Dans cette histoire, Laura Simonati l’annonce d’emblée : il y aura des humains de partout, 17 chiens avec pedigree de race différente et un corniaud, un homme qui aime jouer aux cartes, des croquettes et des os. Les éléments en présence concordent avec la promesse du titre : La Fête des chiens ! À quel genre de fiesta va donc participer tout ce beau monde ? une boum dans un refuge pour animaux ? le départ à la retraite d’un dresseur chevronné ? un mariage entre passionnés de cabots ? Cela aurait pu, mais l’artiste a choisi comme prétexte à son récit la tenue de la 38e exposition canine dans une ville. C’est ainsi que, ce vendredi d’octobre, « tous les plus beaux chiens du pays [sont] présents, parfumés, peignés, les dents brillantes ». Bingo le Scottish Terrier, Bianca la caniche, Hollywood le Maltais, Malo le chien de garde vont concourir le lendemain avec des lévriers, des chihuahuas, des griffons, des carlins et autres teckels, chacun muni de son atout : beauté, célébrité, lignage, charisme, élégance, niaque… Seul Piumino, modeste bâtard au pelage marron bouclé, reste à l’écart de cette effervescence : loin de lui les pesées et les mesures, les examens scrupuleux et les vérifications posturales, l’agitation des derniers préparatifs… Sans pedigree, il ne peut prétendre à rien, sauf à surveiller ses congénères en route vers la gloire… et mis en cage le soir venu ! Le gentil et paisible Piumino se distinguera-t-il dans sa fonction de garde-chiourme par son obéissance ou utilisera-t-il son trousseau de clés avec une liberté inconsidérée (du moins, pour des yeux humains) ?
Se confronter à l’épreuve de la deuxième publication après que le premier a été grandement salué et récompensé (Mariedl, une histoire gigantesque a notamment reçu en 2023 le prix Opera Prima à la Foire de Bologne et l’Espiègle de la Première Œuvre en littérature jeunesse de la FW-B se révèle un moment délicat. Confirmer sa patte (sans se répéter), affirmer sa singularité (sans exagérer), explorer d’autres univers (sans s’égarer) est intimidant, et parfois infructueux. Simonati, elle, a relevé ce défi avec brio. Dans cet album se retrouvent les éléments forts de son travail, à savoir la calligraphie personnalisée (cursive, tracée à la main et ponctuée d’illustrations), le dessin audacieux (naïf et brut, faussement « brouillon », incroyablement maîtrisé), la composition précise (chaque planche possède une particularité, que ce soit au niveau de la perspective, de l’échelle, d’un élément « narrant », etc.), la réduction de la palette (cette fois, essentiellement un rouge orangé, un bleu, un brun, quelques traits noirs et le blanc de la page), la thématique surprenante (une fête clandestine de toutous festifs qui (se) rient (des humains) et profitent de la vie) mais qui s’inscrit (consciemment ou pas) dans le questionnement précédent (la mise en spectacle, l’enfermement et l’évasion), le ton joyeux mâtiné d’un je-ne-sais-quoi de tristesse douce. Mais, si l’univers apparaît familier, il est radicalement autre. Et c’est là (aussi) que l’expérience est enthousiasmante car Simonati parvient à se réinventer, à repousser les contours des « attendus » en littérature jeunesse, à bousculer nos préconceptions, à nous étonner. Lecteurs, entrez donc dans la danse sans aucune retenue !
Samia Hammami