Sur un air de saxophone, la journée de décentralisation du 4 octobre Disons-le d’emblée : la journée de décentralisation n’attira pas à Dinant un public nombreux. La présence de l’un ou l’autre fidèle ne suffit pas à atténuer notre déception. La distance à parcourir, le temps ensoleillé et la température clémente de ce samedi 4 octobre ont-ils fait « déserter » un certain nombre d’amies et d’amis de notre Société et du wallon ? C’était pourtant l’occasion de faire connaissance avec la gastronomie et le folklore de la cité mosane tout en rendant hommage aux victimes des massacres de Dinant. Et de découvrir une ville frémissant déjà à l’approche du bicentenaire de la naissance d’Adolphe Sax.
À 10 heures, la séance, suivant le trajet de l’invasion, débutait par la communication de Renée Boulengier-Sedyn, Henri Bragard et d’autres : des Prussiens « malgré eux ». Notre consœur rappela le Traité de Vienne de 1815 et l’annexion des cantons de Malmedy…
Auteur de Sur un air de saxophone
Wallon ou portugais? Pôve tièsse, de Guy Cabay (1978)
Guy Cabay (°1950) est musicien, compositeur, chanteur, musicologue et spécialiste de jazz. En 1978, il écrit les paroles et les musiques de Tot-a-fêt rote cou-d’zeûr, cou-d’zos, un album de chansons en wallon liégeois aux sonorités brésiliennes. Ce mélange surprenant mais savoureux lui offre un succès considérable et lui permet d’enchaîner notamment deux autres albums en wallon : Li tins, lès-ôtes èt on pô d’ mi (1979) et Balzin’rèyes (1986), qui seront suivis par un Bièsse Tof en 1999. Parmi toutes les compositions qu’il a réalisées, une chanson a incontestablement marqué les esprits : Pôve tièsse, que l’on désigne également sous le titre Amon Laca, en raison de son refrain lancinant. Ce n’est pas seulement parce qu’elle a connu un grand succès que nous avons choisi de la retenir ici. Avec Pôve tièsse *, en 1978, c’est une réelle modernisation de la chanson wallonne traditionnelle que Guy Cabay propose, alors qu’elle restait cantonnée dans le genre lyrique ou humoristique. XX Pôve tièsse, ou Amon Laca XX A fwèce di m’èscoler pace qu’i m’ faléve tot k’nohe po viker, on m’a hati l’ cèrvê. N’a-st-ine årmêye d’îdèyes qu’ minèt bacara sins s’arèster. Dj’a l’ tièsse come on sèyê. Refrain: Dji creû qu’il î fêt co pé, ’l î fêt co pé qu’amon Laca, qu’amon Laca, ’l î fêt co pé, ’l î fêt co pé. Dji creû qu’il î fêt co pé, ’l î fêt co pé qu’amon Laca, qu’amon Laca, qu’amon Laca. Ah, qué trikebale ! Ah, qué vôtion ! Ah, qué micmac ! Ah, qué bazår ! Ah, qué cayon ! Ah, qué mahis´ ! I m’ sonle qui m’ tièsse a mèzåhe d’on bon côp d’ ramon, Bon côp d’ ramon, bon côp d’ ramon ! Pôve tièsse, A t’ voleûr trop bin fé, on t’a gourdjî disqu’a t’ fé pèter D’ine kiriyèle d’a-målvå. Faléve tot-ahopler, tot-èton’ler, n’ rin lèyî passer. Faléve infler m’ cèrvê. Èco on pô pus´, èco on pô pus´ ! Refrain (Lexique XX ) * D’emblée, le titre , bien qu’il donne peu d’informations au lecteur, suscite son apitoiement à l’égard d’une tièsse. L’absence de déterminant apporte un sentiment affectif à l’exclamation et contribue à faire de cette tièsse quelque chose d’abstrait. Le premier couplet nous permet de comprendre la raison de cet apitoiement : l’acharnement à instruire l’auteur. La tournure A fwèce di laisse penser que cette action a été entreprise au prix d’un large effort et de manière récurrente. Le choix de m’èscoler, a une valeur plus forte que ses synonymes acsègnî ou aprinde: plus qu’un acharnement à instruire, l’auteur estime qu’il s’agit d’une tentative d’endoctrinement. Évidemment, ce terme suscite de nombreuses connotations liées à l’école et semble désigner subrepticement les coupables. La justification de cette action est, elle-même, illogique: pace qu’i m’ faléve tot k’nohe po viker. L’objectif à atteindre est irréalisable, tandis que la récompense, déjà acquise, n’est pas condition de la réalisation de cet objectif. Cette action répétée et contraignante a eu comme effet premier de hati l’ cèrvê. Ce verbe est issu du lexique culinaire et signifie « havir », se dessécher sans cuire en dedans. L’image métaphorique, comparant