Une flânerie photographique

Il y a 40 ans, ici même, Elie Gross (1947-2003) signait un article qui réunissait 2 photographes: Frédéric Brenner et Léonard Freed qui, l’un et l’autre, venaient de publier un livre consacré au monde juif orthodoxe. Tout en reconnaissant la maestria de ces deux photographes, Elie Gross dénonçait la réduction identitaire du Juif à des attributs distincts, visibles et donc photographiables ; « Des barbes et des payès » avait-il titré son article. En d’autres termes, Juif = Rabbi Jacob. Depuis, il est vrai, cet exotisme a cédé le pas à la crainte du pouvoir réel et exorbitant pris par les religieux… de tous poils…
Mais que se passerait-il si on renversait la photo et qu’on lui demandait ce qu’elle nous raconte du photographe, en l’occurrence trois photographes juifs? Leonard Freed (1929-2006) donc, Robert Frank (1924) et Alain Baczynsky (1953), tous trois actuellement exposés à Bruxelles et à Charleroi. *
Leonard Freed , on peut en parcourir…

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À PROPOS DE L'AUTEUR
Gérard Preszow

Auteur de Une flânerie photographique

Dites à haute voix ce mot «lisière» et vous verrez comme il chante de lui-même, comme il est douceur et lumière, chaleur et ouverture. Il n’a pas la dureté de «Frontières», violemment initié par son «FR» guttural. Il dit le mot et la chose, le glissement d’un état dans un autre. Caroline Lamarche XX a pu se servir à loisir dans la collection permanente d’Art et Marges mais aussi profiter des ressources de ces pépinières d’artistes handicapés mentaux que sont le Creahm XX - Bruxelles, le Creahm-Liège, la S-Grand Atelier à Vielsalm, ainsi que de pièces issues de collections privées. Son propos est servi par un accrochage léger, ouvert et lumineux. * Avant même que dans les rues de Belgique, les lycéens ne sonnent hebdomadairement l’alarme écologique, Caroline Lamarche écrivait des nouvelles au cours desquelles animaux et humains se partagent à parts égales l’avant-scène, y séjournent en continuité. L’exposition en est, en quelque sorte, sa transposition plastique, son manifeste. C’est aussi l’esprit et la finalité du musée qui interroge le statut artistique - ou non - de certaines œuvres et familiarise le public avec des beautés insoupçonnées. Un musée qui vacille sur son identité, brouille folie et normalité, juxtapose codes partagés et formes inattendues. « Nous vivons un temps de lisières. Entre l’animal et l’humain, l’arbre et la rivière, la plume et la peau, le béton et le vert, où trouver notre chemin ? Comment affronter l'avenir quand s’effondrent les milieux fragiles ? Par quels gestes patients, quels récits sauvages, quels surprenants partages ? » nous dit Caroline Lamarche. Exposition collective, elle évite l’écueil du genre : nous rendre prisonnier du thème, avoir le regard d’emblée étriqué et pris dans la nasse de l’intitulé ou, au contraire, au vu de l’éclatement et de la surabondance des œuvres proposées, se demander - finalement - de quoi il retourne et chercher l’intitulé partout. On découvre et redécouvre aussi bien des artistes exposés dès les débuts de la galerie Art en Marge en 1986, que des nouveaux venus du musée Art et Marges qui fêtera bientôt ses 10 ans d’existence. Le pluriel des marges sont autant de lisières progressivement démultipliées depuis les origines du lieu. L’ensemble, avant tout figuratif si l’on excepte les hachures obstinées de Gérard Sendrey, mêle figures humaines, animales, végétales, composant le tout du monde. À sa manière bien à elle – cernes épais, aplats multicolores – , Shérazade Garbi ouvre le parcours par le visage d’un singe familier de son bestiaire. Les linogravures de Jean-Marie Heyligen recomposent les corps féminins, tandis que son comparse Dominique Bottemanne acère au plus fin les profils animaux. Le hérisson de Géraldine Vink sourit sans renoncer à l’arme de ses picots tandis que les oiseaux d’Alain Meert affirment leur présence élégante et ironique. En montant à l’étage, sur le mur blanc qui domine la cage d’escaliers, une tapisserie de Laura Delvaux tissée de roses laisse s’évader un fil rouge solitaire, larme de sang. Comment ne pas citer les mots-dessins de Roger Angeli ou encore le patient cocon confectionné par Heide De Bruyne. Les paysages ruraux panoramiques de Rémy Pierlot ferment en beauté un circuit qu’on ne demande qu’à reparcourir pour en citer chacun. © Gérard Preszow, revue Points critiques, n° 382- 2019 L'expo "Lisières" à voir jusqu'au 22 septembre 2019 au Musée Art et Marges , Rue Haute 314 à 1000 Bruxelles Notes (1) Caroline Lamarche, Nous sommes à la lisière, Gallimard, 2019 (Prix Goncourt de la nouvelle 2019) (2) Creahm : Créativité et handicap mental  
Caroline Lamarche, Nous sommes à la lisière, Gallimard, 2019 (Prix Goncourt de la nouvelle 2019) Creahm: Créativité et handicap mental


