Rascal place un exergue dans chacun de ses albums (ou presque). Il en parle comme de sentinelles "qui éclairent les livres d'une autre lumière". Ici c'est à Patty Smith qu'il fait appel. "Je ne savais pas ce que ça pouvait bien être, un glaneur de rêves, mais ce mot avait une certaine noblesse et ce travail me semblait tout indiqué pour moi". Glaneur de rêves, un travail tout indiqué aussi pour le héros de ce livre! "Tant que la première phrase n'est pas là, assez forte pour entraîner avec elle la suite de l'histoire, je ne vais pas plus loin" avoue l'auteur dans la plaquette que Pastel lui a jadis consacrée. Jugez vous même. N'est-elle pas forte cette première phrase? "Sur une vaste plaine qui n'avait jamais vu pousser le moindre brin d'herbe, un homme avait fait le rêve d'y planter un arbre". Sur la page de garde, un arrosoir noir sur blanc, fait figure d'indice : le frêle arbrisseau que le comptable Alexandre va planter aura bien besoin d'être arrosé avant qu'apparaissent de nouvelles feuilles. Mais la réussite est au bout du chemin, le titre nous l'avait déjà assuré. L'arbre va vivre au delà du temps humain. Et ensuite "sachant la chose possible", d'autres en planteront "de toutes essences et à foison". Rascal dit écrire à voix haute. Cela s'entend dans la manière dont les sons des mots résonnent, se coupent et se juxtaposent. Parfois même les lettres s'adaptent au plaisir des yeux et des clins d'œil. Ainsi est-il plaisant que le soleil se fasse "ardant" pour répondre aux attaques du froid "mordant"! Mais ici ne l'oublions pas, l'artiste est seul maître à bord. "Cela s'éloigne à petits pas de l'illustration telle qu'on l'entend", comme il le reconnait lui-même: "de travailler sans histoire ou sur un thème me permet de puiser dans un registre graphique très large et de régurgiter dans ces images tout ce que j'ai aimé jusqu'à hier". Jusqu'à hier au moins, Rascal a dû beaucoup aimé Magritte! Le résultat est éblouissant. (Maggy Rayet)