les enseignants à de mauvais cuisiniers, montre la parfaite incompétence de ceux- ci. Ils ne sont d’ailleurs désignés que par un on impersonnel, vague et informe. Ils gâchent, par leur mauvaise pratique, une pièce de choix. Le recours à la métaphore montre le peu d’estime que l’auteur a envers ce que les endoctrineurs ont fait de son esprit. En outre, la structure syntaxique de ce vers ne respecte pas vraiment les règles grammaticales. Là où on attendrait la présence d’un adjectif possessif, qui manifesterait le rapport de possession sur cette partie du corps, le lecteur trouve une structure pronominale. Et cette structure rappelle le français se havir qui ne peut être employé que pour qualifier une viande. Ainsi, l’idée de distanciation et la dévalorisation de cette partie du corps en sont renforcées XX . Dès la deuxième partie du premier couplet, on entame la description des conséquences de cette action passée. C’est la violence des affrontements d’idées qui surgit d’abord, laissant voir un esprit torturé, en proie aux contradictions. Le choix du terme årmêye témoigne également d’une absence de discernement, d’une inclinaison à suivre les consignes sans se poser de questions. L’expression miner bacara désigne un vacarme immense. L’étymologie exacte de ce terme renvoie à un jeu de cartes, mais c’est également par cette expression qu’on faisait référence à un homme qui faisait du tapage en rentrant saoul chez lui. La confusion et le trouble des idées ne peuvent donc amener vers quelque chose de constructif… Ce conflit incessant et rude est donc parfaitement inutile, en plus d’être ininterrompu. L’auteur conclut ce premier couplet sur une expression, encore souvent employée sous la forme d’un belgicisme, qui désigne par une comparaison, l’état dans lequel cet acharnement l’a placé : une migraine causée par le verbiage lassant d’un interlocuteur. C’est donc avant tout le son assourdissant de toute cette confusion qui perturbe le narrateur. Le refrain, quant à lui, fait appel à une structure et un lexique simples, mais il est opacifié à plus d’un titre. L’allitération des k confère une sonorité bien particulière, apparentant cette phrase à une formule incantatoire. L’alternance de voyelles ouvertes et nasalisées (a et on), l’inversion et la répétition des termes tendent à créer une isophonie avec la langue portugaise. Le portugais compte la nasalisation et l’allongement vocalique parmi ses traits marquants. Le wallon, lui aussi, se distingue du français par ses voyelles longues. L’auteur invite à comparer le désordre de son esprit à celui de chez Laca XX . Ce référent, bien qu’il soit connu de l’auteur, n’est pas partagé par le lecteur. La comparaison est péjorative. Et cet aspect négatif, qui est finalement la seule donnée que le lecteur connaît de Laca, l’amène à envisager ce lieu sous un aspect plus sombre. Le deuxième couplet désigne par divers termes quasi synonymiques l’état de dérangement de l’esprit de l’auteur. La répétition de la structure syntaxique aide le lecteur à comprendre qu’une même idée est répétée, bien que les termes désignent à la fois un brouhaha auditif ou visuel. Mais, alors que cette répétition aide le lecteur à comprendre l’idée générale, elle reproduit et double elle-même ce désordre. Le troisième couplet reprend la plainte à la pauvre tête, en s’adressant directement à elle. Cette fois, le terme pôve est doté d’une seconde signification, dépréciative, celle du manque de ressources suffisantes. Encore une fois, l’auteur cherche à se distancier de cette tête trop pleine. Avec gourdjî disqu’a t’ fé pèter, le lecteur perçoit la profusion d’informations, le souhait de gaver la tête jusqu’à satiété, et même au-delà. D’ine kiriyèle d’a-målvå, tournure plus rare, désigne des choses qui ne servent à rien. Le terme ahop’ler comporte une connotation particulière : celle de l’amas du gain. Avec èton’ler, l’auteur se considère non plus comme un être doué de réflexion, mais comme un simple contenant parfaitement hermétique. N’ rin lèyî passer complète la donne. L’amoncellement de choses, la constitution d’un trésor, progressivement, perd sa valeur dès lors qu’on ne souhaite pas en profiter, que l’accumulation de connaissances ne sert pas au partage ou à la valorisation. En conclusion, l’auteur n’en retient plus l’objectif principal. L’apprentissage n’est plus qu’un prétexte à faire infler l’ cèrvê. Le thème dépeint est un thème récurrent dans la…
