la mémoire et l’oubli se mêlent comme des bulles légères à la surface du canal. Elle nous montre des photos de moments heureux : le mariage de ses grands-parents, ses parents enfants, joyeux et insouciants — des images qui contrastent avec les disputes incessantes d’aujourd’hui. À travers ces fragments de vie, l’album explore la filiation, montrant comment nos racines et nos liens familiaux nous accompagnent toujours.

Les illustrations, réalisées au crayon de couleur, apportent une atmosphère feutrée, presque onirique. L’automne est à nos portes… On croit sentir la caresse d’un rayon de soleil timide sur le visage, les feuilles du saule pleureur nous frôler, entendre le gloussement des poules d’eau, respirer le parfum de la terre et des feuilles humides. Tout est suggéré avec délicatesse, comme si la nature elle-même conservait la trace de notre passé.

Lire Le pont de l’origine, c’est aussi faire remonter à la surface des bulles de souvenirs. Je vis moi aussi en face d’un canal, et je me suis retrouvée dans cette petite fille émerveillée face à ce paysage apaisant, gardant en elle la trace de son enfance et de ses grands-parents. J’ai revécu les longues promenades de cet été avec mon fils, qui aime pêcher au bord de l’ancien canal, ou encore les balades avec mes élèves pour découvrir le fonctionnement de l’écluse de Courcelles. Et puis me sont revenues d’autres images familières : mon grand-père, assis dans son fauteuil, un crayon à la main, faisant ses mots croisés ; ma grand-mère, nous servant une tarte au sucre accompagnée de sa petite liqueur de pissenlit. Des instants suspendus, si simples et pourtant si fondateurs.

Emmanuèle Sandron, originaire de Charleroi, livre ici une histoire profondément ancrée dans la mémoire intime, mais qui touche à l’universel. Quant à Salomé Borbé, illustratrice et fleuriste, elle offre au texte une poésie visuelle inspirée de son amour pour le monde végétal.

Le pont de l’origine, véritable petite madeleine de Proust, nous rappelle que nos racines et notre force intérieure sont toujours là. Elles surgissent dans l’instant, légères comme des bulles d’air, et qu’il suffit parfois de fermer les yeux pour les retrouver et repartir vers la vie, plus attentif à ce qui nous entoure.

Catherine Garcia Calero