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Bruxelles ville carrefour Capitale d’un pays aux frontières internes, centre de l’Europe, terre d’immigration, lieu de brassage de langues et de cultures. Accueillante au point…

La critique à l’ère numérique (in Dossier)

Écrire sans contraintes avec autant de photos ou de documents possibles, ne pas être assujettis à un nombre de caractères ou à un format, c’est possiblement une promesse de la presse numérique et des revues web. Comment ces revues ont-elles vu le jour ? Comment fonctionnent-elles ? Qui les font ? Y a-t-il un revers de la médaille, le web est-il vraiment un paradis ? Blogs, sites, agendas en ligne, sites d’artistes, l’information web est protéiforme. Alors comment se repérer sur la toile et trouver le chemin qui mène à l’information ? Puisque, paradoxalement, ce n’est pas parce qu’elle est en ligne, qu’elle est accessible.                                                                             * La filiation papier et web La corrélation directe entre le web et le papier permet de s’orienter plus facilement. Les journaux, généralistes comme Le Soir, La Libre Belgique, ou spécialisés tels que Mouvement, Inferno, développent un format web en lien avec la version papier. Dans ce cas, l’accès parait simple, bien que la subtilité des « tags » (étiquettes) et dénomina- tions complexifie la recherche (sous le mot « scène » se retrouvent des articles que l’on ne trouve pas sous le mot « danse » et vice versa). Là s’ouvre la boîte complexe de la terminologie. De plus, écrire pour le web ne garantit en rien que l’on est lu. Les moteurs de recherche fonctionnent de telle façon que plus un site est consulté plus il va appa- raître en tête de liste lorsque l’on fait une recherche. La boucle est bouclée qui rend parfois complexe l’accès à des initiatives plus inventives et spécifiques. En 2013, Agnès Izrine décide de faire une version web du magazine Danser. La fin de 30 ans de parution avait été si abrupte et difficile que, selon sa rédactrice en chef, « cela ne pouvait pas finir comme ça ». En créant « Dansercanalhistorique », elle pense alors développer un magazine web plus ou moins éphémère. L’expérience est un succès : le site est au- jourd’hui encore actif et enregistre jusqu’à 7 000 consultations par mois. Les lecteurs du magazine papier se sont déplacés vers le site, animé par l’équipe originale de la version papier. « Dansercanalhistorique » est le prolongement numérique de ce que fut le magazine Danser, une référence en termes de magazine spécialisé traitant de toutes les danses. La ligne éditoriale est de même facture, avec la possibilité d’augmenter l’espace des photos et d’ajouter des liens vidéo, et la liberté de sortir des contraintes du nombre de caractères. En- thousiaste, Agnès Izrine voit dans le numé- rique des possibilités pour l’avenir. Le numérique, c’est l’indépendance... Pour Marie-Christine Vernay, l’aventure commence quand elle claque la porte de Libération pour fonder le site « Delibere.fr » avec Édouard Laumet et René Solis. « L’essentiel était de préserver un espace d’écriture et un espace critique qui, pour nous, n’existaient plus. L’intérêt du web réside dans le fait qu’il n’y a pas de limite, on n’est pas cadré par des pages, des ultimatums autres que nos propres envies. J’ai inventé – ce que l’écrit papier ne me permettait pas auparavant – une chronique intitulée Chanson de gestes, où je décrypte les gestes quotidiens des gens, les gestes qui apparaissent, ceux qui disparaissent. Le web élargit le champ et permet de traiter de la danse de différentes façons. » Pour « Radio Bellevue Web », Marie-Christine Vernay ouvre de nouveaux espaces, imagine une rubrique où elle pose une simple question – « Est-ce que vous dansez ? » – à des politiques, des chorégraphes, et, ce faisant, éclaire la danse en creux. Le web peut s’avérer un champ d’investigation, d’inventions, une création de nouveaux espaces pour une pen- sée personnelle, une façon de se libérer de la contrainte du papier. ... mais c’est aussi le bénévolat Quelle est la différence entre un site et un blog ? La frontière est très poreuse. Le blog a priori s’apparente au journal intime ou au carnet de notes, souvent tenu par une seule personne, contrairement au site qui serait réalisé par une équipe. Cependant, nous pourrions citer une dizaine de contre-exemples avec des blogs menés à plusieurs. D’un point de vue technique, un site et un blog n’ont pas la même sorte d’interface et d’arborescence, mais la frontière n’est pas si tranchée, des blogs pouvant ressembler à des sites et vice versa. Blog ou site, ce qu’offre l’internet à la critique se résume à du bénévolat et à des personnes qui s’essaient à la quadrature du cercle pour trouver des moyens de financement. Ainsi, si Agnès Izrine bénéficie d’une subvention du ministère de la Culture, qui lui permet tant bien que mal de payer ses collaborateurs, elle trouve les annonceurs encore trop frileux et n’est pas encore parvenue à trouver un équilibre financier. À « Radio Bellevue » et à « Delibere.fr », tous les collaborateurs sont bénévoles. 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