Redécouverte : Jean Wisimus (Verviers 1868 – Verviers 1953)
Figure emblématique de la vie culturelle et sociale de la cité lainière, Jean Wisimus a, pendant plus de soixante ans, occupé une place non négligeable sur la scène médiatique verviétoise. Tant par son action professionnelle et philanthropique que par sa contribution aux débats d’idées – entre autres, en diffusant tous azimuts ses observations dans de multiples publications périodiques et dans différents ouvrages rédigés tantôt en français tantôt en wallon, – il a eu une action indéniable dans le paysage de sa « bonne ville ». Ami de Jules Feller et de Jean Haust, qu’il a dû avoir comme professeurs à l’athénée royal de Verviers, il a pu compter, lorsqu’il s’exprimait en wallon, sur les encouragements avisés que ceux-ci pouvaient lui donner. C’est d’ailleurs à ces deux amis que nous devons les informations qui nous permettent de retracer à grands traits ce que fut sa vie et d’évoquer les faits les plus marquants de son activité littéraire xx . Wisimus, Verviétois « pure laine », commerçant, philanthrope, patriote Plus qu’à tout autre, cette qualification québécoise peut être attribuée à Jean Wisimus : de vieille souche verviétoise, issu d’une famille « de parents qui ne parlaient que le wallon et exploitaient un petit magasin où venaient s’approvisionner, outre les commères du voisinage, les ouvriers des nombreuses usines proches de leur résidence et aussi les campagnards aux jours de marché, il a vraiment passé toute son enfance et sa jeunesse dans un milieu essentiellement wallon » (Louis Pirard, [3], X), s’élevant par son travail jusqu’à faire partie de la bourgeoisie commerçante d’une ville qu’il n’a jamais quittée, il a consacré toute sa vie à l’industrie lainière dont la renommée était internationale, du moins jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Wisimus était homme de caractère. En quelques traits, Jules Feller dressait le portrait du personnage : « (...) l’esprit, le cœur, l’œuvre de Jean Wisimus sont plus étendus qu’on ne croit. Certes, ses amis ne peuvent se tromper en estimant très haut sa valeur personnelle : ils le voient spirituel, narquois, prompt à la riposte, habile à débrouiller une affaire, actif et diligent ; ils le voient généreux, serviable, compatissant, charitable, toujours le cœur ouvert et la bourse au large [sic] pour toute œuvre de justice et de philanthropie. « ([1] p. 8) Wisimus était un homme discret. Selon Jules Feller : « Jean Wisimus a tout un passé de littérateur et d’homme d’action derrière lui. Littérateur intermittent, il n’a jamais songé à faire œuvre littéraire qu’en wallon, pour son plaisir et celui de quelque cercle d’amis en gestation de gazette wallonne. Comme homme d’action, il a beaucoup moins écrit qu’agi, beaucoup moins écrit en wallon qu’en français, et il n’a guère signé ses articles de son vrai nom que s’il y avait une responsabilité à prendre. » ([1], 8] On lui connaît au moins deux pseudonymes. Dans le journal « Le Jour », « sous le pseudonyme P. Simiste (pessimiste), il a publié en français (...) de nombreux pamphlets et articles humoristiques » (Feller) – « Sous le pseudonyme de Pierre Lermite, et sous la rubrique lu Ridant ås rahis´, il a (...) alimenté Le Jour, pendant plusieurs années, d’une longue série de pièces satiriques wallonnes et de bluettes... » (Feller) Feller, une fois encore, parle aussi de son attitude pendant la guerre 14-18, alors qu’il était âgé d’une cinquantaine d’années : « Un homme de franc parler, d’initiative et d’organisation, n’hésitant jamais devant un acte de courage civique et de patriotisme, devait avoir été signalé dès l’abord par les limiers prussiens comme un être dangereux. De fait, il fut arrêté sous prétexte d’avoir