Œuvres poétiques complètes. Tome 1 (1924-1938)


RÉSUMÉ

Avertissement de Charles Bertin
Introduction de Bernard DelvailleÀ propos du livre

Les trois premiers recueils de ce premier volume des Œuvres poétiques complètes de Marcel Thiry, Toi qui pâlis au nom de Vancouver, Plongeantes proues, L’Enfant prodigue, dans lesquels le poète épelle encore son langage et la technique de son écriture, trouvent leur inspiration…


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Toi qui pâlis au nom de Vancouver

I

Toi qui pâlis au nom de Vancouver,
Tu n'as pourtant fait qu'un banal voyage;
Tu n'as pas vu les grands perroquets verts,
Les fleuves indigo ni les sauvages.

Tu t'embarquas à bord de maints steamers
Dont par malheur pas un ne fit naufrage
Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,
Pour déserter tu fus toujours trop sage.

Mais il suffit à ton orgueil chagrin
D'avoir été ce soldat pérégrin
Sur le trottoir des villes inconnues,

Et, seul, un soir, dans un bar de Broadway,
D'avoir aimé les grâces Greenaway
D'une Allemande aux mains savamment nues.


II

Quand en avril dix-huit, en gare de Kharbine,
Tu dormais un sommeil plein du choc des wagons,
Quand l'ictère et sa jaune esthétique chagrine
Aigrissaient savamment tes méditations,
Quand Tarnapol était Ecbatane et Gomorrhe,
Et quand, ayant tiré la pire faction,
Tu regardais bleuir secrètement l'aurore…


III

Je me souviens encor de vos rouges falaises,
Folkestone, et du vert des pelouses anglaises
Et du balancement qu'avaient les grands steamers,
Et, mon rêve embarqué s'en allant sur la mer,
Je me souviens des jours d'automne boréale
Où j'ai connu, parmi les pâleurs idéales
Dont l'haleine du Pôle angélisait le ciel,
Le Nord, le gel, et les clochers d'or d'Archangel…

Je me souviens aussi du nom fier d'Elverdinghe
Et des bons compagnons durcis par la bourlingue
Près de qui j'ai dormi mes plus justes sommeils;
Je me souviens des continents et des soleils,
Je me souviens des mers et des ports et des femmes
Et des fleuves sans nom et des villes sans âme
Où parfois mon destin vagabond s'arrêtait,
Et qui voyaient passer avec indifférence,
Parmi leurs spleens ou leurs splendeurs ou leurs souffrances,
Ce même soldat maigre et ardent que j'étais…


IV

Asie au nom de maladie,
Beau marécage empoisonné,
Par ton printemps contaminé
Je suis atteint du mal Asie.

Je suis comme syphilisé
Qui se souvient de son amie
Et de sa chère chair pourrie
Et du goût mort de son baiser.

Aux mauvais lieux de Mongolie,
Par le cosaque et le Yankee
J'ai vu ton chaud corps possédé;

Et dans l'Ouest et dans la vie,
Par tes mystères obsédé,
Je traîne un cœur atteint d'Asie.


V

Ce soir triste sur l'Ingoda
Tu te souviens de sa couleur;
L'herbe brûlait avec pâleur,
Par les champs roux, sous le ciel jade.

Mais ta belle âme de soldat,
Te souviens-tu de sa couleur ?
Jeunesse drue et si d'ailleurs
Parmi ces Orients malades…

Une eau très verte apparaissait
Sous la glace très amincie
De l'Ingoda couleur d'Asie;

Les bleus chameaux au loin paissaient,
Et tu rêvais d'être au Pousset
Dans un kaki de fantaisie.


VI

Pour être encor sur ce transport
Qui ramenait aussi quelques femmes créoles,
Sur ce transport ayant à bord
Ces femmes, ces soldats vaincus et la variole,

Pour voir passer encore au bras d'un aspirant
Le flirt bronzé du capitaine
Qui portait avec art une robe safran
Comme un drapeau de quarantaine,

Pour souffrir encor du vaccin
Du mal de mer et de l'altier dédain des femmes,
Et pour rêver de jeunes seins
Dans l'entrepont plein du confus chaos des âmes,

Pour entendre chanter encor dans les agrès
Les longs alizés nostalgiques,
Pour être encor ce vacciné du Pacifique
Tu donnerais, tu donnerais…


VII

Ô capitales inconnues,
Je vous connais, je vous connais.
Vous fûtes celles qu'on tient nues
Et que l'on quitte pour jamais.

Ô escales ô amoureuses,
Pour des dollars ou des douros
Vous vous donniez comme les gueuses
Se donnent aux matelots.