procuré des vivres et facilité l’évasion à des soldats français cachés dans nos villages de la frontière. Wisimus avait fait beaucoup mieux. Ses juges, heureusement pour lui, l’ignoraient. Il fut emprisonné à Namur, ainsi que sa fille, pendant trois mois. Pour sauver leurs têtes, ils durent jouer serré, fin contre fin... » ([1], 10) Son attitude lui a valu, après la guerre, d’être décoré de la médaille de la Croix civique belge 1914/1918 et de la médaille de la Reconnaissance française. Il a été membre d’honneur de la Fédération nationale des Combattants, vice-président et membre du bureau fédéral de l’Association des Ex-prisonniers politiques. Wisimus, animateur de la vie culturelle verviétoise Il a été le fondateur (avec Gui Kaiser) de la Ligue wallonne verviétoise (dont il était le vice-président chargé de la partie littéraire). Il a été : membre de l’Association des Écrivains wallons anciens combattants, membre de l’Association des Auteurs et Chansonniers liégeois, membre correspondant, puis membre titulaire de la SLLW et président du cercle de littérature wallonne « Lu vî Tchêne »... Il a collaboré à de nombreuses publications : le « Trô d’ sotês » [la caverne aux nutons], « Lu pont d’ Poleur » [le pont de Polleur] feuille intermittente qui, « aux années de vote », égayait « l’âpreté des luttes électorales », le « Journal des soirées populaires », « Le Jour » journal quotidien où il a déversé pendant de longues années son Ridant ås rahis´ « tiroir aux rogatons »), le « Bulletin de l’Entraide militaire », « Franchimont », « La frontière de l’Est ». Il a fondé la revue locale Verviers-Chronique « qu’il dirige jusqu’à l’invasion et qui prédit avec une surprenante lucidité, la guerre, ses phases et son issue » (Haust, [2], 305). Œuvres écrites en français Polygraphe infatigable, Wisimus a écrit en français et en wallon. En français, on lui doit : – une longue série d’articles de propagande wallonne ; – un pamphlet cinglant Sind-Wir Barbaren ? (Verviers-Chronique, 1919) ; – un ouvrage scientifique intitulé L’anglais, langue auxiliaire internationale (Paris, Grasset, 1921). Sur Sind-Wir Barbaren ? Feller a écrit ceci : « Il ne s’agit point dans cette brochure des assassinats et des massacres, des incendies et des horreurs que tant d’autres ont racontées : il ne fait que mettre en lumière avec des preuves accablantes le plan de destruction systématique de l’industrie, le vol de nos machines les plus récentes, dont le secret de fabrication était inconnu à l’Allemagne, le vol des précieuses machines-outils, la démolition de tous les ateliers, la réduction en vile ferraille de tout ce monde gigantesque de fer et d’acier qui vibrait, luisait, ahanait, chantait, nourrissait les populations. Tout ce saccage froidement organisé sous la direction et d’après les renseignements précis de firmes concurrentes allemandes, et sous le prétexte mensonger qu’il fallait aux armées de la mitraille, l’auteur en montre à l’évidence la scélératesse. Et il conclut : oui, vous êtes des barbares, malgré vos livres, vos écoles et vos caisses de retraite ; non plus des barbares inconscients et primitifs, mais des barbares savants qui avez conçu le projet monstrueux de régner par l’anéantissement des autres nations. La brochure française fut traduite en anglais et répandue sous les deux langues dans le monde entier. » (Feller, [1], 11-12) Sur L’anglais, langue auxiliaire internationale, on peut lire l’avis de Jules Feller, ([1], 12-14), dont voici quelques courts extraits : « (...) pendant la journée, tout entier à son trafic des laines, commerçant sérieux, actif et expérimenté, instruit, heureux en affaires, en relations quotidiennes avec les pays de production, les grands marchés, les centres industriels qui commandent et consomment, il songe, au milieu de toute cette correspondance polyglotte, à la simplification qu’une langue unique apporterait au commerce et à l’industrie. Et son esprit devance les siècles : pourquoi, se demande-t-il, la science, l’art, la littérature, la philosophie n’auraient-ils pas une langue unique ? Ce qui a existé jadis,…