Dans vos pays comme en des bouges
Vos corps pour d'autres sont restés
Pendant que mon destin qui bouge
Partit pour d'autres vanités;

Et quand, comme au coin d'une rue,
Je rencontre au détour d'un soir
Les souvenances apparues
De vos bars et de vos trottoirs,

C'est comme si, soudaine et belle,
À tel qui va s'embourgeoisant
Reparaissait quelque éternelle
Prostituée eue à seize ans.


Table des matières

Avertissement de Charles Bertin

Introduction de Bernard Delvaille

Toi qui pâlis au nom de Vancouver (1924)
Plongeantes Proues (1925)
L'Enfant Prodigue (1927)
Statue de la Fatigue (1934)
Trois proses en vers (1934)
Commémoration d'Apollinaire (poème hors recueil, 1935)
Poèmes extraits de Marchands (1936)
La Mer de la Tranquillité (1938)

Corrections et variantes, par Christian Delcourt


À PROPOS DE L'AUTEUR
Marcel Thiry
Auteur de Œuvres poétiques complètes. Tome 1 (1924-1938)
Marcel Thiry est né en 1897 à Charleroi. Il a quelques mois quand ses parents viennent s'établir à Liège, qui constituera son point d'attache et lui fournira un de ses décors du cœur.Il est élève à l'Athénée de Liège quand la guerre 1914-1918 éclate. Sur le point de terminer ses humanités, il abandonne ses études pour s'engager. Le chemin du front, pour lui, passera par la Hollande, l'Angleterre puis la France.C'est là que se constitue une unité d'autos-canons (des «blindées», disait-on alors, en mettant le mot au féminin, parce qu'on sous-entendait le mot voiture) où le recrutement s'effectue un peu par cooptation : Marcel Thiry et son frère Oscar y sont intégrés.En vue de renforcer l'allié russe, les Occidentaux lui envoient troupes et matériel.Les autos-canons s'embarquent à Brest le 21 septembre 1915, débarquent à Arkhangelsk et gagnent Tsarskoïe-Selo (aujourd'hui Pouchkine), dans la banlieue de Saint-Pétersbourg, où les accueille le tsar lui-même.L'unité participe à différentes opérations militaires jusqu'à la révolution de 1917. À la guerre avec l'Allemagne et l'Autriche- Hongrie succède la guerre civile: Blancs contre Rouges. Dans ce genre de conflit, la présence de soldats étrangers en armes est toujours cause de difficultés.Comme la guerre se poursuit à l'Ouest, les Belges sont amenés à regagner leur pays. Ils le feront par l'Est, par le chemin le plus long, c'est-à-dire en faisant le tour du monde. Ils empruntent le transsibérien cher à Blaise Cendrars : Omsk, Karbine, Vladivostok. De là, passage aux États-Unis où la troupe est accueillie avec délire. Défilés, fêtes. Il faut dire aussi que ces jeunes hommes, qui ont vu le feu, servent la propagande du président Wilson qui, après avoir mené une politique visant à tenir son pays à l'écart de la guerre, vient de décider d'y entrer, suite à différents événements préjudiciables à son pays.Retour à Bordeaux le 28 juin 1918; la guerre est proche de son terme.Démobilisé, Thiry n'est détenteur d'aucun diplôme. Mais l'État décide d'accorder des facilités à ceux qui, à vingt ans ou un peu plus, sont des anciens combattants. Thiry entre à l'Université de Liège où il obtient le titre de docteur en droit. Comme il le racontera lui-même dans Falaises, il réussira à être diplômé d'Université... sans avoir son diplôme d'humanités.Marcel Thiry plaide jusqu'en 1928, année où, à la suite du décès de son père, il lui succède dans le commerce des bois et charbons.Le voilà parmi les marchands. Il en connaîtra l'existence bousculée, les incertitudes; il connaîtra la faillite et des moments d'exceptionnelle aisance. Au fil du temps, il donnera la préférence au négoce des bois, ce qui lui permettra de circuler de la Hollande à la France et de chanter les villes et l'«astrale automobile».Avec les remous nés de la montée des fascismes, Marcel Thiry prend position contre les dictatures (Hitler n'est pas jeune). Pendant la guerre, il publie des textes aux Éditions de Minuit clandestines (cf. Pierre Seghers, La résistance et ses poètes).Élu dès 1939 à l'Académie de Langue et de Littérature Françaises de Belgique, il ne prononce son discours de réception qu'au lendemain du conflit, le 15 avril 1946. En 1960, il devient secrétaire perpétuel de cette Académie, et le reste pendant douze ans.Défenseur de la cause française et de la communauté francophone, Marcel Thiry est élu, en 1968, sénateur de Liège, sur une liste du Rassemblement wallon. À ce titre, il représentera notre pays à plusieurs sessions de l'O.N.U.Il décède en 1977.

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